POINT DE VUE

NEVEU DU REGRETTE GENERAL-PRESIDENT

ABDALLAH CHEHAB:

“POUR MON ONCLE, LA POLITIQUE ETAIT SYNONYME DE FRANCHISE ET DE TRANSPARENCE”

Candidat aux dernières législatives dans la circonscription du Kesrouan, la chance ne lui a pas souri. Mais l’émir Abdallah Chéhab ne manifeste aucun sentiment de regret ou d’amertume. Ce n’est pas un passionné de la politique, loin de là, mais il se doit de marcher sur les traces de son illustre oncle paternel, le général-président Fouad Chéhab qui, le premier au Liban, a instauré l’Etat des institutions. Il a annoncé sa candidature de la résidence à Jounieh de l’ancien président de la République dont la personnalité hors de pair, inspire son action. Ingénieur civil ayant fait ses études à l’Ecole supérieure d’ingénieurs de l’USJ (promotion 1971), il est marié et père de cinq filles. Il a exercé sa profession dans le secteur privé jusqu’en 1976, date à laquelle il a été nommé ingénieur à la municipalité de Jounieh; puis, directeur général des chemins de fer et des transports en commun jusqu’en 1993; enfin, directeur général du Conseil exécutif des grands projets de Beyrouth. Il a démissionné de ce poste, dernièrement, pour pouvoir poser sa candidature aux élections générales.

Au moment où le président Chéhab a accédé à la magistrature suprême, Abdallah Chéhab avait douze ans et, en dépit de son jeune âge, il a pu suivre dans une certaine mesure l’activité de son oncle qui est son idéal d’homme d’Etat. “J’ai appris de lui, dit-il, le vrai nationalisme éloigné de la démagogie et la franchise dans l’action publique”.

POLITIQUE SYNONYME DE FRANCHISE

- La politique est-elle, comme on la présente, l’art du possible?

“Pour les Chéhab elle est synonyme de franchise et de transparence. C’est l’abnégation totale au service de la patrie. Ainsi, nous avons compris la politique dès notre enfance et le président Chéhab l’a traduite pratiquement sur le terrain”.

- On constate que vous avez assumé des fonctions publiques après la fin du mandat présidentiel de votre oncle...

“Il n’a rendu aucun service, sur ce plan, à ses proches. En fait, nous ne lui avons demandé aucun service, parce que nous connaissions sa réponse à l’avance. Il est de notoriété publique que Fouad Chéhab a vécu et est mort pauvre. Il vivait modestement comme un ermite”.

- Vous encourageait-il à vous adonner à la politique?

“Pas du tout. Il n’encourageait pas ses proches ni à faire de la politique, ni à fréquenter les politiciens et surnommait certains d’entre eux les “fromagistes”.

- Approuvez-vous la conception que votre oncle avait de la politique?

“A cent pour cent”.

- Et où la politique, telle que la concevait le général Chéhab, l’a-t-elle conduit?

“Elle lui a ouvert largement la porte de l’Histoire et lui a valu une réputation sans tache et cela lui suffit”.

FREINER LA DEGRINGOLADE

- Pourquoi avez-vous brigué un siège au parlement?

“Pour tenter de freiner la dégringolade...”

- Qu’entendez-vous par là?

“La dégringolade dans tous les domaines, au plan national, de la dignité, de la décision, de l’indépendance, du rôle d’avant-garde, de la souveraineté, de la convivialité, du mieux-être...”

- Quand avez-vous entamé, effectivement, votre vie politique?

“J’ai commencé à m’y adonner en 1964”.

- Etiez-vous proche du président Chéhab et de l’action qu’il entreprenait dans les divers secteurs de la vie publique?

“Entre 1970 et 73 date de son décès, je me séparais rarement de lui et passais le plus de temps possible à ses côtés”.

IL PRESSENTAIT LES EVENEMENTS DE 1975

- Quel était, alors, les sujets de vos conversations?

“Nous parlions des questions de l’heure et celles qu’il traitait au moment où il assumait les hautes charges présidentielles”.

-Manifestait-il de l’appréhension quant à l’avenir du Liban?

“Il n’était pas rassuré. Croyez-moi , il a vécu les journées noires dont devait pâtir par la suite le Liban, comme s’il avait pressenti par son sixième sens les douloureux événements de 1975”.

