 
“Dolly” la brebis clonée.
Son “fabricant” Ian Wilmut, l’embryologiste, directeur des recherches.
Les émules de ce Dr Moreau, sorti de l’imagination débridée
de l’écrivain britannique H.G. Wells, dans son roman d’anticipation
bien connu, vont-ils transformer la terre un jour en une île immense
mais authentique - l’île des âmes perdues? C’est une question
que l’on est en droit de se poser avec la naissance de Dolly qui a choqué...
le moins que l’on puisse dire! Dolly est une brebis de sept mois en bonne
santé ressemblant à toutes ses congénères lorsqu’elle
est née en juillet à la ferme expérimentale de Roslin
Institute, dans la campagne d’Edimbourg. Dolly, pourtant, est devenue une
brebis «historique». Parce que c’est un «clone».
C’est la copie conforme d’une autre brebis non pas issue d’un ovule fécondé
- mais de cellules prélevées sur la mère génétique.
«Du coup, un principe de base s’écroule, affirment les scientifiques».
Car jusqu’à présent ils pensaient «qu’une cellule différenciée
n’était pas capable d’orchestrer le développement d’un embryon»,
or l’équipe écossaise du Roslin Institute vient de prouver
le contraire... Passons sur les étapes techniques dont le tableau
ci-contre est le schéma explicatif et venons-en aux étapes
ultimes où on laisse se développer l’œuf dans un tube à
essai et, au bout de quelques jours on l’implante dans l’utérus
d’une mère porteuse. Sur 277, seuls 29 œufs ont atteint le stade
d’être implantés et au bout du compte un seul agneau a vu
le jour: Dolly. Chose curieuse: les chercheurs expliquent encore mal leur
échec aussi bien que leur réussite! Dolly est une copie parfaite
de la brebis dont on a prélevé des cellules mammaires? Non,
car l’ovule même vi-dée de son noyau contient un patrimoine
génétique, l’ADN (acide désoxyribo-nucléique)
dont on ne connaît pas encore bien la contribution à l’hérédité.
En outre, lors du développement de l’embryon, des milliers de gènes
s’expriment et rien ne garantit qu’ils le feront dans le même ordre
et de la même manière que ne l’a fait l’embryon de la «version
originale». L’intérêt du «clonage» alors?
S’il est maîtrisé à grande échelle, on pourra
reproduire à l’identique des animaux appréciés pour
certaines qualités bien déterminées, le goût
de la viande, par exemple. Aujourd’hui on ne sait pas encore se passer
de l’ovule vide, ni d’un utérus. Le jour où l’un et l’autre
seront remplacés par un ovule artificiel et une super-couveuse,
le clonage aura atteint ses étapes ultimes. Et chaque sexe pourra
se reproduire sans aucun concours de l’autre, avec toutes les conséquences
que cela implique.

S’achemine-t-on vers un clonage humain?
LA LONGUE MARCHE DE LA FÉCONDATION ARTIFICIELLE
Pour ce qui est de la reproduction animale assistée,
les années 40 ont été témoins du développement
de l’insémination artificielle dans les élevages de bovins.
Dans les années 60 on passe au transfert embryonnaire, à
la suite de quoi, des clones de têtards sont obtenus à Oxford
à partir de cellules d’intestins et de peau de grenouille adulte.
Mais ce n’est qu’en 1961 qu’aux Etats-Unis, le spermatozoïde et l’ovule
se rencontrent désormais dans un tube à essai et c’est la
première fécondation in vitro de bovins. En 1996, des moutons
sont clonés à partir d’un embryon de neuf jours par les chercheurs
du Roslin Institute en Ecosse et en 1997, la même équipe obtient
un clone de mouton... on sait comment. De là à la fécondation
humaine manipulée... C’est depuis 1884 que la première insémination
artificielle a été réalisée en Amérique
du Nord pour pallier à la stérilité masculine. Beaucoup
d’encre depuis a coulé sous les ponts. A partir des années
50, cette technique se développe large-ment grâce à
la possibilité de congeler le sperme. En 1983 on passe à
la phase des dons d’embryons pour passer en 1993 à la première
expérience de clonage d’embryon humain aux Etats-Unis, et aboutir
en janvier 1997 à la congélation d’un ovocyte qui a con-tribué
à donner naissance, à Bologne, à une petite fille,
la troisième ou qua-trième au monde. Cette opération,
toutefois, se heurte encore à de nombreux obstacles et plus encore
de mystère. Et comme si la voie s’est ouverte, après Dolly
la brebis clone, la vache clone devrait-elle voir le jour d’ici la fin
de l’année? A présent, ce que l’on ignorait - il fallait
peut-être s’y attendre mais pas de si tôt - une semaine après
Dolly, on apprend l’existence de deux singes dupliqués dans un laboratoire
américain, résultant des travaux du chercheur Don Wolf, au
Centre régional des pri-mates de Beaver-ton dans l’Oré-gon.
