PIERRE BOURQUE,

Pierre Bourque: «Je veux créer à Montréal une ville modèle d’harmonie interculturelle».

MAIRE DE LA VILLE DE MONTREAL:

“FAIRE DE MONTREAL UNE VILLE ORIENTEE VERS LE XXIe SIECLE”

“J’ai consacré trente ans de ma vie à l’embellir”. Il s’agit de Pierre Bourque et de son duo d’amour avec la ville de Montréal qu’il a effectivement rendue belle, si belle qu’on en vient parfois à craindre que cette beauté soit éphémère et que les contraintes des temps présents ternissent son image.

Entre deux réunions un samedi matin à l’Hôtel de Ville, Pierre Bourque, le maire de Montréal, est attentif à mes questions:

- Tout le monde parle de la qualité de vie, de la beauté de la ville de Montréal, de l’air pur qu’on y respire. Et vous êtes très sensible à cette beauté que vous défendez aujourd’hui avec un certain acharnement. Vous désirez même faire de Montréal la capitale mondiale de l’environnement. Mais la politique de compressions budgétaires vous invite, étant donné la situation économique, à rogner un peu sur les dépenses. D’aucuns parlent d’une possibilité de déclin de Montréal. Comment allez-vous concilier votre idéal et les contraintes économiques?

“Beaucoup par la rigueur administrative et aussi par le support de la population, par l’implication des citoyens. Juste pour vous donner un exemple, nous avons créé un vaste programme qui s’appelle Eco Montréal. Et nous avons mis en place dans chacun des quartiers des éco-quartiers. Et là, les citoyens s’impliquent dans la collecte collective, l’embellissement de leur milieu, l’animation des parcs. Et ça pour moi, c’est un support extraordinaire d’éducation, de sensibilisation à la base. “Nous allons aussi engager des jeunes par des associations de commerçants pour enlever les graffitis dans la ville, faire des murales. Nous voulons être très près des citoyens. Parce que l’environnement unit tout le monde et Montréal étant une ville cosmopolite, multiculturelle, c’est la seule façon d’unifier les Montréalais, leur donner la fierté. “Parallèlement à cela, on peut réduire les taxes qui sont trop élevées à Montréal, ce qui a entraîné depuis des années un exode des gens vers les banlieues comme dans les villes américaines. Le cœur perdait de ses forces vives au profit souvent de gens qui sont moins nantis, qui sont seuls: des familles monoparentales, des étudiants et toute l’immigration. En raison des taxes trop élevées, les commerçants, les entreprises, les classes moyennes ont quitté vers la banlieue. “Pour ma part, je veux inverser cette tendance, ramener les gens vers la ville parce que la ville est tellement riche, diversifiée, animée culturellement. C’est un problème très difficile, je ne le cache pas. C’est souvent réaliser la quadrature du cercle: à la fois réduire les dépenses et respecter les conventions collectives. Montréal n’a pas un Parlement, nous devons suivre les directives du gouvernement du Québec au niveau des grands encadrements. Donc, nous essayons de sensibiliser Québec à la situation de Montréal et aussi de faire des ponts avec le gouvernement du Canada. “Nous travaillons beaucoup avec le milieu des affaires. Ça aussi c’est très important. Nous avons mis en place depuis déjà deux ans un comité de relance économique de Montréal avec tous les dirigeants des grandes entreprises montréalaises et eux me supportent beaucoup. Souvent, quand il y a des investissements, des fermetures potentielles d’usines, j’ai ces gens-là autour de la table et je peux infléchir les décisions et recevoir des conseils aussi. “Tout ça fait en sorte que la ville s’est améliorée. Nous avons beaucoup investi dans les infrastructures, les routes, les parcs, la qualité de vie, le mouvement de retour, de rénovation comme la rue Sainte-Catherine comme les grandes artères commerciales. Nous avons des programmes ciblés et ça marche. Nous commençons à avoir les résultats partout dans la ville. Mais l’effort est loin d’être terminé. Alors, j’ai besoin de l’aide de tout le monde.”

