BIOGRAPHIE

KARAM MELHEM KARAM

LE JOURNALISTE, L’ECRIVAIN, LE ROMANCIER ET L’HOMME

Trente-sept années se sont écoulées aujourd’hui depuis la disparition de Karam Melhem Karam, “prince du roman arabe”, ainsi que l’a surnommé Mahmoud Taymour. Il est décédé à l’âge de 57 ans passés dans la Presse, le monde de la pensée et des lettres. Il a écrit mille quatre-cents romans, mille deux-cents ayant été publiés dans un hebdomadaire: “Alf Layla Wa Layla” (Mille et une nuits) et 400 volumineux ouvrages sur l’Histoire des Arabes et de l’Islam: “un conte et une histoire”. Il a fait paraître “Al-Assifa”, “Alf Layla Wa Layla” et “Al-Asrar”, hebdomadairement. Karam est l’homme de lettres le plus productif au monde. Honoré de Balzac est considéré comme l’écrivain le plus fertile, parce qu’il a écrit quarante romans et Alexandre Dumas, comme le plus prolixe pour avoir rédigé cent romans. Que serait-ce de Karam Melhem Karam? Selon la légende, Shehérazade a relaté mille et une nuits. Karam l’a surpassée en écrivant mille et deux romans dans une production hebdomadaire ininterrompue, en plus de 400 livres de grand format.

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Karam Melhem Karam est né en 1903 à Deir el-Kamar. Son père, Melhem Karam, était né à Mazraat el-Chouf et sa mère Soussane, à Deir el-Kamar. Il a fait ses études primaires à l’école des Frères maristes de Deir el-Kamar et les a poursuivies au collège de la même congrégation à Jounieh; puis, au collège antonin à Baabda. Il se distinguait en littérature et en philosophie occidentales, matières où il occupait la première place. Parfois, et ceci est évoqué non sans surprise, il occupait la seconde place en littérature et en langue arabes, Dès son jeune âge - il pouvait avoir, alors, 9 ou 10 ans - il était naturellement porté vers le conte et la narration. Il réunissait ses camarades dans la cour de l’école ou en chemin à leur retour au foyer, pour leur relater une histoire que sa mère ou sa grand-mère lui avait contée, croyant ainsi les forcer à l’écouter, sans oser dire qu’il était l’auteur de l’histoire. Il se réjouissait de voir ses camarades prêter une oreille attentive à ce qu’il leur racontait. De plus, il s’efforçait de rendre son histoire de plus en plus réaliste et attachante. Il l’améliorait chaque fois, alors qu’il avait atteint l’âge de 15 ans. Son instituteur en grammaire et rhétorique, Naoum Ephrem Boustany, qui publiait à Deir el-Kamar le journal “Deir el-Kamar”, l’encouragea à collaborer avec lui, après avoir détecté en lui un talent prometteur. Karam s’est adonné, alors, au travail journalistique littéraire. Une fois, son maître ayant dû s’absenter, lui confia le soin de rédiger le journal et de le faire paraître. Il s’en est si bien tiré, qu’à son retour, son maître l’a félicité et encouragé à persévérer dans la même voie. Jugeant exigu le champ d’activité à Deir el-Kamar, il a écrit à certains journaux de la capitale qu’il lisait régulièrement. Ces derniers ont publié ses premiers articles, ce qui l’a réjoui et encouragé davantage. Un jour qu’il se trouvait dans la joaillerie de son oncle qui désirait l’orienter vers le métier de bijoutier, il reçut une lettre du journal “Al-Bark”, dont le propriétaire était Béchara el-Khoury, (Al-Akhtal As-Saghir). Celui-ci lui demandait de se joindre à son équipe rédactionnelle. Il s’est empressé de fermer la bijouterie de son oncle et d’en remettre ses clés aux voisins pour gagner en toute hâte la capitale. Son oncle le retenait souvent dans son magasin et le chargeait d’un travail pour l’initier à cet art, mais dès qu’il s’absentait, Karam se mettait à écrire et lorsque son oncle le surprenait la plume à la main, il désespérait de convaincre son neveu d’opter pour son métier. A Beyrouth, Karam s’est consacré à l’écriture, prenant en charge la rédaction de maintes publications et n’a pas tardé à devenir le rédacteur en chef d’un certain nombre de journaux. Il lui est même arrivé de rédiger trois quotidiens en même temps, écrivant trois textes pour chacun d’eux: l’article principal, le commentaire local et un autre de politique extérieure.

