LES NOUVELLES FIGURES DU PARLEMENT

DEPUTE MARONITE DE LA BEKAA-OUEST

HENRI CHEDID:

“J’AI PU PERCER LA LISTE A CAUSE DE SES ANTAGONISMES”

Il aurait pu être moine: le voilà député de la Nation. Henri Chédid est originaire de Kherbet-Anafar dans la Békaa-Ouest où il est né en 1934. Il fait ses études primaires à l’école paroissiale que dirige son père, curé du village; poursuit les cycles complémentaire et secondaire, au couvent d’El-Oueize, chez Mgr Chédid, son oncle. Puis, il se rend au séminaire des Jésuites à Beyrouth et poursuit ses études théologiques et philosophiques à Rome. Mais peu de temps avant de faire ses vœux définitifs en tant que moine maronite mariamite, il se rend compte qu’il n’a pas vraiment la vocation religieuse. “Ma vocation, dit-il, est sans doute de travailler au service des gens à travers l’action politique”. De retour au Liban, il dirige le Centre Cortbawi à Dahr el-Wahch durant sept mois et décide de voyager aux Etats-Unis. A Washington, il fait des études en sciences politiques et économiques et enseigne à l’université même où il obtint son diplôme. Dans un troisième temps, il se rend en Arabie séoudite pour représenter plusieurs sociétés, dont la D.H.L. En 1979, il crée une branche de cette société au Liban. “En pleine guerre, précise-t-il, à partir de l’abri d’Achrafieh, nous avons rendu d’innombrables services”. Dès 1982, il s’installe, définitivement, au Liban avec sa famille et la D.H.L. se développe. Marié à une Américaine, ils ont trois enfants: l’aîné des garçons dirige la société; la fille est mariée en Amérique et, le benjamin âgé de neuf ans, poursuit ses classes au “High School” à Broumana. Ses hobbies: le tennis et la lecture de livres politiques, philosophiques et de romans.

PREMIERE TENTATIVE INFRUCTUEUSE EN 1992

Aux législatives de 92, suite à la création d’un siège maronite pour la Békaa-Ouest, Henri Chédid décide de poser sa candidature, à condition que tous les fils de son village natal l’appuient. Fort de ce soutien, il mène sa campagne en vingt-trois jours, visitant les 63 villages de la B.O. et de Rachaya. Il talonne de près le candidat de la liste adverse, le ministre Robert Ghanem qui sera élu. “L’accueil positif que j’ai reçu en 92, ajoute-t-il, m’a encouragé à poursuivre mon action politique et ma campagne électorale pour 1996 a commencé dès cet ins-tant,” affirme mon interlocuteur. “J’ai décidé de passer tous mes week-end dans la Békaa-Ouest circulant dans les villages, écoutant les doléances des citoyens, essayant de les aider dans la mesure du possible. Offrir, par exemple, une photocopieuse à une école, fournir du mazout à une autre, doter une troisième de livres de bibliothèque, soutenir les clubs sportifs, les associations humanitaires etc... Car il y a beaucoup à faire dans notre région sur le plan scolaire, médical et socio-culturel. “Ainsi, au cours des quatre années passées, j’étais présent auprès des fils de la Békaa-Ouest et à l’écoute de leurs doléances. Evidemment, ils ont appris à mieux me connaître et cela a porté ses fruits le jour du scrutin”.

- Vous exposez les raisons de votre réussite, alors qu’elle a été perçue comme étant due essen-tiellement à l’appui du “Hezbollah”. On vous qualifie, d’ailleurs, de “député maronite du Hezb”.

“Ceci n’est pas vrai! J’ai formé durant quatre ans une véritable assise électorale et j’ai obtenu à moi seul 40.000 voix. Par ailleurs, lorsqu’il fut décidé que les élections se feraient au niveau du mohafazat, j’ai sillonné les cazas de Zahlé et de Baalbeck-Hermel pour m’y faire connaître. Et j’ai reçu partout le même accueil”.

LES SERVICES RENDUS FURENT MON UNIQUE CAPITAL

- N’empêche que les intégristes et on les a vus, ont barré le nom du ministre Ghanem pour mettre le vôtre. Pourquoi?

“C’est la question que chaque citoyen doit se poser et en connaître la raison. Vous savez que Kherbet-Anafar n’est pas éloignée de Sohmor, Yohmor, Machghara, Klayha, Lebbaya... Nous traitons avec tout le monde comme une même famille, sans aucune différence, que Dieu nous délivre du confessionnalisme politique. Lors des attaques contre le Sud et la Békaa-Ouest, Henri Chédid et son équipe de travail étaient sur le terrain pour s’enquérir des besoins des gens en soins, nourritures, couvertures, avant même qu’arrivent les secours de l’Etat. C’est un travail humanitaire, qu’il s’agisse du “parti de Dieu” ou “du parti des anges”.

- On dit, surtout, que vous avez largement monnayé votre campagne et payé des millions au “Hezbollah”...