- Comment pourriez-vous résumer la personnalité de Fouad Chéhab?

“Il était très attaché aux préceptes de la religion et vouait une adoration spéciale au Christ et à la Vierge. Sa conscience était toujours en éveil et, aussi, c’était un bûcheur, capable de travailler toute la journée. Il souhaitait que la journée compte plus de 24 heures. “Il était renfermé sur lui-même, sans doute à cause de sa formation militaire. Il préférait entendre les autres parler et n’était pas loquace”.

IL M’A INCULQUE LA MODESTIE

- Vous a-t-il entretenu de la plus importante époque de sa vie?

“Oui, c’était au moment de la restructuration de l’armée. Il faisait partie, alors, des Forces du Levant au temps des Français, celles-ci comptant plus de 250.000 soldats”.

- Quelle influence a-t-il laissé sur votre personnalité?

“Le sérieux, la franchise, la dignité, la modestie et l’abnégation. Son obsession était de préserver les biens de l’Etat, sans laisser subtiliser ne serait-ce qu’une piastre des deniers publics”.

- Qu’est-ce qui, à votre avis, a occasionné votre échec aux législatives?

“Le manque de préparation; je n’ai pas eu suffisamment de temps pour mener ma campagne électorale comme je le souhaitais. Je n’ai pu effectuer toutes mes tournées et mes visites. Or, les gens doivent connaître quiconque sollicite leurs suffrages et offre de les représenter au parlement”.

- Puissiez-vous vous rattraper en l’an 2.000

“Sans nul doute. Je mènerai la bataille électorale avec la foi en Dieu et en la patrie, conformément à un programme clair. Je serai un livre ouvert où l’électeur pourra lire toute chose. J’ai été élevé sur la franchise et l’électeur doit m’accepter tel que je suis, en tant que copie conforme de la famille”.

JE COMPTE SUR DIEU ET SUR LA LUCIDITE DES KESROUANAIS

- Vous avez devant vous quatre années pour bien vous préparer...

“Je compte sur Dieu, sur moi-même et sur la lucidité du peuple kesrouanais. Cette fois, je prendrai mon temps pour exposer mes vues et mon programme”.

- Auriez-vous des griefs à formuler à propos du déroulement de l’opération électorale?

“J’ai maints griefs à formuler. Ils ont agi par tous les moyens et dans tous les domaines pour faire échouer la liste de Kesrouan-Ftouh... Ils ont mobilisé toutes les forces contre nous; ont entravé la rectification des extraits de l’état civil des personnes de notre bord. Puis, nous n’avons pas reçu les listes d’électeurs au moment voulu pour pouvoir les mettre au point. Des forces déterminées sont intervenues contre nous”.

- Le fait d’avoir proclamé votre candidature à partir de la résidence de votre oncle, a-t-il produit quelque impact sur l’électorat?

“Un impact positif, sans nul doute, car beaucoup de citoyens approuvent la politique de Fouad Chéhab au plan du développement et national. Je suivrai cette politique si je parviens à me faire élire plus tard et je tenterai d’en être la copie conforme sur le plan du nationalisme, de la franchise, de l’attachement à ma patrie et à ma circonscription, l’intérêt public devant être placé au-dessus de l’intérêt personnel”.

- Autrement dit, vous suivrez l’exemple du président Chéhab et resterez pauvre?

“L’argent seul ne rend pas heureux et riche, sans la moralité, l’abnégation et le nationalisme. Il existe d’autres données que l’argent”.

JE VIBRE AVEC LE PEUPLE

- Vous avez dit que le président Chéhab était quelque peu renfermé et replié sur lui-même. Etes-vous à son image?

«Comme le président Chéhab, je vibre avec le peuple qui, s’il avait connu de près l’ancien chef de l’Etat, aurait réalisé à quel point il était proche de lui. «Nous vivons nous les Chéhab d’une manière ordinaire. A la fin de son sexennat, le président Chéhab avait monté un atelier de menuiserie où il occupait ses moments de loisir en même temps qu’au jardinage. Je peux vous montrer cet atelier où tout l’outillage est conservé. «Les gens ne savent pas que le président Chéhab répartissait toutes ses indemnités entre les nécessiteux. S’il était replié sur lui-même, et tout le monde en connaît la raison, il projetait d’édifier un Etat dans le plein sens du terme».

