LA MORT D’UNE ENFANT DU SIÈCLE:

PAMELA HARRIMAN

UNE AMBASSADRICE HORS PAIR ET UNE DAME DU MONDE

Pamela Harriman, ambassadeur des Etats-Unis à Paris, est morte mercredi 5 février à Paris à l’âge de 76 ans des suites d’une hémorragie cérébrale. Bill Clinton a salué en elle une grande amie et l’une des femmes les plus talentueuses qu’il ait jamais rencontrées. Jacques Chirac, pour sa part, s’est déclaré très peiné de sa disparition. Il aimait s’entretenir avec cette femme belle et brillante. Il lui a rendu samedi lors de la cérémonie funèbre, un hommage solennel et l’a élevée, à titre posthume, au rang de grand’croix de la Légion d’Honneur, la plus haute distinction française. Née en 1920 à Farnborough, Pamela Harriman était, en effet, d’origine anglaise et fille du onzième lord britannique Edward Digby. Elle s’était d’abord mariée avec le fils de Winston Churchill, avant de devenir successi-vement la femme d’un producteur hollywoodien; puis, du diplomate milliardaire américain William Averell Harriman. Mais, ne parlons pas de ses talents de diplomate, parlons plutôt de sa vie de femme, une aventure fascinante qui fit d’elle une star en Angleterre, en France, en Amérique et de nouveau en France - cette France qu’elle aimait tant!

AÏEULE LÉGENDAIRE

Descendante d’une aïeule légendaire, la fameuse Jane Digby, aristocrate britanni-que dont les voyages et les amours exotiques notamment avec un “palikare” grec et un “cheikh” d’Arabie avaient défrayé la chronique amoureuse du XIXe siècle, la jeune Pamela rêvait sans doute, elle aussi, d’un destin hors du commun. La guerre de 39 lui en fournit l’occasion. A peine arrivée à Londres avec de vagues projets d’études d’infirmière, la voilà qui fait connaissance avec un jeune homme à la réputation assez fâcheuse, mais qui présente un maître atout, celui d’être le fils du grand homme du moment Winston Churchill. Pleine d’appétits pour la vie et de promes-ses dans ses jolis yeux bleus sous sa flamboyante che-velure de rousse, Pamela a vite fait de conquérir et d’épouser le fils - en faisant tomber le père sous son charme. Winston, conscient du savoir-faire de la jeune femme, en fait son alliée dans ses manœu-vres politiques. Et c’est ainsi que la belle enfant ren-contre l’envoyé de Roosevelt, Averell Harriman, quinquagénaire séduisant et provisoirement célibataire - sa femme étant restée au pays. Une idylle brûlante s’en suit, bientôt interrompue par le retour d’Harriman chez lui et par d’autres rencontres... Retour aussi du mari, sa santé de plus en plus délabrée, retour suivi d’un divorce et d’une envie irréversible de fuir l’Angleterre cafardeuse de l’après-guerre. Ce seront alors les dix années de Paris.

Le président Chirac rendant un hommage à P. Harryman en présence de Mme Chirac,
et de Winston Churchill fils de la défunte et petit-fils de l’ancien Premier ministre britannique.

ELLE DÉCOUVRE PARIS

Paris que Pamela ne connaît pas encore et où elle découvre éblouie, la joie de vivre qui l’anime. Plus pétulante que jamais et toujours très “Churchill”, ce qui lui ouvre bien des portes et des cœurs, la belle Pamela désormais élégante, sophistiquée, va d’amour en amour, dont une histoire avec Ali Khan - avant son mariage avec Rita Hayworth et une autre avec Gianni Agnelli avant qu’il n’épouse la princesse Caracciolo. D’autres encore, brillantes, bohêmes ou agi-tées qui alimentent les chroniques ga-lantes de la vie pa-risienne. Jusqu’au jour où lassée du Vieux continent, la jeune femme déci-de de partir à la conquête du Nou-veau monde - où ses amies con-scientes de son charme ravageur, mais prudentes quant à leur propre félicité conjugale, s’empressent de lui présenter un pres-que célibataire Leyland Hayward, puissant produc-teur de spectacles. Idylle, mariage, vie amusante entre la côte Est et la côte Ouest, ce qui enchante Pamela. Le bonheur quoi!... N’était-ce l’hostilité des beaux enfants qu’elle éloigne de leur père et les querelles d’intérêt à la mort de celui-ci. De nouveau seule et sans ressources, la cinquantaine sonnée - Katherine Graham, propriétaire du Washington Post s’est entichée d’elle et décide de lui présenter un veuf de fraîche date. Surprise: c’est son ex-amoureux Averell Harriman, désormais octogénaire, qui est tout aussi ému de retrouver cette toujours belle femme qui en un tournemain lui fera renaître des forces vives. Une fois de plus mariage, introduc-tion dans les sphères démocratiques de Washington et fortune désormais assurée. Au point qu’après quelques années de félicité conjugale, lorsque Harriman meurt en 1986, sa veuve reçoit une bonne part des 65 millions de dollars d’héritage et une collection de peintures à faire pâlir d’envie un musée. Une vie de veuve que Pamela ne peut concevoir inactive. La voilà qui se lance, personnellement, dans la politique collectant de l’argent pour la bonne cause démocrate et où, au cours des tournées qu’elle patronne elle va découvrir et promouvoir de jeunes talents du Parti, dont ce Bill Clinton qu’elle va aider de ses deniers à faire campagne avec le succès que l’on sait. Ce qui lui vaudra - en fonction d’un dicton qu’un bienfait n’est jamais perdu - l’insigne honneur jamais encore échu à une femme de devenir ambassadeur des Etats-Unis en France. Seule ombre au tableau: le procès que lui intentent voici deux ans ses beaux-enfants Harriman pour avoir dilapidé la part de fortune qui leur était destinée. Ce qui va la forcer à vendre chez Christie’s à New York un Picasso, un Renoir et un Matisse pour 18 millions de dollars qui contribueront à calmer les esprits. “Belle fin de carrière féminine”, avaient dit en souriant ceux qui la virent revenir en 1992 à Paris. “Ne vous y trompez pas, répliquèrent ses partisans, il y a là un savoir-faire que bien des diplomates pourraient lui envier, outre un flair redoutable”. Elle pratiqua les deux avec maestria, le même charme, le même sourire enjôleur et le même jeu de jambes sexy... et cet appétit de la vie. Ainsi un soir, dans les salons de l’Elysée elle s’entretenait gravement, des nécessaires bonnes relations franco- américaines, avec un diplomate qui tient à garder l’anonymat, jusqu’au moment où vint à passer ce bel homme qu’est l’écrivain français Paul Auster, “Ah! ces yeux d’émeraude, quelle merveille!... s’interrompit-elle le regard gourmand. “Tota muglier in utero”, écrivit un jour, un docteur latin aux environs du IXe siècle. Rien n’a changé depuis sous le soleil. Comme la mort du reste: c’est elle qui gagne toujours en fin de compte.