LIEU DE NAISSANCE DE L’EMPEREUR SEVERE
TELL ARKA (LIBAN-NORD) MIS EN VALEUR PAR LA DIGAL ET L’INSTITUT FRANÇAIS D’ARCHEOLOGIE
Tombe de l’époque perse.
Une trentaine de sites archéologiques sont recensés dans la plaine du Akkar dont un se signale par sa dimension et son élévation: le tell d’Arka. Dans sa mission, l’Institut français d’Archéologie du Proche-Orient vise, avec le soutien actif de la Direction générale des Antiquités du Liban, à transcender le malaise envers le modernisme uniformisant et revaloriser la culture, le bien commun du passé et la racine des civilisations millénaires. C’est le ministère des Affaires étrangères qui finance le projet. Les 180.000 FF prévus à cet effet se répartissent sur le salaire des ouvriers et le séjour de l’équipe. L’Etat libanais, lui, propose uniquement le matériel. Cependant, le budget demeure insuffisant. C’est ce qui ralentit le rythme du travail et pousse M. Thelmann à une quête d’autres ressources. L’établissement de l’âge constitue un autre obstacle. “Le réemploi des anciens matériaux conduit moins à une superposition des époques et bien plus à leur incrustation les unes dans les autres”. Située à 25km au nord de Tripoli et à quelques kilomètres seulement au sud de la frontière avec la Syrie, Arka est aujourd’hui en cours de fouille. Les travaux ont commencé dans ce tell en 1974 et, après de longues périodes d’interruption dues à la guerre, ont repris en 1992. Régulièrement mais lentement. “La lenteur est une des caractéristiques de ce travail, puisqu’elle permet de mieux étudier, cerner et valoriser les richesses enfouies” clarifie Jean-Paul Thelmann. Fouiller sur de grandes étendues n’est pas une politique prévoyante, scientifique et possible pécuniairement” poursuit-il. Le calme dans lequel il baigne, permet de se livrer à l’intérêt historique et archéologique du site qui tient beaucoup plus au fait “qu’on y trouve représentées pratiquement toutes les périodes de l’Histoire du Liban qu’au caractère spectaculaire des vestiges qu’il a déjà recelés ou recèle encore”.
Greniers à céréales du Bronze ancien vers 2400-220 av.J.-C.
LIEU DE NAISSANCE DE L’EMPEREUR SEVERE
Arka fut à l’époque romaine une ville célèbre pour avoir été le lieu de naissance de l’empereur Alexandre Sévère qui régna sur Rome de 222 à 235 ap. J.-C.; au Moyen-âge, c’était une des principales défenses du Comté de Tripoli, nombre de mentions témoignent de son importance à des époques plus anciennes. Mais le passage du temps et, surtout, l’activité inlassable des pilleurs de ruines ont peu à peu fait disparaître les plus grands monuments. L’origine du tell lui-même remonte, vraisemblablement, à l’ère néolithique et fut occupé jusqu’à la fin du Moyen-âge. L’étude de la topographie locale, des mesures géophysiques et une cartographie minutieuse de tous les indices dans le site ont permis de tracer un plan d’une ville basse au nord - qui s’est développée sans doute dès le 1er millénaire et qui prit une grande extension seulement à l’époque romaine - de ses bâtiments publics, de l’aqueduc qui l’alimentait, des vestiges évoquant bien la richesse de la ville romaine, tel cet ensemble de mosaïques qui ornait une belle demeure du IVÞ siècle de notre ère. Sur les collines au sud du tell s’étendent de très vastes nécropoles, creusées à partir du IIIÞ millénaire jusqu’au Moyen-âge, des tombes aujourd’hui vides et pillées. Les chantiers ouverts et les travaux qui ont atteint actuellement une douzaine de mètres de profondeur, ont permis de détecter sur le flanc sud, le tracé du rempart byzantin; à l’est, les restes importants de la fortification médiévale. Il est à noter que si les niveaux atteints actuellement datent de la seconde moitié du IIIÞ millénaire, il reste encore près de 30m de dépôts archéologiques à explorer pour remonter jusqu’aux origines du site. Bien qu’aucun texte antique ne mentionne Arka à une date aussi ancienne, la destruction d’un habitat de la fin du Bronze Ancien (2400-2000) - époque où la région connaît une 1ère phase de grand développement - peut-être attribuée aux rois d’Akkad: Sargon et son petit-fils