A SON AVIS, L’ETAT HEBREU A FERME LA PORTE A LA “PAIX DES AMES”

RABAB SADR CHARAFEDDINE:

NOUS DEVONS PRENDRE NOS DISPOSITIONS POUR FAIRE FACE A D’AUTRES AGRESSIONS ISRAELIENNES

“Le boycottage des législatives, est une erreur”.

Nous l’avons rencontrée à Tyr, dans l’une des institutions de l’imam Moussa Sadr dont un grand portrait est accroché au mur. Mme Rabab Sadr Charafeddine, sœur du dignitaire porté disparu depuis plusieurs années, la dirige depuis sa fondation en 1962. Elle nous entretient des origines de sa famille, de l’affaire Sadr, de l’historique des institutions de même nom, des prochaines législatives, de la manière dont cette famille y participera sur le plan des candidatures et des élections, sans manquer d’évoquer la dernière agression israélienne - les “Grappes de la colère” - et le drame de Cana; enfin, les possibilités d’instaurer la paix au Proche-Orient, disant en substance, à ce propos: “Depuis cette agression, la porte s’est définitivement fermée sur la paix des âmes, même si tous les Etats du monde signaient la paix des textes”.

ORIGINAIRE DU DJEBEL AMEL

En ce qui concerne les racines de la famille Sadr, la sœur de l’imam précise: “Notre grand-père vivait au Liban au temps des Ottomans; plus exactement, dans la région du Djébel Amel. Il s’acquittait de sa mission religieuse, au moment où il s’est exposé à des vexations d'ordre politique et a été emprisonné à St Jean d’Acre (Palestine). Les gardiens du pénitencier où il était détenu l’ont aidé à s’évader quand ils ont connu en lui un homme pieux et honnête. Dès son évasion, il s’est éloigné le plus possible et s’installa en Irak où sa famille ne tarda pas à se distinguer au sein de la communauté chiite. “Mon père, ajoute Mme Rabab Sadr, a émigré en Iran où il épousa la fille d’un dignitaire chiite, Hussein Kammi. En sa qualité d’homme de religion, il était tenu de revenir en Irak et de maintenir le contact avec les hautes instances religieuses de ce pays. Notre communauté a deux centres - comme le Vatican pour les catholiques: Qom et le Najaf qui forment les ulémas. Mon père faisait donc la navette entre l’Irak et l’Iran”.

J'AI OPTE POUR L’ACTION SOCIALE

- Votre frère, l’imam Moussa Sadr a fondé “Amal”: pourquoi vous êtes-vous éloignée de ce mouvement?

"Quand l’imam en assumait la direction, il me chargeait de tâches modestes. Après son absence, j’y ai pris une part active et assumé mes responsabilités. Par la suite et en raison de développements dramatiques, j’ai eu le sentiment que ma présence s’avérait inutile. “Quiconque ne parvient pas à se faire obéir, n’a pas d’opinion”, disait l’imam Ali. "Je me suis contentée de m’occuper des mêmes charges que du temps de mon frère. Mais cela ne signifie nullement que je suis éloignée de “Amal”, que je le boycotte ou que j’en suis séparée. “Puis, je tiens à préciser que l’imam Sadr en plus de son action politique, se dépensait aussi dans le domaine social et humain. Je défie quiconque de prouver qu’il agit davantage que moi dans ce domaine; je le dis avec fierté et en toute confiance”.

- Quelle est votre opinion de l’action sociale menée par Mme Randa Berri aux côtés du mouvement "Amal”?

"La multiplicité des centres sociaux profite à la société”.

- Comment qualifiez-vous vos rapports avec le président Berri?

“Ils sont excellents. Comme je l’ai déjà signalé, je me consacre à l’aspect social, sans m’adonner à la politique. Mais cela ne signifie pas qu’aucun des nôtres ne fera pas de politique. “Point n’est besoin de mentionner des noms. L’imam a des fils et moi aussi. Cependant, j’ignore quand les circonstances seront propices pour qu’ils jouent un rôle politique ou s’ils désirent le jouer”.

EN BONNE RELATION AVEC TOUTES LES PARTIES

- Auriez-vous des relations avec le “Hezbollah”?

“J’entretiens de bonnes relations avec tout le monde. Sur le plan religieux, il n’y a aucune divergence et je me retrouve avec ce parti dans bien des questions. Peut-être y aurait-il entre nous des divergences quant à la manière de traiter certains problèmes et ceci s’inscrit dans le cadre de la liberté de l’homme. "Mais ne revenons pas au passé; c’est une page qui a été tournée. Pour le moment, rien ne m’oppose à aucune partie, quelle qu’elle soit”.

- L’imam Moussa Sadr est-il encore vivant?

“Nous le considérons toujours en vie, s’il plaît à Dieu. Il est absent et nous attendons son retour, mais nous n’avons pas de preuves. Un homme comme (le colonel) Kazzafi commet des erreurs, telle celle de séquestrer l’imam et des cas pareils se sont déjà produits en Libye. C’est pourquoi, nous espérons que l’imam Sadr soit toujours vivant. Si la volonté de Dieu le permet, il reviendra”.

