DIRECTEUR DE L’OBSERVATOIRE DE BHANNÈS

CHARLES TABET “LE TREMBLEMENT de terre DU 26 MARS 1997 ÉTAIT, À MON AVIS, LA RÉCURRENCE DE CELUI DU 16 MARS 1956”
“ON NE PEUT PRÉVOIR UN SÉISME À L’AVANCE”

Pour en savoir davantage sur les séismes, nous avons rencontré à Bhannès, M. Charles Tabet, directeur de l’observatoire du CNRS. Ayant fait ses études supérieures et son master’s en géo-physique et hydro-géologie à l’université américaine de Beyrouth, il passe quatre ans aux U.S.A. pour préparer un doctorat dans le même domaine et en sismologie. De retour au Liban, il enseigne à l’AUB pendant douze ans pour passer, ensuite, à l’observatoire en 1987, dont il est devenu par la suite, le directeur. L’observatoire de Bhannès a été créé en 1980, en remplacement de celui des Pères jésuites de Ksara qui remontait à 1904. Aujourd’hui, en plus de ce centre ultra-moderne, le CNRS projette d’installer quatre stations périphériques dans le pays.


LES TROIS DIVISIONS DE NOTRE PLANÈTE
Avant de parler du dernier en date de nos tremblements de terre, M. Tabet commence par expliquer ce qu’est un séisme et comment il se produit avant d’aborder le cas du Liban. “Pour comprendre, affirme-t-il, ce qu’est un tremblement de terre il faut, tout d’abord, comprendre les divisions internes de notre planète. “Si on va de la surface vers le centre de la terre, on relève trois divisions principales: la croûte terrestre, qui est solide: c’est là où on trouve les minéraux et les roches; son épaisseur varie entre cinq et 75 km. Elle n’est pas uniforme; il y a moins d’épaisseur sous les océans, alors que sous le continent, surtout dans les hautes montagnes comme l’Himalaya, cette épaisseur est à son maximum. Il y a donc deux genres de croûte: océanique et continentale, entre lesquelles il faut différencier. La croûte océanique est plus dense et lorsqu’il y a collision entre une croûte océanique et une croûte continentale, il y a subduxion de la croûte océanique sous la croûte continentale. “La croûte terrestre n’est donc pas uniforme: elle est divisée en blocs qu’on appelle des plaques; c’est la “théorie des plaques tectoniques” qui arrive à expliquer tout ce qui se passe à la surface et à l’intérieur de la terre. “Sous la croûte terrestre, il y a ce qu’on appelle le manteau. Cette partie de la planète-terre est formée d’un mélange solide et visqueux, la partie visqueuse ayant, à titre d’exemple, la même propriété que la lave des volcans. “Les plaques formant la croûte terrestre, flottent sur le manteau et sont en mouvement continu, du fait de l’existence de courants dits de convections. Dans leur mouvement, ces plaques prennent des directions bien déterminées et ce mouvement est très minime par rapport à la rotation de la terre autour de son axe; il est évalué à quelques centimètres par an. Par exemple, dans l’Atlantique, le mouvement est de deux centimètres par an et il a fallu deux-cent millions d’années pour que se fasse la divergence entre l’Amérique latine et l’Afrique avec l’Océan Atlantique au milieu. La dorsade océanique est toujours là, avec l’Islande en son milieu qui fut formée d’une éruption volcanique en pleine mer”.


La carte géologique du Liban.

