CANNES 96:UN PALMARES EQUITABLE ET SANS SURPRISES
LE FILM FAVORI "SECRETS AND LIES" DU BRITANNIQUE MIKE LEIGH DECROCHE LA "PALME D'OR"
Le grand vainqueur de Cannes 96, le Britannique Mike Leigh, qui a reçu la "Palme d'or" pour son film "Secrets and Lies" (Secrets et mensonges).
Les lampions de la grande fête du cinéma se sont éteints. Le 49ème Festival International du Film de Cannes a pris fin lundi soir par une brillante cérémonie de clôture (animée comme à l'ouverture par Sabine Azéma) et la proclamation du palmarès, après douze jours de "boulimie" cinématographique. Dans un palais des festivals en fête, toutes les tendances nouvelles du cinéma ont été présentées en première mondiale dans des productions inégales mais toutes originales et intéressantes à plus d'un titre. Rires et larmes, passion et émotion, mensonges et imposture, humour et violence, fric, drogue et sexe, fantasme pervers... tout un éventail d'état d'âme et de problèmes de la vie ont été étalés sur grand écran pour une prise de conscience collective bien dans la mission du septième art, à côté du divertissement de cette industrie à fabriquer le rêve
Rayonnante de joie, l'actrice anglaise Brenda Blethyn brandissant son prix d'interprétation féminine.
NOS PRONOSTICS EXACTS
C'est un palmarès équitable et sans suprises (nos pronostics sur le papier, à l'ouverture, se sont avérés exacts) qui a sanctionné la compétition officielle de ce grand rendez-vous annuel du cinéma. Un palmarès attendu et bien accueilli du public; il se caractérise par le fait que les films importants ont été récompensés. Un palmarès qui reflète l'esprit du festival, un festival marqué par un retour au cinéma simple et populaire. Présidé par le cinéaste américain Francis Ford Coppola, le jury (avec ses dix jurés aux huit natio-nalités) a décerné la "Palme d'or" au film "Secrets and Lies" du Britannique Mike Leigh, grand vainqueur de la compétition puisque son actrice Brenda Blethyn (G.B.) a également remporté le prix d'interprétation féminine. Quant aux prix d'interprétation masculine il est revenu ex-aequo à Daniel Auteuil et Pascal Duquenne dans le "Huitième Jour" du Belge Jaco Van Dormael. Le prix de la mise en scène a été attribué à "Fargo" de l'Américain Joel Cohen tandis que le Grand prix du jury a été décerné à "Breaking the waves" du Danois Lars Van Trier et le prix spécial du jury à "Crash" du Canadien David Cronenberg. Deux autres récompenses: le Grand Prix technique et le Prix du scénario ont été remis respectivement à "Microcosmos" des Français Claude Nuridsany et Marie Perennou, et à "Un héros très discret" du Français Jacques Audiard. La "Camera d'or" est re-venue à l'Australienne Shirley Barrett pour "Love Serenade". Enfin, la "Palme d'or" du court-métrage a été attribuée à "Szel" du Hongrois Marcell Yvanyi, et le Prix du court-métrage à "Small Deaths" de la Britannique Lynne Ramsay. Seule fausse note au tableau, l'attribution du prix spécial du jury au film sulfureux (qualifié "d'érotico-automobile") et très controversé "Crash" du Canadien David Cronenberg, pour "son audace et son innovation". Un choix qui fera sûrement couler beaucoup d'encre! Si Bertolucci ("Beauté volée") et Altman ("Kansas City") n'ont même pas eu droit à un accessit au palmarès, par contre ce dernier n'a pas été oublié par le festival: il a été décoré de la Légion d'honneur (grade de Chevalier) par son délégué général Gilies Jacob.
La
grande Michèle Morgan à Cannes: Cinquante ans séparent ces deux photos
prises respectivement en 1946 et 1996.
RACINES ET IDENTITE
"Secrets et Mensonges", Palme d'or cette année, parle de racines et d'identité, des images-changeant à l'infini-que l'on a de nous-mêmes et des autres… Il y est question d'amour et d'affection, d'aspirations profondes et de l'inexorabilité angoissante du passage du temps". Le film est construit à partir d'un "sujet de société": l'adoption. Hortense, jeune Londonnienne noire et bourgeoise, à la suite du décès de sa mère adoptive, décide de retrouver sa génétrice originelle. Elle découvrira que cette mère est non seulement d'un milieu social nettement plus modeste, mais en plus qu'elle est… blanche!
Vacances cannoises pour André Techiné et
Laurence Cote, réalisateur et actrice du film "Les Voleurs".
Sur
les marches du palais, l'équipe de "Beauté Volée" avec Jean Marais,
Liv Tyler, Bernardo Bertolucci et Stefania Sandrelli. (De gauche à droite).
Ce fait divers lacrimal est le noyau de ce long-métrage de deux heures vingt-deux minutes. La jeune Black parachutée dans une famille blanche, dans un milieu de paumés va s'attacher à conquérir la sympathie, d'abord de sa mère, puis, de sa sœur et de son oncle maternel. Au final, les secrets se lèvent et les mensonges s'apaisent. Brenda Blethyn, la mère tragi-comique en pull rose de "Secrets et mensonges", qui a obtenu le prix d'interprétation féminine est une actrice qui a vingt ans de télé et de théâtre derrière elle. Elle n'a jamais cessé de travailler. D'abord doublure au théâtre, elle s'est mise ensuite à jouer dans les plus prestigieux, le National Theater de Londres ou la scène nationale de Manchester. A la télévision, c'est le metteur en scène Richard Eyre qui lui a donné sa chance. Mais la voie royale était loin d'être tracée pour Brenda Blethyn: jusqu'à presque la trentaine elle exerçait le métier de secrétaire. "Mon dernier job, c'était dans une agence de pub. Je pensais que pour être actrice, il fallait avoir été à l'université et je n'avais pas eu cette opportunité. Et puis je me suis dit: au diable les préjugés, si je n'y vais pas maintenant, ce sera jamais. J'y suis allée. Je ne me suis jamais retournée".
"Breaking the Waves" du Danois
Lars Von Trier a remporté le Grand Prix du jury.
Une
séquence du film "Secrets et mensonges" qui a remporté la "Palme
d'or". Une séquence du film "Secrets et mensonges" qui a
remporté la "Palme d'or".
Prix d'interprétation masculine ex-aequo pour leur rôle dans "Le Huitième jour" Daniel Auteuil (à droite) et Pascal Duquenne récompensés par Rosanna et Patricia Arquette.
MIROIR AUX ALOUETTES?
Si le prix d'interprétation masculine décerné ex-aequo, récompense un acteur chevronné en Daniel Auteuil, il consacre toutefois le talent d'un comédien mongolien, Pascal Duquenne. Tous deux font une très émouvante prestation dans le film "Le huitième jour" de Jaco van Dormael qui traite d'une amitié née entre un candidat au suicide et un trisomique qui vient tout juste de s'échapper de son institut pour retrouver sa mère. Fait marquant: Pascal Duquenne, né trisomique, joue depuis 1985 au sein de la troupe de théâtre du Creahm et de la troupe des Platanes, en Belgique et à l'étranger. C'est son deuxième film après "Toto le héros". Qui a dit que le cinéma est un miroir aux alouettes et non pas le miroir de la vie?
JEAN DIAB.
Rdl du 25 Mai au 1er Juin 1996.