PATRIMOINE ET HISTOIRE

A Deir El-Kamar, au musée de cire “Marie Baz”

L’histoire du Liban du XVème siècle à nos jours

racontée à travers ses principaux personnages

Le patio et l’entrée de la grande salle du palais Baz transformée en musée.

Faire revivre une tranche de cinq siècles de l’Histoire ancienne et contemporaine du Liban à travers ses principaux personnages de différentes époques, tel est le tour de force que vient de réaliser M. Samir Emile Baz en créant à Deir El-Kamar, dans le palais familial, le musée de cire “Marie Baz” (du nom de sa mère). Actuellement, 34 “pensionnaires” peuplent les lieux. Une famille nombreuse, en somme, appelée à s’agrandir! En pénétrant dans la grande salle seigneuriale aux belles voûtes de pierre, on est saisi d’étonnement, voire même de stupeur, tant ces personnages figés dans des scènes ou des attitudes coutumières, paraissent réels et vivants. C’est peut-être le plus important rassemblement de “célébrités” de notre Histoire au mètre carré. Ils sont (presque) tous là, ces hommes publics qui ont joué un rôle déterminant ou marqué une époque; ils sont là rassemblés dans l’ordre chronologique des événements, de 1512 à nos jours, réunis dans une demeure historique du XVIème siècle qui fut le palais de l’émir Fakhreddine II, le Grand, à Deir El-Kamar, racheté aux héritiers des Maan par M. Emile Baz.

Ancienne capitale historique du Liban, Deir
el-Kamar se métamorphose en cité culturelle et touristique.
L’entrée du nouveau musée de cire “Marie Baz”.

LE PARJURE DE L'EMIR ET LA DEMISSION DU PATRIARCHE

Il y a là pour vous accueillir, sous la protection d’une sentinelle d’un autre temps, le sultan Salim Khan 1er et son ami l’émir Fakhreddine 1er; puis, le duc Comes de Médicis, ami de Fakhreddine II (qu’il hébergea durant ses 5 ans d’exil en Toscane) et l’émira Nassab Maan (qui a gouverné durant l’absence de son fils). Plus avant, une scène touchante: l’émira Ammoune Chéhab, mère de l’émir Youssef Chéhab (émir du Liban) dans un geste de générosité, remet une donation au moine maronite mariamite Matta Hakim pour la construction d’une école en 1751, où enfants riches et pauvres partageraient le même banc de classe. Une autre scène (toute solennelle, celle-là), montre le fameux serment de fidélité sur l’Evangile et le Coran fait en présence du patriarche Tyan par des protagonistes, ennemis (jurés!), l’émir Bachir II Chéhab, cheikh Gerios Baz et Abdel-Ahad Baz. Ce sera, en fait, un parjure et une trahison de la part de l’émir qui coûtera la vie aux frères Baz et provoquera la démission volontaire du patriarche Tyan. Cinq ans plus tard, ce même Bachir II fera éliminer son rival Bachir Joumblatt, avec l’aide de Jazzar, et pourra ainsi gouverner le Liban pendant 40 ans sans concurrent. De cette époque tourmentée, on passe directement à une rencontre quasiment idyllique entre l’émir Bachir II vieillissant (et repenti) et cheikh Rustom Baz (neveu des frères Baz assassinés), devenu son ministre et conseiller, entourés de Bachir Joumblatt, Lady Esther Stanhope et Alphonse de Lamartine.

Samir Baz entouré de ses personnages qui sont
aussi ceux de notre histoire
ancienne et contemporaine.
Nos “célébrités” historiques réunies au sein
d’une même famille et en un même lieu.

DES FIGURES DE PROUE... EN CIRE

La reconstitution de la cérémonie de la proclamation du Grand-Liban, en 1920 est un petit chef-d’œuvre du genre et l’un des agencements majeurs de ce musée de cire. On y voit, à côté du général Gouraud en uniforme blanc d’apparat, cheikh Salim Rustom Baz (conseiller de l’empire ottoman), la poitrine constellée de médailles et portant tarbouche; le distingué Daoud Ammoun et le vénérable patriarche Hoyek. L’étape suivante est celle du Liban moderne avec, dans l’ordre de présentation, Nazira Joumblatt, l’émir Chakib Arslane, l’évêque Mgr Augustin Boustany, cheikh Pierre Gemayel, Kamal Joumblatt et le général Michel Aoun, portant képi et uniforme de l’armée libanaise. C’est là tout un premier inventaire de nos grandes et petites “gloires”. Des êtres inanimés certes, mais qui constituent des figures de proue de notre Histoire.

