Par MELHEM KARAM
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I - LES ISLAMISTES EXTIRPERONT-ILS MOUSTAPHA KÉMAL DE SES RACINES?II - PALESTINE: SOUVERAINETÉ ÉLARGIE OU ÉTAT-MINIATURE |
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- I - Les islamistes extirperont-ils Moustapha Kémal de ses racines? L’action au plan de l’intégrisme islamique extrémiste menée par le Rafah, parti au pouvoir en Turquie, revêt plusieurs aspects de nature à maintenir les militaires sur le qui-vive, car ils ont à intervenir en tous lieux: avec la magistrature, après que Sekat Kazan, ministre de la Justice, eut conféré à la femme le droit de porter le voile. Aussi, ont-ils formulé une opposition juridique auprès du tribunal d’Istamboul qui a reconnu le caractère anti-constitutionnel de cette mesure. Un an après l’accession des islamistes au pouvoir sous la présidence de Najmeddine Erbakan, la Turquie se voit face à l’imminence d’un conflit déclaré avec les militaires soucieux de préserver la laïcité de l’Etat qui compte 57 millions d’âmes, dont treize millions de kurdes, soit une proportion de 92 pour cent, des musulmans à majorité sunnite et vingt pour cent d’alaouites. Ces derniers agissent en tant que groupe progressiste émanant du chiisme. Moustapha Kémal a proclamé la république en 1922, en précisant que c’est un Etat laïc. De ce fait, son affiliation à l’Occident s’est consolidée après la guerre, suite à son adhésion à l’OTAN et au Conseil européen Quant au parti Rafah qui signifie «prospérité islamique», il est devenu la première force politique, après avoir recueilli vingt-et-un pour cent des suffrages aux élections législatives du 24 décembre 1995. En mars 1994, les islamistes avaient investi les municipalités dans vingt-et-une grandes villes. Najmeddine Erbakan lui-même évite d’assister aux réceptions de l’état-major militaire accompagné de son épouse portant le voile. Le Refah n’est pas le front islamique algérien; c’est un parti hybride que le politologue Rusem Cakir définit comme «Islamiste dans son idéologie, populiste dans son verbe et stalinien dans son organisation». Il s’est infiltré dans les institutions, spécialement dans celles de la justice et de l’éducation, tout en se promettant d’avoir une présence dans tous les rouages de l’Etat. Cependant, l’Armée surveille minutieusement tout ce qui se passe et intervient au moment opportun, à l’effet de protéger le patrimoine kémaliste qu’elle considère en danger. De là, elle parie sur le fait que le pouvoir usera les islamistes et accélérera leur fin. L’armée est intervenue à trois reprises en trente-cinq ans pour protéger le legs kémaliste, estimant qu’il était menacé. Mais aujourd’hui, les militaires se trouvent dans une phase d’attente. Ils plient la tête quelque peu pour voir ce qui se passera et comment Erbakan traitera les dossiers sensibles et brûlants, surtout ceux concernant le problème kurde, la sale guerre au sud-est de l’Anatolie, la convention sur l’unité douanière avec les quinze Etats européens, les relations avec Washington et les accords militaires avec Israël. Le Refah a opéré un virage de 180 degrés, alors qu’il tente de revenir à la situation de ses prédécesseurs. Sa politique a paru sage et gagnante, preuve en est que les élections partielles ayant eu lieu fin décembre, ont consolidé la position électorale du parti. En octobre, le Rafah a tenu son congrès sous un portrait géant de Moustapha Kémal et affirmé son engagement en tant que mouvement centriste, à la faveur d’une discussion véhémente ayant marginalisé des voix discordantes qui ont tenté de rappeler au parti son islamisme. Erbakan a lancé son appel et ses initiatives, comme il le dit, pour donner à la Turquie son rôle de leader dans le monde islamique. Le volume des échanges avec des Etats comme la Libye et l’Iran est marquant. Cependant, les défis à Washington ont embarrassé la base islamique. Toujours est-il que les conséquences des appels aux frères islamiques ont eu un maigre résultat, spécialement dans les domaines économique et politique. A Tripoli, le colonel Kazzafi a attaqué Erbakan pour sa politique hostile aux Kurdes. Et devant le président iranien, Erbakan a été contraint de déployer beaucoup d’efforts afin de justifier son accord avec Israël, destiné à renouveler ses avions «Phantom». Il a même été amené à dire: «Le Prophète Mahomet nous conseille d’avoir la meilleure connaissance. Nous n’avons rien gagné de notre