“Tant que ça! L’autre jour, à la fête nationale séoudienne, j’ai rencontré le président Charles Hélou qui m’a dit avec son humour fin et pertinent: “C’est vous qui avez tous ces milliards?” “Je peux vous jurer que je n’ai pas payé un sou au “Hezbollah”; les services rendus durant quatre ans furent mon unique capital. D’ailleurs, mon nom a figuré sur 90% des différentes listes de la Békaa”.

- On dit, aussi, que vous avez joui de l’appui des Syriens et que vous leur avez payé quelques millions aussi!

“ C’est une accusation bien grave à l’encontre des Syriens. A ma connaissance, ils ne “touchent” pas pour faire des députés et des ministres. Si quelqu’un peut le prouver, qu’il le fasse. “Les Syriens m’ont connu depuis 1992, ont observé mon action durant quatre ans et ont encouragé ma candidature me disant: “Présente-toi et que celui qui a le plus de chance soit élu”. Ils m’ont même dit que s’ils m’avaient connu avant 1992, ils auraient proposé mon nom pour les précédentes législatives”.

- N’est-ce pas pour tenir tête à Hariri que le Hezbollah et d’autres ont voté pour vous contre le ministre Ghanem?

“Il y a, d’abord, plusieurs considérations politiques qui ont agi contre le ministre Ghanem. “Je considère que toute explication qui ne se base pas sur la liberté et l’éveil de l’électeur békaiote est une insulte à son encontre. Certes, le président Hariri connaît Robert Ghanem depuis quinze ans, puisqu’il était l’avocat de sa société et a exercé des pressions pour qu’il passe. Mais la volonté du peuple était plus forte. Mon slogan électoral était, d’ailleurs, le suivant: “Sois convaincu; puis, vote”. Il y a eu, cette fois, un éveil de l’électeur libanais qui s’est manifesté, non seulement dans ma circonscritpion, mais dans toutes les autres.”

DANS LA BEKAA: PAS D’ELECTIONS SANS LE “HEZBOLLAH”

- Quelles sont vos relations avec Rafic Hariri?

“Je le connais depuis l’époque où j’étais en Arabie séoudite et le respecte en tant qu’homme d’affaires et de bien. En 91, je l’ai considéré comme le sauveur du Liban et, en tant que D.H.L., nous avons pris plusieurs initiatives afin de participer à la reconstruction du pays. “Mais d’un autre côté, je ne vois pas pourquoi le “rouleau-compresseur” doit mâter la volonté du peuple! Lors du vote; puis, du dépouillement, il y a eu plusieurs pressions, tentatives et comportements que je ne voudrais pas évoquer ici pour que le résultat soit à l’avantage du candidat adverse. Pour cela, nous avons réclamé au Sérail de Zahlé qu’on refasse le décompte des voix. Je peux vous dire, d’après nos propres calculs, que j’ai obtenu 19.000 voix de plus que ce qui a été proclamé. Que s’est-il passé? Nous ferons la lumière sur ce point plus tard”.

- Votre réussite prouve aussi que la liste du «rouleau-compresseur» n’était pas solidaire. Quelle est votre explication?

«J’ai pu percer la liste à cause de ses propres contradictions internes. Une réalité s’impose d’elle-même dans la Békaa: nul ne peut y faire de consultations populaires sans le «Hezbollah» qui demeure le plus gros bloc électoral; tous voulaient collaborer avec lui ou gagner sa sympathie. «Au Sud, la liste de coalition était compréhensible pour éviter toute confrontation. Dans la Békaa, elle fut imposée mais tout a des limites».

- Que pensez-vous de l’action du «Hezbollah» qui fut, après tout, votre principal supporter électoral?

«Tout d’abord, je suis persuadé du rôle de la résistance et c’est la politique déclarée de l’Etat qui l’appuie, ne serait-ce qu’en parole. «Nous l’appuyons dans les faits. Toute personne qui accomplit son devoir où qu’elle se trouve et quel que soit le poste qu’elle occupe, est en train d’appuyer la résistance. «Par ailleurs, ce que le «Hezbollah» réclame sur le plan des services: eau, électricité, routes, écoles, hôpitaux, l’Etat devrait les assurer aux citoyens en priorité, car ils constituent l’élément vital de toute résistance. «Maintenant, si les intégristes veulent instituer au Liban une République islamique, notre réponse est la suivante: si c’est par la force, ils devraient l’imposer à dix-huit communautés, ce qui nous paraît bien difficile. De même, je ne crois pas que cela puisse se faire par les moyens démocratiques. Si on laisse donc de côté le slogan de la République islamique, le «Hezbollah» serait un «fait» reconnu comme toutes les autres parties et fractions libanaises».

TRAVAILLER AU DEVELOPPEMENT SOCIO-ECONOMIQUE DE MA REGION

- Quel sera votre action prioritaire au parlement?