- Dans ce cas, comment avez-vous approuvé l’élection de l’imam Mohamed Mahdi Chamseddine, du moment qu’aucun indice ne prouve sa mort?

"Je voudrais rectifier ces renseignements: ce système dont vous parlez a changé à la demande de l’imam Sadr lui-même. En vertu de ce système, le président d’une instance religieuse prend sa retraite quand il atteint l’âge de 65 ans. L’imam Chamseddine ayant assumé les charges de vice-président du Conseil supérieur chiite, il était normal qu’il lui succède et tous nous lui proclamons notre loyauté.”

- Les rapports entre “Amal” et le Conseil supérieur chiite ne sont pas toujours au beau fixe et chacun d’eux prétend suivre la ligne de l’imam Sadr. Lequel s’en rapproche le plus?

"Je voudrais éclaircir ce point: s’il existe parfois des divergences de vues entre ces deux organismes ou entre ces derniers et moi-même, cela ne signifie pas que quelque chose nous divise. Chaque personne est libre d’exprimer son opinion et je suis fière de dire que la communauté chiite est la plus libérale dans ce domaine. Tous nous avons notre rôle et affirmons notre présence. Quant aux différends, nous les réglons entre nous”.

LES INSTITUTIONS DE L’IMAM SADR

Des institutions de l’imam Sadr, Mme Charafeddine dit avoir l’honneur de les diriger depuis longtemps, son frère lui ayant confié cette tâche en 1962. “Je continue à m’occuper des services humanitaires concernant les femmes et les jeunes filles. "L'association compte plusieurs centres: 1) une école d’infirmières du niveau du BT où 160 élèves sont inscrites; 2) l’école Az-Zahra qui s’occupe de 300 orphelins, leur nombre devant augmenter après le drame de Cana, beaucoup d’enfants ayant perdu leurs parents; 3) l’école de coupe et couture; 4) la garderie qui prend en charge 275 enfants âgés de 3 à 6 ans; 5) la pépinière agricole ou “maison verte” qui initie les jeunes aux travaux de la terre. “Nous subventionnons, aussi, six dispensaires répartis au Sud et une école professionnelle à Bir Hassan réservée aux veuves des martyrs qui s’y initient aux travaux manuels, à la coupe et couture, à la cuisine et aux occupations domestiques. Nous espérons pouvoir ouvrir, incessamment, un restaurant où les élèves nécessiteux pourront prendre leurs repas sans rien payer. Et ce, en coopération avec les ministères des Affaires sociales, de l’Education nationale et les Nations-Unies”.

NOS SOURCES D’AIDES

- Recevez-vous une aide de l’Etat et quelle en est la nature?

“Le ministère des Affaires sociales nous vient en aide dans l’école professionnelle et l’orphelinat. Nous obtenons, aussi, des bourses d’études du cycle primaire du ministère de l’Education, alors que le ministère de la Santé nous offre des médicaments qu’il prélève sur l’assistance médicale provenant de l’étranger. Mais toutes ces aides ne couvrent pas nos dépenses”.

- Qui vous accorde une assistance pour vous permettre d’aller de l’avant?

“Bien des donateurs, en plus des iftars du mois de Ramadan au cours desquels des aides en espèces et en nature nous parviennent de la part des communautés mahométanes et chrétiennes. Mais souvent, nous ne savons pas comment subvenir à nos besoins.” Des prochaines législatives, Mme Rabab Charafeddine dit qu’elle souhaite voir des éléments compétents et représentatifs accéder à la Chambre. “Je le souhaite, en particulier pour le Sud qui a tant enduré et payé pour le Liban et les Arabes.” Toujours est-il, qu’elle insiste sur la nécessité de nous préparer pour faire face à d’éventuelles agressions israéliennes.

LE LIBAN FORME LA GRANDE FAMILLE DE L’IMAM SADR

- La famille Sadr envisage-t-elle de soutenir la candidature de quelques-uns de ses membres aux élections?

"Nous étudions cette éventualité. Ici, je voudrais dire que nous n’aimons pas seuls être présentés comme la famille de l’imam Sadr, car nous ne formons pas seuls cette famille. Tout le Liban peut se prévaloir de ce titre. Preuve en est, quand la catastrophe de son absence s’est produite, nous n’avons pas traité cette affaire sous l’angle uniquement familial, mais du point de vue libanais et national”.

- Si on vous proposait de faire partie d’une liste forte, quelle serait votre réponse?

"J'avais reçu une telle proposition en 1992 et, aussi, on m’a proposé de faire partie de plus d’une équipe ministérielle. J’ai répondu que je n’avais aucun désir d’exercer une telle activité. Mais cela ne veut pas dire que la famille Sadr n’a pas l’intention de désigner un représentant dans un proche avenir.”

- Votre époux ne s’adonne-t-il pas à la politique?

“Pas du tout, mais il n’en est pas éloigner et il fait partie d’une famille ayant sa position au triple plan politique, religieux et social. Il joue un grand rôle au sein de son groupe familial et sur le plan personnel. Sans son encouragement et son appui, je n’aurais pu m’acquitter de mes responsabilités sociales. Ses expériences dans le domaine pédagogique et de l’enseignement pendant de longues années me sont d’un grand secours”.