accord avec Israël; au contraire, nous avons perdu la confiance de nos frères et de nos alliés traditionnels». Quoi qu’il en soit, les rêves d’Erbakan sont en voie de se volatiliser, parce que les militaires patientent, mais ne pardonnent pas. Puis, son hésitation et son souci de satisfaire les ordres des militaires et de condamner bien des comportements de tendance libérale de son parti, tout en étant noyé jusqu’aux oreilles avec son alliance avec l’Etat hébreu, tout cela pose des points d’interrogation et jette une ombre sur l’avenir du parti qui, tout en ayant rassemblé le cinquième des citoyens autour de sa base, reste incapable d’extirper le kémalisme à ses racines et de briser le prestige d’un chef laïc géant ayant nom Moustapha Kémal Ataturk. | |
- II - Les propos tenus par le ministre israélien de la Justice sont insipides, ne convenant pas à un responsable gouvernemental. Tsahi Hanguy avait surenchéri pour couvrir le scandale pour lequel il est poursuivi et qui finira par l’exclure, immanquablement, du Cabinet: «Yasser Arafat sera expulsé et redeviendra errant entre Bagdad et Tunis». Ces propos ont été considérés déshonorants pour un homme ordinaire non cultivé; que serait-ce d’un ministre de la Justice s’adressant à un chef d’Etat? La réplique de David Lévy, visant à atténuer l’impact de la déclaration de son collègue, dévoile la profondeur du différend qui divise la droite israélienne autour de l’Etat palestinien. Cependant, Yasser Arafat n’a pas désespéré de guider l’idéologie du Likoud et de l’orienter vers un pragmatisme réaliste. La stratégie de Arafat paraît réaliser des succès palpables. La semaine dernière, David Bar-Llan, conseiller politique de Netanyahu, a secoué la droite israélienne dans son ensemble quand il a fait allusion, pour la première fois, à la possibilité de créer un Etat palestinien. En effet, il a déclaré au «Jerusalem Post»: «Ils peuvent l’appeler ce qu’ils veulent: souveraineté élargie ou Etat-miniature». «Quant à ce à quoi nous faisons face, à l’instar du parti travailliste, c’est une «souveraineté limitée» ne menaçant pas la sécurité et les intérêts vitaux d’Israël». Bien que prononcées d’une manière insinuative, ces paroles ont provoqué des réactions violentes. Des voix de la droite se sont élevées pour approuver cette position et son réalisme, même dans les milieux sionistes religieux acquis à l’idée de soutenir l’Israël biblique. D’autres membres de la même droite ont maudit et crié à l’anathème, qualifiant cette attitude de criminelle. Ceci témoigne de ce que la «révolution culturelle» du Likoud et de ses alliés n’est pas encore entamée. Mais l’aile dont Netanyahu est le chef de file, commence à affronter ses premiers doutes, après avoir lancé depuis six mois, des principes feignant d’ignorer le fait accompli du processus de paix. De là, la colère manifestée par Yasser Arafat trouve sa signification, après avoir haussé le ton devant Netanyahu, qui a refusé de laisser la police palestinienne surveiller le «Caveau des Patriarches», endroit sacré pour les musulmans et les juifs à la fois, lesquels prient à la mosquée Al-Ibrahimi. Le chef palestinien s’est exclamé. «Si vous voulez contrôler la mosquée, prenez-la. Conservez tout. Prenez Hébron; je ne la veux pas. Vous ne voulez pas d’accord et ne voulez rien accepter». Puis, il s’est levé et s’est dirigé vers la porte pour quitter la salle. Mais des membres de la délégation palestinienne sont intervenus pour le ramener. Et Netanyahu a été forcé de lui dire: «Je comprends votre réaction et vos sentiments». Ainsi, Netanyahu a terminé la rencontre chaude, qualifiée par le coordonnateur américain, Dennis Ross de «rencontre très positive s’étant déroulée dans un climat fructueux». Arafat a tenté et c’est sur quoi il insiste, ces temps-ci avec le chef du gouvernement israélien, d’amener Netanyahu à saisir l’occasion qui s’offre à lui aujourd’hui et à opter pour l’alternative suivante: la coopération ou la confrontation, en affirmant que la campagne contre la colonisation est unanimement soutenue sur la scène internationale. Arafat finira par tirer une déduction logique, à savoir qu’il n’y a pas de positivisme sans un aspect pratique. Quoi que fasse Netanyahu, il finira par y souscrire, s’il est réellement désireux d’instaurer la paix. Et si la proportion de soixante-dix pour cent des voix israéliennes qui ont appuyé l’initiative de Hébron peuvent le conduire sur le droit chemin. |