«Je voudrais, tout d’abord, préciser une chose: pour la première fois dans l’histoire de la Békaa, un maronite a formé une liste. Celle-ci - la liste de «fidélité à la volonté populaire» - comprenait sept candidats et disposait d’un programme. «La première chose que je ferai au parlement sera de proclamer mes biens et ressources avec toute la transparence voulue conformément à la loi sur l’enrichissement illicite». - Vous rejoignez l’attitude du député Boutros Harb! «Oui et d’autres parlementaires aussi. Le représentant du peuple doit être intègre et sincère dans son rapport avec les citoyens. Il est grand temps de lutter contre la corruption qui sévit partout».

- Revenons aux grandes lignes de votre action parlementaire!

«J’ai déjà appelé à la formation d’un bloc parlementaire békaïote autour d’un programme en vue du développement socio-économique et culturel de notre région. Car au-delà de l’appartenance partisane (PPS, Baas, «Amal», «Hezbollah»,) des différents députés de la Békaa, un dénominateur commun nous regroupe tous: le cumul des privations de ce mohafazat de 1943 à nos jours. Etant donné que nous représentons le cinquième du parlement, ne croyez-vous pas que si nous présentions un projet de développement pour la région avec un ordre de priorité bien définie, nous pourrions aboutir à quelque chose, aussi bien dans le domaine agricole que de la scolarisation et de l’hospitalisation? L’idée a reçu un accueil favorable et fait son chemin».

POUR LES MUNICIPALES SUR LA BASE D’UN NOUVEAU DECOUPAGE ADMINISTRATIF

“Un second problème qui me tient particulièrement à cœur: les élections municipales, sans lesquelles il ne peut y avoir un développement équilibré en fonction de projets étudiés et approuvés par l’autorité locale et du budget dont elle dispose. “Mais avant les municipales, il faudrait appliquer le processus de décentralisation administrative et faire en sorte que les présidents des municipalités soient choisis parmi les gens instruits. Sinon le développement équilibré restera un slogan, sans plus. “J’ajouterai deux questions essentielles: l’enseignement et l’hospitalisation gratuits, afin que chaque citoyen retrouve sa dignité. Il faut former l’homme avant de s’occuper de la pierre et chaque tunnel qu’on creuse à Beyrouth pourrait assurer l’enseignement de 100.000 élèves. “Certes, les projets d’infrastructure qui se font actuellement sont importants; ils n’ont jamais été faits et ne le seront plus jamais, mais il faut revoir l’ordre des priorités”.

POUR L’UNITE ECONOMIQUE ARABE

- De quel bloc parlementaire ferez-vous partie?

“Comme je vous l’ai dit plus haut, je préfère m’éloigner des courants politiques et travailler pour le développement de ma région et le service du peuple. Telle est ma priorité et ma devise. “Avec tout mon respect pour les partis politiques, je considère qu’ils ont échoué au Liban, car ils étaient, en majorité, à base confessionnelle et les autres, qui ne l’étaient pas, n’ont pu opérer une véritable mobilisation de l’opinion publique”.

- Certains craignent que l’actuel parlement proclame l’union avec la Syrie. Qu’en pensez-vous?

“Tout d’abord, pourquoi parler de crainte en évoquant une possible unité avec la Syrie ou même une unité arabe? Si elle devait se faire de force, ce serait un danger. Mais si elle se réalise comme en Europe, par la volonté et le respect de chaque peuple, sur base des intérêts communs, je ne vois pas où est la crainte? “Pour ma part, je suis favorable à une unité économique et je suis sûr que le président Assad travaille à réaliser cette unité entre le Liban et la Syrie pour en faire la plate-forme d’une unité arabe”.

DEFENDRE LES LIBERTES PUBLIQUES

- Approuvez-vous ce qui se passe dans le monde de l’audiovisuel?

“Certainement pas! La majorité de nos problèmes au Liban ne sont pas traités à partir d’un point de vue scientifique et réaliste, mais sur base de considérations politiques. Pourquoi ce partage qui engendre des problèmes et des crises politiques sans fin; est-ce dans l’intérêt du pays? D’autant plus que les libertés publiques sont à la base des composantes de la société libanaise. Il existe une loi sur les imprimés; pourquoi ne pas l’appliquer aux radios et télés et laisser libre jeu à la concurrence?”

- Une dernière question personnelle: Le fait d’avoir renoncé à rentrer dans les Ordres, vous a-t-il éloigné de la religion?

“Pas du tout! Je considère que les religions appellent toute à l’unité, à l’adoration de Dieu à travers le respect de l’homme, sa liberté et sa dignité. Toute religion qui s’éloigne de ces valeurs n’en est pas une. Faut-il rappeler que les trois religions célestes sont parties de cette région du monde? “Ceci m’amène à évoquer un problème crucial au Liban: le confessionnalisme politique dont il faut se libérer. Il importe d’éloigner la politique de la religion afin de préserver nos valeurs et la spécificité du Liban à travers ses communautés. “Pour cela, je suis favorable à la création, dès à présent, d’un sénat où toutes les communautés religieuses seraient représentées, pour laisser au parlement un rôle politique. Je suis de même favorable à la laïcité. Il est temps d’édifier un Etat moderne capable de répondre aux exigences et impératifs du troisième millénaire”.

NELLY HELOU.