Dans un autobus.

- Monsieur le Maire, quelle est votre politique générale de la gestion de la ville?

“En premier lieu, revenir à la simplicité. Je vous rappelle que je suis un ancien fonctionnaire. J’étais directeur du Jardin botanique, directeur des parcs de la ville pendant de nombreuses années. Et je connais bien les quartiers de la ville. Aujourd’hui, ma politique vise la décentralisation, l’imputabilité: rendre les gens responsables de leur mission, aux travaux publics, à la voierie, dans les parcs, au niveau de la culture et leur donner une autonomie afin qu’ils travaillent avec leur milieu, réunir les citoyens, les élus, accroître le rôle de ceux-ci. Parce qu’il y a 51 élus dans la ville. Et ces 51 élus doivent être à l’écoute de la population, traduire ses besoins, régler ses problèmes. “Une grosse administration, c’est souvent un labyrinthe. Les gens disent souvent, c’est un monstre administratif. On ne veut pas aller à l’Hôtel de Ville. Donc, j’essaie de décentraliser et naturellement d’impliquer les citoyens, les élus, parce que les problèmes se règlent à la base afin qu’ils ne remontent pas toujours au Comité exécutif ou au maire.”

- Montréal étant une ville multiethnique, comment procédez-vous pour faire de cette multiplicité d’ethnies un ensemble cohérent qui puisse vivre en harmonie?

“C’est le grand défi. J’étais choisi au sommet d’Habitat II à Istambul par tous mes pairs, les maires du monde pour les représenter. Je veux créer à Montréal une ville modèle d’harmonie interculturelle. Montréal est la deuxième ville française au monde. Il y a ici le plus de francophones après Paris. Mais c’est aussi une ville anglophone. Il y a plus d’un million de nos concitoyens qui sont d’origine britannique. Ensuite, 40% ne sont ni francophones, ni Français d’origine, ni Britanniques; donc ils viennent du monde entier: du Bangladesh, Sri Lanka, Amérique latine, Europe de l’Est, Afrique, Haïti, beaucoup du Moyen-Orient. Vous savez qu’il y a une très forte communauté libanaise, égyptienne, syrienne, etc... On parle 160 langues à Montréal. Dans le Grand Montréal, nous avons plus de 3,3 millions d’habitants.”

- Et ça fait une ville peut-être contradictoire!

“C’est ça l’effort que je fournis. Je veux garder cette ville unie malgré les tensions linguistiques, politiques qui puissent exister. Mais c’est notre richesse. Parce que mieux on peut communiquer avec le monde par les langues, plus ce sera riche. C’est un grand défi pour le maire de Montréal de représenter toute cette diversité. Si on réussit à gérer cette diversité, à y vivre, c’est un immense succès. Sinon, on s’en va dans des exclusions, des ségrégations. C’est un spectre que je ne veux pas envisager.”

- Est-ce que vous parvenez à rester en dehors des débats politiques qui agitent le pays?

“C’est ce que je dois faire. Je dois quand même déployer des efforts, adresser des messages de réalisme au gouvernement, que ce soit à Québec et à Ottawa et leur dire: pensez à l’économie, pensez à la jeunesse, pensez à l’avenir. Arrêtez. Nous avons besoin de confiance, de stabilité. Et laissez-nous un peu tranquilles. Les gens sont venus ici, se sont établis ici. Ils veulent la paix.”

- Et sur Montréal?