LE BOYCOTTAGE EQUIVAUT A L’ISOLEMENT

- Que pensez-vous de l’appel au boycottage du scrutin lancé par une fraction de l’opposition?

"Les opposants auraient dû plutôt changer leur attitude car, à mon avis, le boycottage équivaut à l’isolement. Nous vivons dans cette patrie et devons nous soumettre à ses lois. Il est possible que par notre participation, nous pouvons contribuer à changer la situation et l’améliorer. Les questions nationales doivent être placées au-dessus de toutes les considérations”.

- Le Sud a beaucoup enduré de l’agression israélienne d’avril dernier. Comment évaluez-vous les conséquences de cette opération au triple plan, intérieur, régional et international?

“Sur le plan international, pour la première fois Israël n’a pu couvrir ses crimes. Si les Etats-Unis persistent dans leur appui à l’Etat hébreu, c’est une autre affaire, mais du point de vue mondial, l’opinion internationale a pris conscience de la véritable dimension de la criminalité d’Israël, suite aux détails que nous avons fournis aux organisations humanitaires. Nous avons accompagné leurs représentants dans les villages sinistrés. "Sur le plan interne, les opérations militaires de l’ennemi ont engendré en plus des tués, des blessés et des dégâts matériels, 72 cas de maladies psychiques proches de l’hystérie. De plus, la vague de mécontentement ne cesse de grandir, en raison de la carence officielle, l’Etat n’assurant pas la protection requise aux populations civiles. "L'opération “Grappes de la colère” a été plus destructrice que la guerre de 1978 et l’invasion de 1982. En dépit de cela, les Sudistes ont résolu de ne pas déserter leurs maisons et leurs terres, quoi qu’il arrive. Etant entendu qu’ils ont été bien accueillis par tous leurs frères libanais dans toutes les régions et par toutes les communautés.”

DES ERREURS ONT ETE COMMISES DANS LA DISTRIBUTION DES SECOURS

- Qu’auriez-vous à dire de la manière dont ont été distribuées aux sinistrés les aides reçues de l’étranger?

"J'apprécie beaucoup l’action de l’Etat qui s’est montré, pour la première fois, au niveau de la responsabilité. “Quant aux associations à qui a été confié le soin de distribuer les secours, certaines d’entre elles se sont comportées honorablement et d’autres ont cherché à en tirer profit; c’est leur problème et je n’ai pas à les juger. Oui, de grandes erreurs ont été commises qui auraient pu être évitées.” De la qualité des services actuellement rendus aux Sudistes, Mme Charafeddine admet qu’elle est en nette amélioration en ce qui concerne l’électricité et les routes. “Cependant, dit-elle, il reste à assurer des prestations nécessaires aux agriculteurs et aux citoyens de condition modeste pour les aider à mieux résister. Jusqu’à présent, il n’y a pas d’abris qui sont, pourtant, une nécessité impérieuse. "Puis, il existe une véritable crise au niveau hospitalier au Sud; nous en avons touché du doigt l’acuité, depuis le drame de Cana, surtout après que la route de Tyr devint impraticable en raison de son pilonnage quasi-permanent par les canonnières israéliennes croisant au large.” Notre interlocutrice rend hommage à la Première Libanaise qui consacre chaque année une journée aux orphelins du Sud. Comme nous lui demandons la raison pour laquelle Mme Randa Berri ne rendait pas visite aux institutions de l’imam Sadr, elle se contente de répondre: “Posez-lui la question”...

ISRAEL NE CROIT QU’EN LA LOGIQUE DE LA FORCE

A propos des rumeurs attribuant à Israël l’intention d’évacuer le Liban-Sud, Mme Rabab Charafeddine émet ces réflexions: “Israël ne croit qu’en la logique de la force. Dieu merci, cette logique existe maintenant au Liban, grâce à la résistance des Sudistes et à l’appui que le Pouvoir apporte aux résistants. Il n’y a pas un moyen autre que la résistance pour faire entendre raison à Israël." - En tant que Sudiste, comment concevez-vous la paix et, est-il possible, à votre avis, de normaliser les relations entre les Arabes et les Israéliens? “La paix a été décidée, internationalement et son processus finira par redémarrer et aboutir. Mais la paix peut-elle être une simple décision internationale à mettre en application? Et est-elle possible entre les âmes? Telle est la question. "Croyez-moi, après les “Grappes de la colère”, la normalisation est devenue impossible. J’avais engagé l’Etat avant la dernière agression, d’œuvrer sur deux voies parallèles: d’un côté, négocier en vue d’instaurer la paix au plan extérieur et, de l’autre, préparer les âmes à accepter la paix. Malheureusement, l’agression d’avril a définitivement fermé la porte à la paix des âmes. “Israël est responsable de cet état de choses, parce qu’il ne croit qu’au principe de la force. Je le dis en tant que citoyenne sudiste vivant sur le terrain et observant ce qui s’y passe”...

(Propos recueillis par HODA CHEDID)