DE SAINT-LOUIS A CHIRAC

UNE CHALEUREUSE AMITIE ENTRE DEUX PEUPLES

Pour saluer la prochaine visite du Président de la République française Jacques Chirac (prévue pour le 24 octobre prochain), et en hommage à son action soutenue en faveur du Liban, nous publions cette intéressante étude historique sur les relations pluriséculaires entre la France et le Liban; étude réalisée par Me Antoine Akl pour le “Spécial Liban” de la “Voix de France”, magazine de l’Union des Français de l’Etranger.

Les relations du Liban avec la France remontent à Saint Louis, le Roi canonisé. C’est en 1248 que le roi de France débarqua sur l’île de Chypre qu’il avait choisie comme point de ralliement de la nouvelle croisade. Saint Louis trouva à Chypre une colonie de 182000 Maronites qui lui firent un accueil enthousiaste, et 5000 de leurs soldats se joignirent à lui dans sa conquête de l’Egypte: 102 seulement en seraient revenus (1). Capturé et emprisonné à Mansourah, Saint Louis demanda des secours au Liban, et c’est grâce aux renforts venus du pays des Cèdres que les Sarrasins libérèrent le Roi (2). C’est à cette occasion que Saint Louis adressa aux Maronites une lettre historique, (traduite du latin en français et en arabe) conservée précieusement dans les archives des Maronites (3). Le Roi fit également don de sa Crosse à l’Ordre des Moines Maronites Contemplatifs en signe d’amitié et de reconnaissance (4). Les Croisés, appelés “Franj”, ont laissé des vestiges architecturaux durables au Liban. Des châteaux s’échelonnent, de Saint Gilles jusqu’à Beaufort, en passant par Byblos et Saïda. Ils ont laissé surtout des églises comme Sainte Marie de la Tour à Tripoli, Saint Jean-Marc à Byblos, la future Grande Mosquée de Beyrouth, la Cathédrale de Tyr. Ils ont conjointement construit des monastères dont le plus impressionnant est celui de Balamand (Belmont). D’une extrémité à l’autre du pays se dessina ce que l’on peut appeler un “Art Croisé”.

Crosse de Saint-Louis.

DE FRANÇOIS Ier A HENRI IV

Si la présence bi-séculaire des “Franj” a laissé des vestiges présents jusqu’à nos jours, elle fut brutalement interrompue après la chute de Tripoli et de Saint Jean d’Acre en 1291 et donna prétexte à des persécutions qui devaient durer longtemps. Les Libanais durent attendre l’avènement de François Ier pour qu’en 1536, un traité d’alliance avec le Sultan Turc Souleiman le Magnifique soit signé. Par ce traité, le roi obtint la mission de protection des Chrétiens et des Lieux saints. Ce traité fut signé quelques années après que l’émir du Liban, Fakhréddine Al-Maani Ier eut, en 1516, la sagesse de se ranger du côté des Turcs lors de la bataille du Sultan Sélim Ier contre les Mamelouks à Marj Dabek, près d’Alep. Ainsi, lorsque le roi Henri IV renouvela, en 1603, ces “Capitulations”, en améliorant leurs clauses en faveur de la France, l’Emir Fakhréddine II en profita pour étendre son autorité et ses alliances de Beyrouth à la Békaa, et de la Galilée aux portes d’Alep. Quarante six ans plus tard, lorsque l’évêque de Tripoli, Ishac Chédrawi, exposa les malheurs de sa communauté à Mazarin, il obtint les lettres de protection du 28 avril 1649 par lesquelles le jeune Louis XIV “empereur des Français” promet la sauvegarde spéciale au Patriarche, aux ecclésiastiques et à tous les chrétiens du Mont-Liban, et prie les “Pachas et Officiers de sa Hautesse le Grand Turc”, de favoriser et assister ses protégés. Sur ce, lorsqu’en 1860 le carnage des Chrétiens fut perpétré au Chouf du Mont-Liban - 11000 assassinés, et à Damas, 5000 autres égorgés avec la complicité active des Ottomans -, la France se soucia très peu d’avoir combattu en Crimée aux côtés des Turcs, quatre ans plus tôt. Napoléon III envoya une expédition ayant à sa tête le général Beaufort d’Hautpoul qui rétablira le calme, rassura les rescapés, facilitera leur retour, aidera à la reconstruction des villages tout en ayant la sagesse de ne pas exercer de représailles. A la suite de ce massacre, la France s’efforcera pour faire aboutir le Protocole du 8 juin 1861 d’établir le régime du Moutasarrifiat et veiller au respect de la Charte.

A LA FAVEUR D’UNE TRAHISON

La guerre de 1914 - 1918, signifiait pour les Libanais la perte de l’autonomie consentie en 1861, l’abrogation des Capitulations et la chasse aux amis de la France. Le Gouverneur Turc, Jamal Pacha, déchaîne ses sbires contre ceux qui avaient entretenu des relations étroites avec le Consulat de France. La liste en fut trouvée, à la faveur de la trahison d’un employé, dans les archives de Georges Picot: chrétiens et musulmans, avec à leur tête le R.P. Youssef Hayek, et les deux frères Khazen sont condamnés à mort et pendus place des Canons en août 1915, et le 6 mai 1916. Le prêtre avant de rendre l’âme, cria trois fois “Vive la France!”. D’un autre côté, la France a consenti un emprunt au PATRIARCAT Maronite de 50000 francs or et 24000 livres sterling or qui furent acheminés, avec deux millions (2.000 000) de francs or envoyés par les émigrés libanais à leurs parents, par les soins du Gouverneur de l’île de Rouad, Albert Trabaud, capitaine de la Frégate Jeanne d’Arc (5). C’est ainsi que l’action de la France a favorisé la constitution d’une identité libanaise autour des Emirs Maan, des Emirs Chéhab et autour du Patriarcat Maronite, qui contiendra le germe d’une nation autonome et d’un Etat indépendant futur.

