|
L’affaire japonaise est un scandale... mais de petite dimension».
C’est le ministre de l’Information qui l’a dit, en
recevant mercredi le conseil de l’Ordre des journalistes. Alors que Tokyo
insiste toujours pour leur extradition et que trente organisations libanaises
et palestiniennes réclament l’asile politique aux cinq détenus
de l’Armée rouge, les hommes politiques, tant opposants que loyalistes,
constatent que cette affaire connaît de nouveaux rebondissements.
L’important, pour le moment, est de fermer la porte d’où souffle
le vent et, surtout, de savoir comment ramener le navire à bon port,
alors qu’il est pris dans la tempête. En fait, le Liban n’a pas bien
su lire dans le livre de l’affaire japonaise, considérant qu’il
s’agit, uniquement, d’appréhender quelques personnes et de les incarcérer.
Celles-ci ont été arrêtées le 14 mars dernier
et jusqu’à cette date, il n’a pas été répondu
aux multiples points d’interrogation qu’elle pose.
«HÉROS» DE LA CAUSE NÞ1
DES ARABES
Ainsi, la prison de Roumié retient entre ses murs des prisonniers
d’un genre spécial, dont le cas diffère de tous les autres,
quels que soient leurs crimes. Aussi, leur maintien en état d’arrestation
préoccupe-t-il certains de ceux qui ignorent la lecture politique
dans les livres révolutionnaires. D’autant qu’ils sont connus pour
être de fervents partisans de la première cause des Arabes,
celle de Palestine où ils se sont signalés par des actions
d’éclat, au point qu’ils sont considérés comme des
«héros» de cette cause. On dit même qu’ils ont
célébré le 14 mars à leur manière en
prison, donnant ainsi la preuve de leur détermination à ne
pas dévier de la voie dans laquelle ils sont engagés. Le
fait pour cent-soixante-dix avocats d’avoir offert de les défendre,
témoigne de l’estime dans laquelle les tiennent les milieux nationalistes
libanais et arabes. A l’heure où les Arabes, de l’Océan au
Golfe, paraissent désemparés face aux visées hégémoniques
et aux intentions bellicistes d’Israël, on est étonné
de les voir manifester un manque de loyalisme à l’égard des
partisans de leurs causes. L’ambassadeur du Japon, M. Yasuji Ishigaki réitère
la demande de son gouvernement relative à l’extradition des cinq
ressortissants japonais, alors qu’une vague de soutien et de solidarité
avec Kozo Okamoto, l’unique survivant de l’opération perpétrée
en 1972 contre l’aéroport de Lod, en Israël, ne cesse de grandir,
réclamant sa mise en liberté. Dans le même temps, des
tracts sont distribués dans les rues de Beyrouth et les autres villes
libanaises lui apportant un appui populaire, ces tracts portant la photo
d’Okamoto et de ses camarades, prise lors de leur procès à
Tel-Aviv en 1972, après l’opération de l’aéroport
de Lod. On dirait que ces tracts sont une réplique à la décision
de Tel-Aviv de construire un nouveau quartier juif à Jérusalem-Est,
la construction de 6.500 unités de logement à Har Homa constituant
une violation flagrante des accords palestino-israéliens. Aussi,
peut-on s’attendre que les bulldozers de Jabal Abou-Ghoneim compromettent
le processus de paix.
MEETING DE SOUTIEN DES PARTIS
Au cours d’un meeting de soutien aux militants japonais, organisé
par le «Hezbollah», vingt orateurs se sont succédé
à la tribune pour réclamer le droit d’asile aux membres de
l’Armée rouge (détenus à Roumié) au nom des
partis islamiques et nationalistes libanais, des diverses organisations
palestiniennes et mouvements sociaux. Tous ont demandé aux trois
présidents de libérer Okamoto et ses camarades. La résistance
est donc entrée en ligne et cela suppose qu’elle est soutenue par
des instances assumant la défense des droits arabes, du point de
vue de la doctrine et de l’idéologie. Il pourrait y avoir une marge
tactique quant à la récupération de ces droits par
la voie de la négociation, mais il n’existe aucune marge pour le
compromis, ni même pour la manœuvre autour des croyances et de la
stratégie révolutionnaire. Surtout après qu’une source
nippone suivant de près le dossier de l’Armée rouge au Liban,
eut affirmé qu’Okamoto constitue une énigme pour le peuple
japonais depuis vingt-cinq ans et qu’on ne peut résoudre cette énigme
qu’en livrant Okamoto et ses camarades à la Justice japonaise.
