SATURNALES

LE JOURNALISME MENE A TOUT

A condition d'en sortir, dit Jules Janin. Au Liban c'est le problème qui se posera à des centaines de journalistes. Dans ces mêmes colonnes, dans le numéro du 18 mai, nous écrivions que de nombreux journalistes de TV ou de Radio se trouveront au chômage lors de l'application de la loi sur l'audiovisuel. Quelques jours plus tard, Liliane Mokbel dans un article paru dans "L'Orient-Le Jour" apporte de l'eau à notre moulin en précisant les chiffres: Il ne s'agit pas de centaines, mais d'environ 3700 salariés: journalistes, photographes, techniciens et autres qui devront se recycler pour trouver un emploi. Pendant ce temps, des étudiants poursuivent leurs études en journalisme, dans les nombreuses facultés spécialisées que compte désormais le Liban. Que feront-ils après? Ils vivoteront sans plus! Seuls quelques surdoués, quelques-uns des plus persévérants perceront. Il faut le reconnaître honnêtement et ne pas vivre d'illusions. Le journalisme est une belle carrière, mais qui n'admet pas la médiocrité. La concurrence est partout et vient de partout. Il y a les architectes qui écrivent dans leur domaine, il y a les médecins qui écrivent aussi, les musiciens, les archéologues, les ingénieurs, les anthropologues, les sociologues, les professeurs etc... Même les religieux s'y mettent. S'il est vrai que tous peuvent écrire et faire du journalisme spécialisé, la réciproque n'est pas vraie. Le journaliste ne pourra pas exercer la médecine, ni faire des plans d'ingénieurs, ni donner des concerts, ni se joindre à des fouilles etc... C'est là que le bât blesse. Une carrière ouverte à tous, mais où il y a de nombreux appelés et peu d'élus.

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ENGOUEMENT POUR LA PRESSE

Le nouveau passetemps des jeunes c'est la Presse. Bravo! On ne peut que les féliciter. De nombreuses publications parmi les universitaires. Sans être exhaustive nommons quelques unes: "Déclic" "Echo" "Opinion", et surtout le "Campus". Ce dernier a le courage de ses opinions, ne mâche pas ses critiques. Peut-être l'emploi de la langue anglaise l'y aide en le rendant moins accessible au commun des mortels. D'où une grande liberté d'expression, que l'on retrouve rarement chez les professionnels de la presse écrite. Et surtout ces jeunes sont enthousiastes, ont le sens de l'humour, qualité quasi inexistante dans la presse libanaise, en général pompeuse, thuriféraire, à glouglous, ou agressive et harangueuse. Il ne s'agit point ici de la presse francophone, mais de toute la presse libanaise. Il est vrai que la presse locale comparée à celle des pays arabes demeure d'un meilleur niveau, mais comparée à la presse américaine, anglaise, française, elle est bien loin derrière elles. Surtout, elle manque d'originalité. Puis tout est long, très long. Ce qui peut être dit en une colonne est étalé sur une demi-page ou une page entière. Beaucoup de répétitions, de remplissages, de digressions inutiles. Et surtout, chaque organe de presse semble avoir ses "clients" ses "sujets". On voit la binette de Monsieur X une quantité innombrable de fois dans tel journal, la photo de Mme Z une dizaine de fois dans tel autre magazine. C'est cette monotonie qui tue la Presse au Liban, bien plus sûrement que la Télévision.

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MEME WARREN CHRISTOPHER

S'il est vrai que plusieurs hommes politiques se recyclent dans la presse, il est très rare de voir un ministre des Affaires étrangères en exercice goûter aux plaisirs du journalisme. Et c'est pourtant ce qui est arrivé la semaine dernière. Le Secrétaire d'Etat américain pour les Affaires étrangères M. Warren Christopher a publié un article dans le "Washington Post" où il prône la constitution d'un Comité qui se substituerait à la Conférence de Paix de Madrid. Il n'est pas question ici d'analyser l'article de M. Christopher, mais il est amusant de constater que même l'austère Secrétaire d'Etat n'a pas résisté à l'appel de la presse, à la séduction de l'encre imprimée.

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GEORGES NACCACHE INGENIEUR ET AMBASSADEUR

Un des exemples les plus frappants de la souplesse de la carrière journalistique est celui de Georges Naccache. Ingénieur de formation, il devient un des plus brillants journalistes francophones, avant d'être nommé ambassadeur du Liban en France. Puis, il retourne à ses premières amours: le journalisme. Deux autres cas célèbres: celui du président de la République Charles Hélou qui commence sa carrière comme journaliste, la poursuit comme diplomate avant d'être élu président de la République. Aujourd'hui, il tient une rubrique hebdomadaire à "L'Orient-Le Jour". Enfin, Ghassan Tuéni, qui le temps de quelques années a été ambassadeur du Liban près de l'ONU, avant de retourner à sa plume.

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COMMENT REUSSIR EN JOURNALISME? LAST BUT NOT LEAST

Dernier et non le moindre, il est un point que la jeunesse libanaise qui se lance dans le journalisme ignore en général: ce n'est pas une profession où l'on fait rapidement ou même lentement fortune à moins de... Nous n'allons pas soulever les cas d'exception où l'on peut faire fortune dans la presse. Il nous suffit de préciser que les journalistes au Liban - en général - sont de loin moins payés que leurs confrères en France, en Allemagne, en Grande Bretagne ou surtout aux Etat-Unis pour ne citer que ces pays là. Quelques chiffres à titre d'exemples: Le salaire mensuel dans un quotidien parisien ou un hebdo d'un rédacteur en chef varie de 40.000F. à 25.000F. (8.000 à 5.000$ US) sans compter de nombreux avantages. Celui d'un secrétaire de rédaction se situe entre 20.000 et 30.000F. (4.000 à 6.000$ US). Nous parlons ici d'une moyenne. Le rédacteur en chef et le Directeur du "Canard Enchaîné" touchent aux environs de 100.000F. par mois 20.000$ US... Et ceci n'est rien en comparaison de leurs collègues américains ou allemands. Une feuille dactylographiée d'environ 25 lignes est payée en France, un minimum de 100$ US (500F.) pour un pigiste. Les horaires de travail, la participation à l'entreprise (par exemple "Le Monde") l'avancement tout est clairement stipulé dans les contrats et la moindre infraction ou atteinte à un des droits sacrés du journaliste provoque un tollé général, sinon une grève. Ce n'est pas le cas au Liban.

MARY YAZBEK AZOURY.

Rdl du 25 Mai au 1er Juin 1996.