Couvent de Saint Antoine Kozhaya où se trouve la Crosse de Saint-Louis.

PROCLAMATION DU GRAND LIBAN

A la fin de la guerre, le Patriarche Maronite Elias Hoyek représentera toutes les communautés libanaises, chrétiennes et musulmanes, à la Conférence de la Paix à Versailles, et demandera, au nom de tous, le Mandat français. Le Général Gouraud proclamera, en 1920, l’Etat du Grand Liban avec ses frontières actuelles. Et la France nous dota de notre Constitution en 1926, ainsi que de toutes nos lois et nos institutions, car, après 402 ans de présence ottomane, les Turcs ne nous avaient presque rien légué en nous quittant. Lors de sa visite au Liban, le 28 août 1942, le Général de Gaulle annonça aux Libanais l’abolition du Mandat et la proclamation de l’indépendance. Ses paroles guideront les futures générations des Libanais et Français quand il proclama le 27 juillet 1941: “Si nous sommes heureux de prendre de nouveau contact avec le Liban, c’est d’abord parce que dans tout cœur de Français, le seul nom du Liban évoque quelque chose de particulier. Les Libanais, libres et fiers, ont été le seul peuple dans l’histoire du monde qui, à travers les siècles, quels qu’aient été les péripéties, les malheurs, les bonheurs, les destins, le seul peuple dont le cœur n’a jamais cessé de battre au rythme du cœur de la France”. Le Général n’hésita pas à bloquer toutes les ventes à Tel-Aviv de matériels militaires, même déjà payés, suite à l’attaque aérienne israélienne sur l’aérodrome de Beyrouth en décembre 1968. Plus récemment, le Président Chirac, dépositaire du flambeau gaulliste, a, par sa grande perspicacité, sa juste ténacité et sa détermination arrêté les raids aériens visant la destruction systématique du Liban. L’apport culturel de la France a été, est et restera des plus bénéfiques.

1) Notice historique sur l’origine de la nation maronite et ses rapports avec la France (l’Archevêque Nicolas Mourad, Paris 1844, p. 25 et suivants).

2) La France en Syrie(Denter, Paris 1860, 6.6).

3) Recueil des traités de l’empire Ottoman (Baron de Testa, t.III, P. 140). Mgr Nicolas Mourad, dans sa “Notice” déjà citée, p.27.

4) La Crosse de Saint Louis est exposée au Musée des Moines Balanites au Couvent Saint Antoine Kozhaya dans la vallée sainte de la Kadicha.

5) Lettre du commandant TRABAUD à Mgr. Paul Akl. portant récapitulation des sommes versées par la France. 6) (Le R.P. Sarloute, par Emile Jopin, éditions du Vieux Colombier, Paris, p.110 et 111).

L’ŒUVRE DES ENSEIGNANTS FRANÇAIS

Les ordres religieux, avec leurs enseignants français, hommes et femmes, ont ouvert des établissements près de la côte, puis pénétrèrent dans la montagne. C’est en 1734 que le prêtre maronite Boutros Moubarak, devenu jésuite, fonda le collège Saint Joseph d’Antoura, et confia sa direction aux jésuites. Ces derniers, dont la Compagnie fut dissoute en 1771, sont réhabilités et rouvrent leurs établissements à Beyrouth en 1831, puis à Ghazir et Zahlé. Ils fondent en 1847 l’Imprimerie Catholique, et en 1875 l’Université Saint Joseph qui ouvrira sa Faculté de Médecine en 1888, et l’Université de Lyon établira sa faculté de Droit et d’Ingénierie en 1913. Les Lazaristes reprennent le collège d’Antoura en 1834 et s’installent à Baalbek en 1840. S’ensuivit la venue de toute une lignée d’ordres religieux et d’enseignants qui dispensèrent leur savoir et leur science à travers tout le Liban: les Frères maristes (qui viennent de fêter leur centenaire), les frères de la Salle, les Capucins, et les pères Carmes. Ils furent suivis par les religieuses du Sacré Cœur, les sœurs de la Sainte famille française, les dames de Nazareth, les sœurs de Saint Joseph de l’Apparition, les sœurs de Besançon, les filles de la Charité de Saint Vincent de Paul. C’est dans ces écoles et facultés françaises que les Libanais reçoivent leur éducation depuis plus d’un siècle et demi, c’est grâce aux écoles tenues par les moines dans leurs couvents éparpillés dans les montagnes, et au Collège Maronite de Rome, créé en 1585 par le Pape Clément XIII, que les Maronites ont mérité le qualificatif de: “Savant comme un Maronite”. Il est à noter que, deux siècles avant l’arrivée au Liban des Ordres religieux français, les prêtres maronites, anciens du Collège Maronite de Rome, ont été appelés par les Rois de France, dès le début du XVII siècle, pour enseigner à Paris les langues orientales. Se succédèrent à la chaire d’Arabe, Turc, et Syriaque du “Collège de France”, les érudits Jébrayel As’Sahyouni, et Ibrahim Al’Haklani. Des écrivains et des artistes français prirent aussi le chemin du Liban: Volney, Lamartine, Châteaubriand, Pierre Benoît, Henri Bordeaux, Renan, Maxime du Camp, Gérard de Nerval et le peintre Horace Vernet. Partant de ce qui précède, nous sommes en droit d’affirmer qu’il est rare et exceptionnel que des relations de sympathie réciproque, et de chaleureuse amitié, aient pu perdurer entre deux peuples sept siècles et demi durant.

ANTOINE AKL