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Puis, il a fondé la revue “Alf Layla Wa Layla”, la consacrant au roman et ne traitant aucun autre genre littéraire. Revue hebdomadaire, elle publiait un roman complet et un feuilleton à épisodes. Au début, il s’inspirait des écrits d’autres romanciers, mais peu de temps après, il éprouva le désir de rédiger lui-même ses romans. Ainsi, il a écrit pendant vingt-et-un ans dans “Alf Layla Wa Layla” jusqu’à totaliser 1.002 romans, ce qui constitue un record dans ce domaine. A l’époque, le roman dans le monde arabe était assimilé à une histoire, une nouvelle ou une anecdote. Karam lui a établi une structure, a réuni les éléments en leur insufflant une âme. Ce fut le roman riche, tel que nous le comprenons aujourd’hui. Il a publié près de 400 livres, la plupart d’entre eux étant des romans, les plus importants parmi ceux qui ont été édités ont pour titres: “Damaat Yazid” - “Sakr Koraich” - “Bouna Antoun” - “Intikâm Al-Khayzarâne” - “Oum Al Banine” - “Yousra Chamoun” - “Achbah Al-Kariat” - “Jafaf Az-Zaizafoun” - “Atiaf Min Loubnane” “Ach-Cheikh Karir Al-Aïn” - “Al-Lahn Ach-Charoud” - “Al-Majnoun” - “Ad-Dafaf Al-Homr” - “Sarkhat Al-Alam” - “Kahkahâte Aj-Jazzar” - “Ar-Rahiba Hindiyé” - “Abou-Jaafar Al-Mansour” - “Kitaf Al-Anakid”... Il s’agit de recueils de contes, de romans et d’articles. D’autres sont sous-presse: “Yakzat Ar-Ramâd” - “Al-Jiyah Al-Moucharradoun” - “Al-Massakine” - “At-Tahissâte” - “Amirat Alal Amir” - “Zalfa Okht As-Soukhour” - “Afraa” - “Loubna Zat At-Touyoub” (romans) “Off Lin-Nass”, série d’études sur les mœurs... Et d’autres encore dont une élite d’hommes de pensée supervisent la publication. Le dernier ouvrage qu’il rédigeait traitant de la philosophie et de sujets socio-psychologiques, il l’avait intitulé: “Off Lin-Nass”. Il en écrivait le préambule dont il voulait faire une étude socio-philosophique, mais il est décédé avant de l’achever. Karam a écrit deux livres sur l’Histoire arabe sous le titre général : “Roman et Histoire”, en y insérant la plupart des événements de l’Histoire des Arabes.

SON STYLE

Il se distinguait par la puissance de l’évocation et la capacité de choisir les termes adéquats. S’il lit un roman de Karam dont l’action se déroule dans le désert, le lecteur se sent vivre dans une région désertique sur le plan du climat, de l’environnement et du dialogue. S’il lit un roman sur le village, le lecteur s’imagine le village avec ses us et coutumes et son train de vie. Karam a excellé dans la description du hameau libanais mettant en relief la fierté, la dignité, la simplicité de ses habitants et leur souci de préserver la valeur. Et ce, sans forfanterie et rien de factice, mais avec naturel et réalisme. S’il lit un roman sur la ville, le lecteur se sent vivre dans l’atmosphère urbaine avec ses cabarets, son niveau social, sa manière de penser et le tapage qui caractérise la cité. Dans tous les écrits de Karam, on détecte une vision réaliste des êtres humains. Il mène campagne contre la violence dont certains d’entre eux sont affligés. Pessimiste? Pas du tout et non optimiste, mais réaliste, prenant la vie telle qu’elle est, sans fioritures. Telle était sa philosophie dans l’existence: une dénonciation de l’imperfection, une aspiration vers le meilleur, le plus beau et le sublime. Il parlait du vice d’une façon qui portait les gens à éprouver du dégoût pour cette tare et à la répudier. Le vice dans ses romans reçoit sa sanction. Telles étaient sa sagesse et sa conception de la réforme. A son avis, le sermonneur invite les gens à accomplir ce qu’il prohibe et ce contre quoi il met en garde. Son œuvre s’est distinguée en cela, autant que par sa fertilité. De fait, il a beaucoup écrit dans les journaux, les revues et d’autres publications mensuelles. Karam a publié des milliers d’articles sur la littérature, spécialement sur la critique littéraire, sa critique étant judicieuse. Il était aidé en cela par ses vastes connaissances sur la littérature et la pensée mondiales.

