POINT DE VUE

DÉPUTÉ DE JEZZINE

LE Dr SLEIMAN KANAAN:

“LE PAYS A BESOIN DE SOINS INTENSIFS ET NON DE CALMANTS”

Surnommé le “médecin sillencieux”, parce qu’il a une prédilection pour l’action et se distingue par sa discrétion, le Dr Sleiman Kanaan, député de Jezzine, a prouvé son esprit d’initiative et son efficacité, bien qu’il représente une cir-conscription parmi les plus difficiles à gérer, en raison de la situation si peu commode où elle se trouve depuis longtemps. L’homme se distingue par son réalisme et son objectivité. Il le montre en commentant le dernier débat de confiance à la Chambre: “Ce fut un film déjà vu, pareil à tant d’autres auxquels les Libanais sont habitués à voir”. A la question: “Le débat n’a donc pas été utile?”, il répond:

“Les citoyens ont pu entendre des sons de cloche différents, opposants et loyalistes, sans plus, certains points de vue exposés s’étant caractérisés par leur sincérité. De plus, les télespectateurs ont fait connaissance avec certaines nouvelles figures dont ils entendaient parler sans les voir.”

- Comment évaluez-vous la déclaration ministérielle dans son ensemble?

“Il s’agit, comme toujours d’un texte valable en lui-même, sur base duquel tout nouveau gouvernement sollicite la confiance de l’Assemblée nationale. Malheureusement, toutes les promesses qu’il contient ne se réalisent pas”.

LE PAYS EST MALADE...

- Vous paraissez plus pessimiste que d’habitude?

“Il ne s’agit pas d’optimisme ni de pessimisme mais d’un pays malade ayant besoin de soins in-tensifs... En tant que médecin, je ne soigne pas les organes condamnés. En pareil cas, il faut utiliser le bistouri, quand tout espoir est perdu de pouvoir traiter le mal au moyen de calmants. “Je me demande pourquoi tant de députés se succèdent à la tribune du parlement? Normalement, chaque bloc parlementaire devrait désigner un membre pour parler en son nom et définir la position du groupe envers les problèmes de l’heure. “Il y a lieu de signaler que bien des collègues “sortent du sujet” en évoquant des questions non consignées dans la déclaration ministérielle.”

- Ne croyez-vous pas que la retransmission des séances parle-mentaires est à l’origine de la loquacité de vos collègues?

“Je le pense bien, aussi, suis-je contre la retransmission des débats parlementaires à travers les moyens audiovisuels. Il est préférable qu’ils se déroulent loin des caméras de la télévision”.

- Certains députés se sont vraiment distingués par leurs interventions...

“Oui, mais leur nombre est limité”.

- Comment classez-vous les membres de l’Assemblée ayant pris la parole lors du débat de confiance?

“Je les classe en loyalistes, opposants et éléments intermédiaires selon leurs interventions. Il y a lieu de signaler que beaucoup d’entre eux se sont adressé à une salle à moitié vide.”

AUX CÔTÉS DU DROIT ET DE LA LIBERTÉ

- Avez-vous soutenu les dizaines de personnes qui tenaient un sit-in à l’extérieur du parlement?

“Il importe d’étudier leurs doléances du double point de vue politique et technique. Cependant, je ne peux que me tenir aux côtés du droit, de la justice et de la liberté. “Le Liban ne peut vivre sans liberté, à condition qu’elle soit res-ponsable et constructive. J’ai foi en la pluralité des moyens d’information, surtout de l’audiovisuel”.

- La bataille reste ouverte: qui l’emportera en définitive?

“La liberté et la démocratie à longue échéance, sans nul doute”.

- La démocratie de la voix unique?

“Tout le monde la rejette, je crois”.

- Même les responsables?

“Certains d’entre eux du moins”.

-Lesquels?

“Le président Nabih Berri, par exemple”.

QUID DU DISCOURS OFFICIEL?

- Le discours gouvernemental traduit une préoccupation envers les problèmes sociaux. Qu’en pensez-vous?

“L’intention du gouvernement pourrait être bonne, mais il importe d’élaborer un ordre des priorités, surtout à l’ombre du déficit de la balance commerciale et du budget, de la hausse du taux d’intérêt, de l’accroissement de la dette publique, du marasme, de la régression du développement et de la non-réactivation des municipalités à travers des élections rapides”.

- Auriez-vous des solutions aux crises socio-économiques?

“Le gouvernement devrait retirer le projet de budget de la Chambre et y apporter des modifications, de manière à ce que les prévisions budgétaires soient conformes à la politique définie dans la déclaration ministérielle”. «D’autre part, il est impérieux de mettre un terme à la dilapidation des fonds du Trésor et de procéder à l’exécution des projets rentables, car nous approchons de la ligne rouge».

LA DETTE PUBLIQUE FAIT PEUR

- Quel est votre diagnostic de notre économie?

«Elle est affligée de la «maladie de la morosité» et notre peuple vit d’espoir».

- Les chiffres de la dette publique révélés par Monsieur Hariri vous effrayent-ils?

«Ils ne m’effrayent pas, mais font peur à un pays comme le nôtre».

- En quoi consiste la solution?

«Elle réside dans l’accroissement de la production et dans la réactiva-tion des secteurs agricole, industriel et économique».

- Le gouvernement pourrait instituer de nouveaux impôts pour combler le déficit…

«Je le mets en garde contre une telle politique, car le peuple ne peut plus supporter plus de charges fiscales. Il faut donc œuvrer en vue d’atténuer ces charges et non de les augmenter».

CRITIQUE CONSTRUCTIVE

- Etes-vous satisfait de la politique du gouvernement?

«Dans une situation comme la nôtre, il nous faut être réalistes dans nos critiques, afin qu’elles soient constructives. Je ne critique pas pour le plaisir de critiquer, mais dans l’intérêt de la patrie et du citoyen. «Puis, il nous faut agir ensemble en vue de sortir le pays de la situa-tion si peu enviable dans laquelle l’ont plongé les politiques étri-quées; il faut renoncer à la politique rétrograde afin d’édifier un Etat moderne!

- Quel est l’objectif prioritaire du Bloc du développement et de la libération dont vous faites partie?

«Tel que son nom l’indique, il se préoccupe de libérer le Sud, en amenant Israël à appliquer la résolution 425 du Conseil de Sécurité, ce qui exige le retrait de ses troupes de la zone frontalière et de la Békaa ouest jusqu’aux frontières libanaises inter-nationalement reconnues».

Enfin, interrogé sur l’éventuel déclenchement par Netanyahu d’une guerre contre le Liban et la Syrie, le Dr Kanaan se dit sceptique:

«La conjoncture internationale, observe-t-il, ne lui permet pas d’entreprendre une telle aventure, d’autant qu’il ne dispose pas d’une ombrelle américaine».

(Propos recueillis par JOSEPH MELKANE)