La proclamation de l’Etat du Grand-Liban en 1920.
A partir de la gauche: le général Henri Gouraud,
cheikh Salim Rustom Baz (conseiller de
l’empire ottoman), Daoud Ammoun, le patriarche
Hoyek et Béchara Ghandour Nehmé,
premier président municipal du Liban.
Le sultan Salim Khan 1er (à droite)
et son ami l’émir Fakhreddine 1er,

UN PETIT MONDE FIGE

N’était-ce le silence quasi-religieux qui règne en ce lieu et l’immobilité absolue de cette assemblée hétéroclite, on se serait cru à une soirée costumée d’époque. Dans ce petit monde figé, ce qui est frappant - et nous l’avons constaté tout au long de notre visite - c’est la valeur artistique de chaque figure composant cet impressionnant agencement historique, ainsi que la grande ressemblance avec les personnages réels et l’authenticité des costumes de chacune des époques. Comment a-t-on pu obtenir un tel résultat? C’est la question que nous avons posée à notre cicérone Samir Baz, fondateur de ce musée mais aussi son âme, son conservateur et son promoteur. “Il n’y a là aucun secret, nous répond-il. Nous avons pris pour modèles les deux meilleurs musées de cire connus: celui de “Madame Tussaud” à Londres et le célèbre “Musée Grévin” de Paris fondé en 1882 avec lequel nous collaborons étroitement. A mon invitation, son président-directeur général, M. Bernard Thomas est venu à Deir el-Kamar en décembre 95 et nous avons entamé le projet en février 96. Tout est réalisé par les sculpteurs et techniciens du Musée Grévin. Pour les personnes décédées, le travail est réalisé à partir de photos (ou gravures) d’une même époque, de face, de profil (droit et gauche) ainsi qu’avec un costume usuel pour la taille et la grandeur afin d’obtenir plus d’authenticité. Des investigations sont menées auprès des parents et alliés ou par des recherches d’archives pour les personnages historiques.

Une scène d’époque réunissant, de gauche à droite:
Lamartine, Lady Stanhope, l’émir Bachir,
Rustom Baz et Bachir Joumblat
Kamal Joumblatt, Pierre Gemayel et
Mgr Augustin Boustany.

Quant aux personnes vivantes, elles posent ici ou à Paris. Une cinquantaine de photos de la tête (scanning) sont nécessaires, ainsi que des mensurations de la tête et de l’anatomie. Des détails révélateurs sont aussi relevés. Une structure en argile est alors réalisée, un moule en plâtre; puis, dans ce moule on coule la cire. Ensuite, sont placés les yeux en verre ou en résine, ainsi qu’un moulage des dents (une prothèse dentaire), l’implantation des cheveux (sur base d’un échantillon) et un moulage des mains avec de l’élastomère. Pour la petite histoire, le costume que porte cheikh Pierre Gemayel dans notre musée m’a été remis, à ma demande, par sa famille à partir de son ancienne garde-robe. Egalement, c’est Walid Joumblatt qui m’a remis les vêtements de son père, ainsi que sa légendaire cravate rouge. Quant au général Michel Aoun, il m’a offert un de ses uniformes d’apparat actuellement en usage dans l’armée libanaise, après avoir posé durant plusieurs séances à la Haute-Maison dans la région parisienne. Ainsi, l’authenticité est sauve, jusqu’au dernier pli du pantalon!” Au terme de notre visite, M. Baz nous annonce que le nombre des personnages - actuellement de 34 - sera porté très prochainement à 60 et que de nouvelles salles seront aménagées selon les spécificités: une pour les présidents et d’autres pour les hommes politiques, les écrivains, artistes, sportifs de renom... et même une salle pour les belles figures de l’Emigration. Ainsi, ce petit musée sera bientôt grand, mais il fait déjà l’admiration (et satisfait la curiosité) d’une foule de visiteurs, avant même son inauguration officielle prévue pour le printemps prochain.

JEAN DIAB.