“Je base Montréal sur trois grands atouts. Le premier, c’est une ville de l’économie nouvelle, on tend vers ça: recherche, développement, éducation. Ville universitaire, elle réunit 4 grandes universités, 60 centres de recherche. Et on peut y faire le parallèle avec le Liban. Parce que Montréal est une ville française et anglaise. Le Liban aussi avec en plus l’arabe. C’est quand même des richesses fantastiques sur le plan culturel. Donc, il y a des ponts à faire dans les domaines de la santé, la médecine, la pharmacie, l’aéronautique, l’informatique, les nouvelles technologies de communication . Sur ce plan-là, Montréal est très puissante, très forte. “Ensuite, il y a la vie culturelle. Ici, elle est intense et représente 85% de l’activité culturelle de la société québécoise: dans les domaines du livre, du théâtre, de la danse, de la poésie dans tous les domaines grâce surtout à la richesse des communautés culturelles. C’est une ville aussi où les gens se respectent. “Le troisième volet, c’est l’environnement. Nous sommes une île entourée d’eau. Nous avons 800 parcs à Montréal, des pistes cyclables, des espaces verts, beaucoup d’espace. Et c’est une immense richesse. “Tout cela, c’est un peu les grands thèmes pour moi. Montréal est à la fois une ville orientée vers le XXIe siècle, une ville d’éducation, de culture, de respect de l’environnement”.

Pierre Bourque parmi ses concitoyens.

- Vous êtes originaire de Montréal?

“Oui, je suis né dans l’est de Montréal”.

- C’est pour ça que votre amour pour la ville est spécial?

“J’ai consacré 30 ans de ma carrière à l’embellir. J’étais haut fonctionnaire.”

- Après Montréal pensez-vous aller plus haut?

“Non, ça va déjà bien parce que j’ai tout un travail en vue. Mon rêve est de faire de Montréal un peu comme un jardin pour que les gens se respectent et respectent leur environnement, qu’on aille vers l’éducation, la sensibilisation des gens et la participation. On crée une joie de vivre incroyable à Montréal. C’est une ville conviviale, humaniste. C’est cela ma vision.”

- Et c’est “Vision Montréal”, votre parti?

“Exactement. C’est un parti que j’ai créé, qui a été élu six mois plus tard. J’ai obtenu près de 50% des voix. Et j’ai fait élire 39 élus sur 51. “Là, nous travaillons très fort ensemble. Dans le parti, avec les élus. Cela est très important. On trouve ici le reflet de la société montréalaise. Mme Eloyan, la présidente exécutive, est d’origine arménienne-libanaise. Mais il y a aussi des Italiens, des Juifs d’origine, des Haïtiens. Cela crée une mosaïque et c’est cela Montréal.”

- Au bout de deux ans de gestion de la ville, êtes-vous satisfait de votre bilan?

“Oui, parce que là je vois les résultats. La première année, c’était la mise en place. Je dis toujours que je suis un jardinier. On a semé une graine, on a planté un jeune arbre. Et maintenant, on commence à avoir des résultats. Je les vois partout. Cela a pris deux ans. Les gens sont heureux car les rues se sont améliorées. On a investi massivement dans les égouts, les trottoirs, les rues, les parcs, de sorte que la qualité de vie s’est beaucoup améliorée”.

- Il vous reste encore deux ans.

“Encore deux ans. Ici les mandats sont de quatre ans, mais renouvelables. Je serai à nouveau candidat en 1998.”

- J’espère que vous serez réélu. - Vous vous êtes rendu en juin à Beyrouth, avez-vous été déçu ou impressionné par cette ville si différente de la vôtre?

“J’étais à la fois déçu et impressionné. Mis à part l’aspect physique actuel de la ville, les problèmes de pollution et de circulation sont énormes. Mais ce qui m’a impressionné, c’est la volonté que j’ai ressentie auprès des Libanais de rebâtir leur pays. Et par cet effort d’oublier le passé et de dire: voilà, nous allons retrouver notre fierté, notre force économique, notre force culturelle. Je trouve cela admirable. “Tout ce que je puis vous dire, c’est de garder votre âme, vos valeurs parce qu’il ne faut pas perdre les valeurs. Vous êtes entre l’Orient et l’Occident. C’est cela les valeurs du Liban. Vous devez avoir aussi une compassion pour tous ceux qui souffrent. Gardez donc vos valeurs, mais continuez à travailler. “J’ai beaucoup apprécié mon séjour qui était presque d’une semaine. J’ai rencontré beaucoup de gens, notamment l’administrateur de Beyrouth avec lequel nous avons noué une entente très forte et mis au point un programme énorme de collaboration”.

