LA CHRONIQUE

THÉRAPIES GAULIENNES POUR UNE EUROPE EN GESTATION

Hélas!! S’il vivait encore, il aurait sûrement usé de toute son autorité morale et politique pour faire entendre le message aux grands argentiers qui gouvernent la planète. Peut-être, aurait-il préféré que ses héritiers au pouvoir le fassent en son nom, en celui de la France et de l’Europe, qu’il rêvait voir un jour, libérée de toute hégémonie, et de gloire vêtue! Les successeurs du général De Gaulle, dont le président Jacques Chirac se veut le Grand Dauphin, soucieux de rendre à l’Europe son droit régalien à la différence, entonnent derechef l’hymne à l’Europe plurielle, dont le point d’orgue entraînerait ses partenaires européens à une compétition tous azimuts avec les Etats-Unis, dont l’hostilité à l’égard d’une Europe forte et solidaire est de plus en plus manifeste. Un coup d’envoi non des moins risqués! Plaidoyer en terre hostile! Toutefois, les Européens doivent enfin s’accorder, il y va à long terme de leur avenir, qu’une Europe satellisée, gravitant dans l’orbite américaine; n’est guère confortable. Le libéralisme sauvage d’outre-Atlantique ne devrait pas trop les tenter: les succès qu’il a remportés aux Etats-Unis au niveau de la production des richesses et du marché du travail, ne sont pas forcément toujours obtenus. Le taux de chômage à l’échelle européenne évalué à plusieurs di-zaines de millions, de déficits budgé-taires dont l’accroissement devient insupportable, ne peuvent pas être résorbés selon la méthode améri-caine. Les données n’étant pas les mêmes, les solutions ne le sont pas non plus. Les Européens n’aiment pas les idées reçues, d’où qu’elles viennent. Les Américains eux, sont décidés à américaniser le monde, advienne que pourra. C’est dans cet esprit que le président Bill Clinton claironne, tambour battant, au sujet des responsabilités mondiales, que les Etats-Unis s’en portent garants. Et c’est dans cette optique qu’il faudrait interpréter le contentieux euro-américain.

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Que nous le voulions ou pas, nous sommes concernés par les affaires européennes. N’est-ce pas à la communauté européenne, que nous sollicitons au quotidien, les aides et les soutiens? L’Europe des Quinze traverse actuellement une étape cruciale de son histoire. Va-t-elle continuer à sombrer dans les querelles de famil-les, alors qu’elle devrait s’attaquer aux problèmes communs qui la rongent impunément? A quel point ces vieilles nations entendent-elles se démarquer de l’hégémonie améri-caine et de la non moins nocive «mondialisation», somnambulant dans l’ignorance de la réalité com-munautaire, des connivences prospé-rant à leur insu contre toute tentative de sortir de l’ornière américaine? Néanmoins, si exagérés que puissent être les griefs à l’encontre de l’Union européenne, un constat s’impose avec une fidélité de miroir: l’Europe ne se constituera qu’à partir de la volonté et de la solidarité de ses peuples, et d’une politique socio-économique faite à sa mesure. Le tandem Chirac-Kohl, est conscient de ces impératifs. C’est aux parte-naires de l’Union qu’il incombe de s’engager dans cette même voie. La construction européenne tient à sa capacité à assurer la prospérité du vieux continent à tous les niveaux et dans tous les domaines. Les cen-taines de milliers de protestataires qui se révoltent dans les métropoles européennes, sont à eux seuls, un cri d’alarme qui devrait alerter la conscience des dirigeants européens. Si demain les cohortes de chômeurs crient leur colère, on ne devrait pas bien augurer du système de la monnaie unique européenne, dont l’application est prévue pour 1999. Cela étant, il ne faudrait pas être surpris, si les Européens à l’égal des Brésiliens et des Péruviens pour ne citer que ces deux modèles, fassent face au fonds monétaire interna-tional, en prononçant à leur tour, un verdict irrévocable à l’encontre de la monnaie unique et des grands argen-tiers européens qui l’auront par-rainée. Au delà de la répartition des compétences entre partenaires, il faudrait ajuster l’équilibre des Institutions européennes, pour ne pas donner prise au doute, quant à l’exercice des responsabilités essen-tielles. Or, continuer à considérer la Commission de Bruxelles comme étant un Exécutif incontournable n’est pas du tout raisonnable, ni tolérable, à long terme. «La Dame de fer Bruxelloise» se doit de consulter les «Quinze» sur tous les thèmes concernant l’Union économique et monétaire. A contrario, la Commu-nauté à structures constantes, serait ipso facto bloquée et remise en cause. Au stade fragile où il se trouve, un risque d’implosion du système monétaire européen pointe-t-il déjà à l’horizon? S’émiettera-t-il à la faveur des crises monétaires intereuropéennes, marquées par des querelles sur les taux et la dévaluation des monnaies, le plus souvent sauvées de justesse, sans oublier les réticences dont les Etats de l’Union se disputent l’usage, - tout cela engendrant les mêmes tensions latentes et ennuyeuses, au risque de conduire l’Europe moné-taire au bord du gouffre? Le monde proclame une Europe puissante, capable de remplacer, à elle seule, l’ensemble des idéologies désuètes. Il va falloir peut-être revenir aux plans fondamentaux, aux projets des grands ancêtres: Robert Schuman, Jean Monnet, Charles De Gaulle, Konrad Adenauer. Le prési-dent Jacques Chirac, et le chancelier Helmut Kohl, formeront-ils le noyau d’une Europe possible à la mesure du troisième millénaire? Puisse-t-il en être ainsi. De toute façon, les Européens, qu’ils le veuillent ou pas, sont appe-lés à s’entendre. C’est de leur solida-rité que dépend leur avenir et celui de la démocratie. Ils devraient mettre fin à leurs querelles de familles, aux rebellions de dinosaures et aux rivalités mortelles d’antan.

«C’est par l’effort et la solidarité que les peuples assurent leur avenir. Cet avenir, je le ferai pour le salut de la France et pour celui de l’Europe. Désormais toutes les responsabilités sont engagées.»

Charles De Gaulle

José M. LABAKI.