BLOC-NOTES

LE DERNIER DES MOHICANS

Si ne pas savoir exploiter une situation est une faute grave pour un homme d'affaires, c'est un péché mortel pour un homme d'Etat. Or, à considérer la trajectoire fabuleuse de Rafic Hariri l'homme d'affaires, il n'est pas de ceux qui laissent passer une bonne occasion. A considérer aussi le parcours sans faute effectué par Rafic Hariri chef du gouvernement, au cours de la dernière tragédie vécue par le pays, du fait de la sauvage agression israélienne, il est tout à fait capable de saisir la balle au bond pour inverser le cours des événements, réussissant même la gageure de focaliser l'attention du monde sur le Liban et - ce qui tient du miracle - de faire autour de lui l'union nationale. C'est ce miracle qu'il faut savoir exploiter avant que l'occasion ne se perde dans les arcanes nauséeuses de la politique de clochers. Surtout dans un pays devenu le cimetière des occasions perdues. Le pourra-t-il? Sans doute. Le voudra-t-il? "that is the question". D'autant plus, que la question en question - si j'ose m'exprimer ainsi - semble poser pour deux de ses ministres le fameux dilemme d'"être ou ne pas être"… Il s'agit, comme on l'aura sans doute deviné, de la loi électorale. Vu la vague de popularité qui porte actuellement, le Premier ministre et le prestige, récemment acquis qui lui confère à la fois une autorité accrue et une nouvelle légitimité, il pourrait imposer une loi qui resserrerait autour du pouvoir cette union nationale si miraculeusement acquise et si chèrement payée. Il suffit d'expliquer à messieurs Murr et Joumblatt que les 80.000 ostrogoths du Kesrouan et de Jbeil, qui hantent leurs cauchemars, sont là pour y rester et qu'il faut faire avec. Quelle plaie que ces 80.000 électeurs, maronites de surcroît, qui - selon les termes de M. Murr - "ne m'aiment pas et se laissent guider par leurs instincts", alors que la crème qui vote pour messieurs Murr et Joumblatt, est comme chacun le sait, faite de purs produits de la civilisation cartésienne. Bref, il est impensable que ces emmerdeurs par tradition, par vocation, par formation, par action et par omission (n'ont-ils pas boycotté les dernières élections?!) soient lâchés dans la nature, la bride sur le cou et tiennent en haleine tout le système de copinage mis en place par une IIème République issue d'un Taëf sans issue. Que faut-il en faire? Les déporter? Kissinger et la VIème Flotte s'y sont essayés en vain. Les exterminer? On l'aurait fait déjà depuis plus d'un millénaire si ça avait été chose facile. Quant au spray maroniticide, il reste encore à inventer. Reste la solution "conquistador". Comme jadis pour les Peaux-Rouges du Nouveau Monde, voici donc venir les Christophe Colomb du XXIème siècle, envoyés par Btéghrine pour ramener à la civilisation ces Sioux, Iroquois et autres Apaches du Kesrouan-Jbeil. C'est le commando de choc des récents naturalisés. En effet, dans un environnement humain où chacun se connaît depuis quinze siècles, les moukhtars, médusés, découvrent sur les listes électorales établies par le ministère de l'Intérieur, des noms à consonnance inhabituelle, parachutés, dit-on, du Soudan d'Egypte, d'Irak, de Palestine, de Somalie, voire du Pakistan et du Bengladesh, dont les porteurs-selon la déclaration faite par le député Michel Samaha - n'ont jamais mis les pieds au Liban. Et l'ex-ministre de répondre à une question posée par une journaliste: "- Pourquoi hésiteraient-ils (à comprendre le gouvernement) à falsifier les élections quand ils en sont à falsifier l'identité du pays"… Monsieur le Premier ministre voudrait-il accoler son nom à cette loi-farce même pas drôle? Et ces messieurs qui jouent les équilibristes de cette haute voltige électorale, sont-ils à ce point obnubilés par leurs intérêts immédiats qu'ils en deviennent incapables d'imaginer ce que pourrait être l'avenir de leurs enfants, de leurs petits-enfants, de leurs arrière-petits-enfants? N'est-ce pas ce genre d'afflux étranger qui a fait perdre son identité à la Palestine? C'est ça que vous ambitionnez pour votre petit-fils: régler la circulation à Jéricho, avec ou sans trompettes? L'avenir que vous préparez ainsi à vos descendants c'est au mieux une réserve indienne ou celui d'une pièce rare perdue au fond d'un musée archéologique. Encore heureux si, pour perpétuer votre nom, il se trouvera un second Fenimore Cooper pour adapter à la libanaise "Le dernier des Mohicans"

ALINE LAHOUD.

Rdl du 25 Mai au 1er Juin 1996.