A l’instar de son collègue écossais Wilmut, face au tollé
gé-néral provoqué, l’américain Wolf se défend
de vouloir ouvrir la voie au clonage humain en sou-tenant qu’il n’en voit
pas l’intérêt. C’est possible, mais à leur place, d’autres
généti-ciens en trouve-ront peut-être un! Puisque ces
ex-périences, tout est en train de le prouver, se rap-prochent de
plus en plus de l’hom-me. Les Frankenstein nouveaux apprentis-sorciers
feraient-ils défaut sur notre planète, baptisée précisément
la “planète des singes”?
Le choc et les réactions
La naissance de la brebis clonée a donc semé
le désarroi. Les éleveurs en sont inquiets, les politiciens
hésitent, des scientifiques espèrent. On pourrait résumer
la situation ainsi: sur le plan de la recherche, obtenir des animaux identiques
génétiquement manipulés pour produire des médicaments
par le truchement de ces animaux transgé-niques reproduits à
volonté; sur le plan des éleveurs, la crainte à moyen
terme d’un appauvrissement des races; sur le plan politique les responsables
se mobilisent pour éviter une dérive du clonage d’êtres
humains. Ainsi, M. François d’Aubert, sous-secrétaire d’Etat
à la recherche a péremptoirement déclaré: “Il
est inconcevable pour ne pas dire inadmissible, que des recherches soient
développées pour appliquer cette technique de clonage à
la reproduction humaine”. L’Italie a annoncé qu’elle interdirait
par ordonnance ministérielle toute expérimentation sur le
clonage. En Allemagne, le ministre de la recherche a appelé à
une interdiction internationale pure et simple de ce genre de travaux,
qualifiant de “pervers” les propos de certains scientifiques, désireux
de les justifier, pour de soi-disant raisons médicales, telle la
transplantation d’organes; aux Etats-Unis, Bill Clinton a immé-diatement
réagi en annonçant qu’au-cun fonds fédéral
ne financerait la recherche sur le clonage humain et il a demandé
à la commission nationale sur la bioéthique de procéder
à un examen complet des problèmes légaux et techniques
soulevés par cette découverte. En Argentine, trois projets
de loi prévoyant de sévères peines de prison ont été
présentés pour interdire tout travail sur la réalisation
de clonages humains. Ce n’est que le début du tollé... Cependant,
en ce qui concerne les animaux producteurs de médicaments, ils constitueraient
une mine pour les industriels, pour peu qu’on leur inocule le gène
d’une protéine ayant un intérêt thérapeuti-que.
Celle-ci pourrait alors être produite en grande quantité dans
le lait des animaux, puis extraite et purifiée. Du reste, une firme
britannique la PPL Therapeutics a déjà acheté les
droits de la technique de clonage du Roslin Institute d’Edimbourg. Comme
on le constate, la naissance de cette brebis clonée bouleverse bien
des tabous mais ouvre la voie en même temps à une manipulation
d’un intérêt considérable permettant d’ob-tenir des
animaux, transformés en usines à hormones ou en donneurs,
compatibles avec l’homme. La reproduction à l’identique sans fécondation
peut devenir à longue échéance un outil étonnant,
irrempla-çable pour faire de l’embryologie, comprendre et déchiffrer
les premiers instants de la vie - en dépit de toutes les réserves
exprimées au nom de l’éthique, de la morale et par la religion.
Interrogé par la presse, le prix Nobel François Jacob en
revanche ne s’est pas inquiété outre-mesure de la découverte:
“C’est plutôt une belle performance! Il y a très longtemps
qu’on essaye de faire ça et maintenant on crie au scandale! Le sensationnel
l’emporte toujours sur les perspectives scientifiques. On s’excite plus
sur le faire, que sur le savoir... Moi qui ait tant vanté et écrit
sur la diversité, je devrais être plus sensible qu’un autre
à cette négation de la diversité que constitue le
clonage? Et pourtant, je ne m’en inquiète pas: réaliser des
copies conformes présen-terait le danger bien connu de rendre les
êtres, sensibles aux mêmes infec-tions, aux mêmes parasites,
ce qui finirait par balayer tous les clones! Le clonage n’apporte aucun
avantage à une espèce bien déterminée - à
part l’expérimentateur. Son aspect le plus spectaculaire c’est la
disparition avec lui de la reproduction séxuée. Pendant longtemps
on a essayé d’avoir du plai-sir sans enfant. Avec la fécondation
in-vitro, on a eu des enfants sans plaisir. Et maintenant, on va arriver
à faire des enfants sans plaisir, ni spermatozoïde. Peut-être
aura-t-on ainsi la paix dans le monde? Mais pour que ça aille changer
la structure familiale... Pour l’instant je pense que le clonage restera
une opération compliquée pendant encore de longues années...”
Conclusion: En dépit des propos rassurants et des boutades du Pr
François Jacob, le fait d’avoir touché à la procréation
est un message qui dépasse de loin le cadre scientifique; il constitue
la “transgression absolue” et a engendré la levée des boucliers
à laquelle on assiste mais qui pourrait se révéler
à la longue inefficace. Notre civilisation de “savoir-faire et de
marché” résistera-t-elle à la tentation? Aujourd’hui,
le tabou reste assez puissant pour que les promesses de s’abstenir des
généticiens paraissent crédibles. Mais demain... on
trouvera peut-être une raison pour les trahir.
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