Naram-Sin furent les 1ers conquérants mésopotamiens à avoir vers 2300/2250, atteint la côte méditérranéenne et l’hypothèse de leur passage par la trouée de Homs est tout à fait vraisemblable. De la moitié ou la fin du XVIIIe siècle (Bronze Moyen II), l’on connaît seulement des tombes d’enfants en jarres ou d’adultes en fosses accompagnés des objets banals de la vie quotidienne. Ce qui renvoie l’image d’une société peu différenciée. Arka perdra de son importance probablement vers 1460/1450, selon le matériel retrouvé, après la destruction par ailleurs relatée dans les “Annales” des années 30 à 42 de Thutmosis 3. A partir de ce moment, la plaine du Akkar servait moins de base aux campagnes des Egyptiens en Syrie intérieure. Un siècle plus tard environ, Arka sera pourtant encore mentionnée dans la correspondance active qu’entretient la chancellerie égyptienne avec les princes vassaux de Syrie et de Palestine à l’époque d’Aménophis III et de son fils Akhenaton. De l’âge du Fer datent les restes d’un petit sanctuaire comprenant plusieurs cours pourvues de banquettes et d’installations hydrauliques et une minuscule cella. Sur les pentes du tell ont été retrouvés les restes de plusieurs sépultures à incinération, une coutume rarement attestée en Orient.
Niveau de destruction du sanctuaire phénicien (VIIIe siècle avant Jésus-Christ).
UN CENTRE POLITIQUE
Les “Annales” du souverain assyrien Tiglath-phalazar III en 743-738 mentionnent la prise de la ville, la déportation de ses habitants et donc sa disparition jusqu’à l’époque romaine, époque où Arka est mentionnée comme un centre politique. Sur le terrain, une épaisse couche de destruction par incendie qui recouvre les mines du sanctuaire phénicien correspond à l’épisode de la conquête assyrienne. A l’époque impériale romaine, la ville se développa largement dans la plaine et le tell fut abandonné. Il n’est demeuré que le principal temple de la ville, sanctuaire d’une très ancienne divinité féminine locale, une Astarté sémitique qui fut assimilée à Vénus et dont on connaît quelques représentations sur des monnaies et des reliefs. A leur tour, ces monnaies témoignent qu’Arka prit au cours du IIe siècle le nom de Césanée du Liban et fut peu après élevée au rang de colonie romaine. Nul doute qu’à l’époque d’Alexandre Sévère, la ville bénéficia largement des faveurs impériales. Probablement, dans le courant du IVÞ siècle, le tell fut entouré d’une enceinte entièrement construite en pierres de taille et flanquée de grosses tours carrées; elle a été retrouvée très endommagée, sur tous les chantiers. Bâtiments publics et privés se pressèrent bientôt à l’intérieur et, à la veille de la conquête musulmane, le tell était à nouveau densément occupé. Quoiqu’en général mal conservées, une épaisse couche de décombres recouvrant les constructions a été retrouvée marquant la fin de la ville byzantine.
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Tell Arqa. |
L’OCCUPATION DES CROISES
Il est assez surprenant de trouver les constructions à l’époque des Croisades presque partout directement superposées à cette couche de destruction. Après la conquête musulmane, Arka resta une forteresse importante, aux dires d’un chroniqueur, “remarquable par sa position, ses murailles et ses hautes tours”. Cette période de l’occupation des Croisés est la dernière à avoir laissé des traces sur le tell. Actuellement, l’équipe franco-libanaise est à une période de grande prospérité (entre 2500 et 1500 av.J.- C). Epoque où la région connaît une phase de développement. Son objectif est de sonder un quartier afin de saisir l’installation, l’organisation des maisons, le mode de vie des habitants... avant de les présenter aux touristes. Le problème actuel ne concerne pas le site, propriété de l’Etat, mais ses alentours qui risquent d’être ravagés par le béton. Au gouvernement libanais de prendre les mesures nécessaires. Le sort de notre patrimoine est entre nos mains et comme l’a dit Henry Bergson: “Il n’y a pas de loi inéluctable que des volontés suffisamment tendues ne puissent briser, si elles s’y prennent à temps”.
ANGELA SARRAF.