L’AMBASSADE RENFORCE LE DISPOSITIF DE SÉCURITÉ
L’ambassade du Japon renforce son dispositif de sécurité,
en dressant des barricades et des remblais autour de son siège,
à l’effet de prévenir toute opération kamikaze. Et
ce, après l’arrestation des cinq ressortissants japonais au Liban.
Ici, on est en droit de poser la question suivante: Les Japonais incarcérés
à Roumié sont-ils les seuls à faire partie de l’Armée
rouge? Ou bien en existe-t-il d’autres dans la plaine de la Békaa
où ils procèdent à l’entraînement d’éléments
déterminés qui participent aux opérations anti-israéliennes
de la résistance au Liban-Sud? Il ne s’agit jusqu’ici que de rumeurs.
Mais qu’adviendrait-il si ces rumeurs étaient confirmées?
L’affaire ne serait pas, alors, aussi facile que l’imaginent certains responsables
libanais. Les “mines” pourraient commencer à exploser l’une après
l’autre et révéler l’existence d’une “transaction” qui aurait
eu lieu avec Tokyo.
MENACE DE SUICIDE
De toute manière, les chefs d’accusation retenus contre
les prévenus japonais ne suffisent pas à les condamner. Puis,
le fait de participer à la lutte contre l’ennemi israélien
et de verser son sang sur l’autel de la cause arabe, est-il condamnable?
Ou bien le faux, l’usage de faux et le séjour illégal constituent-ils
le péché mortel nécessitant leur incarcération?
Pourtant, Okamoto a dit en prison qu’il ne croyait pas que le Liban, les
Etats et les peuples arabes peuvent les abandonner, lui et ses camarades,
avec tant de facilité. “Nous avons combattu à leurs côtés,
a-t-il ajouté, et nous continuerons à le faire s’ils décident
de reprendre le combat”. Il a reconnu que Haruo Woko avait entraîné
certains membres de la Résistance libanaise et assuré qu’avec
ses camarades, ils ne vivaient pas dans la clandestinité à
Beyrouth, précisant qu’ils résidaient dans un édifice
connu sous le nom “d’immeuble des Japonais”. Il a menacé, d’autre
part, de se suicider avec ses camarades si le gouvernement libanais décidait
de les livrer au Japon, ainsi qu’il l’a déclaré au journal
“Al-Kifah Al-Arabi”.
PEUT-ON LES EXTRADER?
Le gouvernement peut-il les extrader, après toutes ces
données? Dans la négative, seront-ils maintenus en prison
et jusqu’à quand? Puis, qu’en est-il de leurs camarades disséminés
dans la Békaa, au Liban-Sud et, peut-être, même dans
la banlieue sud? Par ailleurs, on s’interroge sur l’avenir des relations
entre Beyrouth et Tokyo, surtout si l’affaire prenait une tournure différente
de ce que souhaite la capitale japonaise, laquelle a promis une aide substantielle
lors du forum des “Amis du Liban” à Washington. Quoi qu’il en soit,
un prix doit être versé: qui le paiera et qui sera le bouc
émissaire, en définitive, après le gel d’une note
envoyée à un haut fonctionnaire non civil? Et cette note
serait-elle adressée à un civil?
QUID DE OUMAYYA ABBOUD?
Cela dit, quel sort sera réservé à Oumayya
Abboud, l’acupunctrice ayant obtenu des aides du gouvernement de Tokyo
et du ministère japonais des Communications en 1994, consistant
en équipements, matériel de massage, de stérilisation
et d’autres objets à usage médical d’un montant global de
5.000 dollars? Ce même ministère a envoyé une aide
en espèces de même valeur et dépêché en
1996 une femme-médecin, le Dr Chikako pour soigner des malades japonais,
assistée de deux collègues venus avec elle de Tokyo. Oumayya
Abboud sera-t-elle libérée et son dossier classé ou
bien est-il impossible de dissocier son cas de celui des cinq membres de
l’Armée rouge?
***
Les questions sont nombreuses... et les réponses mitigées!
Toutes les possibilités et les qualifications se posent pour une
affaire devenue pareille à un écheveau en laine dont les
fils lient les mains de l’Administration libanaise qui ne sait si elle
doit parler ou garder le silence, rester immobile ou agir...
JOSEPH MELKANE
|