- Vos projets de collaboration ont-ils avancé?

“Nous sommes en train de faire le cadastre de Beyrouth. C’est un vieux cadastre français qui datait depuis très longtemps. Nous allons le remettre à jour avec les méthodes informatiques modernes. Eventuellement, nous espérons travailler sur l’ensemble des firmes de Montréal avec l’Université et la ville de Montréal. “Nous avons réalisé une entente intéressante aussi entre l’usine de Dbayé qui alimente en eau Beyrouth et sa grande région avec Montréal. Nous fabriquons ici l’eau, nous la distribuons à toute l’île. Améliorer les technologies, faire des échanges sur le plan du génie. C’est une autre entente! “Il y eut ensuite beaucoup d’amorces de discussions sur des contrats plus importants au niveau de l’infrastructure municipale, l’infrastructure sur le gaz, la reconstruction du Liban. Des firmes m’avaient accompagné et elles étaient très intéressées. “J’ai rencontré Mme Joumblat également. J’espère qu’on pourra effectuer des échanges avec les gens de la culture au Liban. J’attends maintenant pour bientôt une visite de personnalités du Liban, dont celle de l’administrateur de Beyrouth, parce qu’il faut se connaître. J’aimerais bien aider Beyrouth au niveau de la gestion de l’administration de la ville, parce qu’ici on a une très forte expertise à ce niveau-là”.

- Avez-vous visité les chantiers du centre-ville?

“Cela m’a beaucoup impressionné. J’aurais tout jeté en l’air pour recommencer à zéro. Mais là-bas, on a préservé la vieille pierre. On a même retrouvé la mémoire enfouie du Liban. J’espère que le mouvement va continuer. C’est évident que le Liban a besoin de stabilité politique. J’espère que vous allez enfin trouver une bonne stabilité pour plusieurs années”.

- L’intérêt demeure vif envers le Liban, semble-t-il.

“Nous avons créé ici, dans le cadre de Montréal international, une table Montréal-Liban. J’ai initié ce travail et il fonctionne actuellement. C’est un réseau technologique, financier, d’échanges avec les universités, les entreprises. La Chambre de Commerce et d’Industrie Canada-Liban est très active à Montréal. Je suis très près d’elle et très heureux de travailler avec elle. Quant au consul général, Charbel Wehbé, c’est un homme magnifique qui fait un travail extraordinaire”.

- Comptez-vous revenir au Liban?

“Absolument!”

- Quand?

“Je ne peux pas fixer de date. Je pense sûrement revenir. J’attends des visites de Libanais. Je vais envoyer d’autres délégations. Je surveille cela de très près. Mes amitiés à tous là-bas”.

Pierre Bourque Né à Montréal le 29 mai 1942, Pierre Bourque a obtenu en Belgique un diplôme d’ingénieur en horticulture et est entré en 1965 au service de la ville de Montréal, à titre de coordonnateur des travaux d’entretien et d’aménagement d’Expo 67. Par la suite, il poursuit une carrière d’administrateur à la Ville qui le mène à la direction du Jardin botanique. Ses qualités de gestionnaire et d’entrepreneur lui permettent de réaliser des projets d’envergure internationale tels que le Biodôme et les Floralies internationales de Montréal. Après avoir fondé “Vision Montréal”, Pierre Bourque est élu le 6 novembre 1994, 40e maire de la Ville de Montréal. Il est également, président de la Table des maires et des préfets du Grand Montréal et président du Conseil régional de développement de l’île de Montréal. Officier de l’Ordre du Canada, chevalier de l’Ordre national du Québec, Pierre Bourque a reçu le prix d’excellence de l’administration publique, décerné en 1992 par l’Association des diplômés d’administration publique.