 
A Zouk, les métiers à tisser sont presque
des pièces de musée.
Dans le vieux souk de Zouk-Mikael, au fond d’une modeste échoppe,
un homme voûté par des années de labeur est à
l’œuvre. Installé au centre de son métier à tisser
artisanal maniant les fils tendus comme une harpe et avec des gestes devenus
rituels, il fait aller et venir une navette entre un faisceau de fils pour
faire augmenter patiemment et progressivement la texture. Des gestes renouvelés
à longueur de journées... Il s’agit du maître-tisserand
Antoun Saleh Saadé. Il vient de réaliser une véritable
pièce d’art en tissant en fils de soie, le portrait du Premier ministre
Rafic Hariri. Un travail de longue haleine qui a mobilisé «moallem
Antoun» durant quatre mois, à raison de six à neuf
heures de tissage par jour, soit au total six cent quarante heures de travail
effectif. Le résultat est là. La ressemblance est frappante
et la tapisserie est des plus expressives.
C’EST EN TISSANT QU’ON DEVIENT TISSERAND
«J’ai travaillé à partir d’une photo, nous
dit ce sexagénaire à la bonhomie naturelle et quasi-familière.
Mon fils m’a dessiné un carton de tapisserie structurant le visage
en diverses zones, à l’aide de lignes de niveaux. Un «scanning»
à notre manière!, s’exclame-t-il la mine réjouie.
Maintenant, je vais l’offrir à son destinataire, mais je ne sais
pas s’il faut aller à Koraytem ou au palais du gouvernement! Tout
compte fait, j’aimerai mieux le rencontrer en famille. Pensez-vous que
ce sera possible?» Antoun Saadé se défend d’être
artiste. «Je suis un simple tisserand, explique-t-il, et dans la
famille, nous le sommes de père en fils. Mon père Salim aussi.
Je sais tisser depuis l’âge de dix ans, cela ne m’a pas empêché
de poursuivre mes études au collège d’Antoura jusqu’en terminale.
Ce n’est qu’en 1955, à l’âge de 18 ans, à la mort de
mon père, que je suis devenu tisserand à mon tour en reprenant
son affaire. C’est un métier très difficile. C’est en tissant
qu’on devient tisserand et à force d’expérience, je suis
parvenu à faire toutes sortes de tissages ainsi que des portraits,
des tableaux, des tapisseries. J’ai même amélioré mon
métier à tisser sur lequel la largeur de tissage maximum
était de 80cm. J’ai fabriqué moi-même un métier
me permettant d’atteindre une largeur de trois mètres pour les tapisseries.
J’ai ainsi enrichi l’héritage artisanal de mon père.»
- Votre fils prendra à son tour la relève... «Malheureusement,
mon fils a choisi de faire des études de design et ne pense pas
devenir tisserand à son tour. C’est un exemple de la désaffection
qui frappe notre métier qui, pourtant, a fait la réputation
de l’artisanat de Zouk. De 400 tisserands en 1960, nous ne sommes plus
qu’une quinzaine. Voilà pourquoi mon souhait le plus cher est de
former de nouvelle génération de tisserands à Zouk.
La municipalité nous a promis de créer une école à
cette fin.»
SAUVER L’ARTISANAT DE ZOUK
- Cela permettra-t-il de sauver l’artisanat de Zouk? «Pour
sauver Zouk et son artisanat dont la réputation a largement dépassé
nos frontières, l’aide de l’Etat est nécessaire, non seulement
en contribuant à la création dans nos murs d’une école
des arts et métiers, mais surtout en plaçant une tapisserie
de Zouk dans chaque ambassade du Liban à l’étranger. Ce qui
stimulerait nos artisans à plus de production et constituerait pour
notre artisanat un vaste réseau de promotion à l’échelle
mondiale». Sur ces bonnes paroles, le maître-tisserand s’est
remis au travail, maniant sa navette et son peigne géant sur son
armure tendue de fils de chaîne et de trame, avec la dextérité
d’un musicien actionnant son archet sur les cordes de son instrument pour
faire naître des merveilles. Un vrai magicien, ce «moallem
Antoun»!
J.D.
|