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Il a fondé sa revue politique hebdomadaire “Al-Assifa”, périodique ayant combattu le mandat, le jour où ce dernier était devenu despotique. Karam a fait de l’opposition avec courage. Aussi, sa revue a-t-elle été suspendue plus de dix fois en moins de deux ans. En dépit de cela, il a persévéré dans son opposition sans relâche. Le président Charles Debbas, premier président de la République libanaise, a dit de lui: “C’est le journaliste sur lequel la matière n’a pas de prise”. Il a émis cette réflexion le jour où quelqu’un est venu lui indiquer la voie à suivre pour réduire Karam au silence et mettre fin à ses attaques. “Al-Assifa” paraissait en même temps que “Alf Layla Wa Layla” dont Karam était l’unique rédacteur. Puis, il a arrêté “Al-Assifa” et continué à faire paraître “Alf Layla Wa Layla”, tant il se passionnait pour le roman. Il tavaillait seize heures par jour et se réveillait à quatre heures du matin pour s’adonner à l’écriture. En 1952, il a arrêté “Alf Layla Wa Layla”, après y avoir publié mille et deux romans, pour se consacrer à superviser la publication de ses livres. En 1957, sa santé se ressentit du surmenage. Après avoir passé quinze jours à l’hôpital, il revint à la maison pour poursuivre le traitement à lui prescrit. Ayant retrouvé ses forces, il reprit son activité. Par la suite, il quittait rarement son domicile, passant son temps à lire et à écrire. Cette année-là, il passa l’été à Richmaya. Dans la nuit du 29 au 30 septembre, alors qu’il se rendait à une soirée vers 20h30, sa vue ayant baissé, il trébucha en chemin et tomba d’une hauteur de deux mètres. Sa tête ayant heurté une surface en béton, il perdit connaissance. Les villageois se sont portés à son secours et ses enfants l’ont transporté à un hôpital de Beyrouth sans avoir repris ses esprits. Le médecin traitant dit à son épouse et à ses enfants que le choc avait été grand au point d’occasionner une hémorragie au cerveau. Son état devait empirer et Karam rendit l’âme à 8 heures du matin, entouré de sa conjointe, de ses enfants, des religieuses de l’établissement hospitalier et d’un moine antonin venu lui administrer les derniers sacrements. Ainsi, s’est éteinte cette flamme incandescente ayant longtemps éclairé le monde immortel des lettres arabes.

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Karam lisait beaucoup, avait une admiration pour le Coran et “Nahj Al-Bilâgha”, ainsi que pour Ibn Al-Moukaffah, Al-Jahez, Gebrane, les Yaziji et Al-Moutanabbi. Il lisait, également, Proust, Maurois, Gide, Balzac, Montherlant, de même que les anciens et les modernes parmi les poètes, les philosophes et les romanciers. Il a lu la littérature russe; plutôt les deux littératures russes, celles d’avant et d’après la Révolution. Il disait que Dostoievsky et Gorki étaient plus forts que Cholokov. Que Gebrane était venu verser de l’eau et a humecté la littérature arabe. Le jour où a été publié son roman “Al-Cheikh Karir Al-Aïn”, “Dar el-Maaref” a demandé à Taha Hussein d’émettre son avis sur le texte et Taha Hussein a rédigé à son sujet un rapport de six lignes où l’expression “roman merveilleux” revenait quatre fois. Il a écrit un roman en français intitulé: “Bassara Barrajé” (Diseuse de bonne aventure) qui sera publié prochainement. Karam était coléreux, mais se calmait rapidement. Il soutenait les mouvements nationalistes et avait foi dans le Liban, prenant sa défense en tant que pays de l’ouverture, avec amour et confiance, sur les Arabes et le monde de l’homme. Certains l’ont blâmé parce qu’il disait la vérité, sans chercher à l’enjoliver; il en payait le prix et c’est ce qui l’a porté à dire son mot célèbre: “La vérité m’a appris à la haïr, mais je n’ai pu le faire”. Il avait une mémoire prodigieuse ce qui lui permettait de retenir les dates, à tel point qu’il se rappelait les dates des événements sans aucune référence. Il prononçait mal la lettre “r”, aussi, l’excluait-il de ses discours et conférences. Il ne se gênait que lorsqu’il était contraint de prononcer son nom. Il avait en horreur la gloriole et tout ce qui était artificiel.

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Le dernier ouvrage qu’il a écrit: “Off Lin-Nass”, il l’a commencé par ces deux mots: “Les gens sont pernicieux”.

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Dès que le regretté Karam acheva d’écrire son 1.002ème roman pour “Alf Layla Wa Layla”, un ouvrier de son imprimerie l’a félicité; il lui dit avec satisfaction: “N’oublie pas que nous avons réalisé une victoire sur Shéhérazade”.

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Il exécrait les coquilles et les mastics, à tel point qu’il tenait à corriger en personne les épreuves de ses textes. Quand “Dar el-Maaref” a édité certains de ses livres, il révisait lui-même les épreuves qu’on lui envoyait d’Egypte. Il en fut de même pour “Dar Ad-Dad” d’Alep qui a édité son roman: “Kitaf Al-Anâkid”.

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Karam fondait beaucoup d’espoir sur les jeunes, en littérature, en politique et dans tous les domaines de la vie publique, en général.

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Tels sont quelques faits et souvenirs d’un homme transcendant, dont la vie a été tout entière faite d’effort et de labeur. Karam Melhem Karam a servi sa patrie avec ardeur, laissant au Liban et à la langue arabe un legs littéraire et spirituel qui enrichit le patrimoine de l’homme et la civilisation.

Le comité de commémoration du souvenir de KARAM MELHEM KARAM