- Auriez-vous des liens politique?

«Pas du tout, ni sur le plan local, ni sur le plan extérieur. Je suis affranchi de tout ce qui se rapporte à la petite politique. Mon principe est que la patrie est à tous ses fils, aucun Libanais n’ayant de mérite sur l’autre que dans la mesure où il sert sa patrie et l’intérêt national».

IL FAUT RENFORCER LA CONFIANCE DU CITOYEN DANS SA PATRIE

- Comment redresser la situation?

«En ce qui me concerne, je m’inspire de la ligne nationale suivie par le président Chéhab. Je commencerai par trancher la tête de la zizanie et empêcher de faire prévaloir une partie des citoyens sur l’autre. Il faut mobiliser toutes les possibilités de la patrie pour assurer le bien-être au peuple libanais. Chaque citoyen a des droits et des obligations. Enfin, il importe de renforcer la confiance du citoyen dans son pays».

- Etes-vous en faveur de l’abolition du confessionnalisme?

«Ce serait préférable, si nous le pouvions, car l’affiliation doit être pour la patrie, non pour la religion et la communauté».

- Comment convaincre les Libanais qui se sont expatriés de revenir?

«Tous les Libanais sont supposés réintégrer la mère-patrie, pour contribuer à sa reconstruction, participer à la vie politique et édifier le Liban sur des bases saines, loin du confessionnalisme, du sectarisme et du régionalisme; avec une seule logique visant à servir le Liban. «Tous les Libanais doivent revenir. On doit réaliser la réconciliation générale et faire bénéficier tout le monde d’une amnistie, afin de pouvoir repartir de nouveau. Je lance un appel aux responsables, le président Elias Hraoui en tête, pour leur demander de jouer ce rôle et d’assumer cette mission qui paraît difficile, mais non impossible, si on a la volonté d’édifier un pays digne de ce nom».

- Quelle est donc, à votre avis, la solution?

«Elle est entre les mains de l’Etat qui doit dissiper toutes les causes de tension, réconcilier toutes les parties pour instaurer la paix civile».

- Et qu’en est-il des personnes déplacées?

«Je ne comprends pas qu’il y ait des déplacés dans leur patrie. Tous les efforts doivent se concerter pour fermer ce dossier le plus tôt possible, car c’est une honte à extirper de notre Histoire. Cette blessure doit enfin se cicatriser et le problème des réfugiés doit être maintenu loin de la politique pour constituer un sujet indépendant de tous les autres».

LES USA DOIVENT CONTRAINDRE ISRAEL A FAVORISER LA PAIX

- En dépit des indices peu encourageants, prévoyez-vous quelque éclaircie à l’horizon par rapport à la crise proche-orientale?

«La solution dans la région n’est à la portée ni du Liban, ni des Etats arabes, mais des Etats-Unis et d’Israël. Washington devrait contraindre Tel-Aviv à appliquer les résolutions internationales, en tête desquelles la 425. «L’Amérique a déjà œuvré dans ce sens et il lui reste à parachever son initiative, pour prévenir une plus grande dégradation de la conjoncture. «Doit-on rappeler que la base de la paix a été définie à Madrid, à savoir: le principe de la terre contre la paix? Les idées de Netanyahu et des partis religieux ramènent Israël cent ans en arrière. S’il veut vraiment vivre en toute tranquillité dans cette région du globe, le peuple israélien est tenu de respecter les aspirations de ses habitants et leur souveraineté sur leur terre. «Je suis en faveur d’une paix juste et globale, seule acceptable».

- Israël fermera-t-il le «tunnel de la discorde» qui a ravivé la tension en Palestine?

«Il fermera le tunnel provisoirement, peut-être, mais ne renoncera pas à sa politique faite de duplicité. Ce peuple est étrange: il se plaît à fomenter les troubles et à provoquer les crises. Il veut la paix avec les Arabes et refuse de restituer leurs territoires. Les juifs sont tenus de vivre en parfaite homogénéité avec les autres peuples, car la paix de la force n’en est pas une, ni la paix des gouvernants. Seule la paix des peuples est appelée à durer».

(Propos recueillis par JOSEPH MELKANE)