COMMENT SE PRODUIT UN TREMBLEMENT DE TERRE?
Poursuivant son explication M. Tabet affirme: “La troisième partie essentielle de la terre est le noyau qui se divise en deux parties distinctes: le noyau externe, formé de fer liquide et le noyau interne, formé de fer solide. On sait, par ailleurs, que le noyau externe est la source du champ magnétique terrestre. C’est à partir de là qu’on peut commencer à comprendre comment un tremblement de terre peut se produire. C’est une accumulation d’énergie soit dans la croûte terrestre, soit dans le manteau supérieur qui provoque un tremblement de terre. On peut, ainsi, avoir des séismes de zéro km de la surface de la terre à une profondeur allant jusqu’à 700 km; c’est là où se trouve le foyer du séisme, d’où l’énergie commence à se propager dans toutes les directions pour arriver à la surface et être détectée par les observatoires. “Quant à l’accumulation de l’énergie dans ce qu’on appelle le foyer, elle est due au mouvement des plaques. Chaque fois qu’il y a collision entre les plaques, divergences ou glissement au bord des deux plaques, il y a accumulation d’énergie dans les roches. Mais il arrive qu’à un moment, cette énergie ne peut plus s’accumuler; une partie de cette énergie doit, dès lors, se dissiper. C’est autour du foyer qu’il y a propagation de l’énergie sous forme d’ondes élastiques. “Ces ondes élastiques se divisent en deux groupes: les ondes de volume et les ondes de surface. Les ondes de volume se divisent, à leur tour, en deux: P et S. Les ondes “P” sont les ondes primaires et les ondes “S” sont les ondes secondaires. Les “P” ont une vitesse de 8 km/seconde et le “S”, 6 km/seconde. Les “P” arrivent les premières à la surface de la terre, pour être enregistrées par l’observatoire avec, bien sûr, une différence de quelques secondes entre le temps d’origine et l’enregistrement à l’arrivée qui est fonction de la distance de mon observatoire à l’épicentre du séisme. “Puis, arrivent les ondes “S” secondaires appelées, aussi, ondes de cisaillement, car elles sont les plus dangeureuses par rapport aux structures (bâtiments immeubles, etc...) car elles coupent en passant. Les ondes “P” et “S” sont suivies par les ondes de surface “Love” et “Rayleigh” qui ont une vitesse de 4/4; toutes sont enregistrées sur le sismographe. Connaissant la vitesse de chacune de ces ondes et, partant, de la possibilité de déterminer la différence de temps entre “P” et “S”, je peux déterminer la distance de l’épicentre du séisme par rapport à mon observatoire. Pour savoir, ensuite, dans quelle direction, il faut trois observations faites dans trois observatoires différents et à différentes distances de l’épicentre. L’intersection de trois cercles nous donne, avec précision, l’épicentre du séisme.


M. Tabet explique la manière de mesurer la magnitude d’un séisme et de localiser son épicentre.

COMMENT DÉTERMINER LA MAGNITUDE ET ÉVALUER L’INTENSITÉ?
Le directeur de l’observatoire de Bhannès nous explique, aussi, comment il détermine la magnitude du séisme à partir d’une opération logarithmique portant sur sa distance et sa durée. “Il faut, ajoute-t-il différencier entre la magnitude et l’intensité du séisme. La magnitude est proportionnelle à l’énergie qui se dissipe du foyer du séisme; c’est une valeur quantitative calculée à partir d’une équation logarithmique. Tandis que l’intensité porte sur les dégâts causés par le tremblement de terre. La magnitude est calculée sur l’échelle de Richter et va de 1 à 9, alors que l’intensité est calculée, sur l’échelle de Mercali et va de 1 à 12. “Quant à la durée, elle n’est pas calculée scientifiquement et dépend de ce que les gens ressentent.”

- Venons-en au Liban. Pourquoi est-il exposé depuis sa plus lointaine Histoire à des tremblements de terre?
“C’est la théorie des plaques tectoniques qui explique pourquoi le Liban est affecté par des tremblements de terre. Evidemment, ce phénomène n’a pas varié depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, car quand on parle géologie, le temps est minime par rapport à l’âge des roches. Par exemple, les instruments de notre observatoire sont posés sur des roches qui ont 160 millions d’années.


Une secousse tellurique telle qu’enregistrée sur le sismographe.

RIEN N’A CHANGÉ DEPUIS DEUX MILLÉNAIRES
“Pour le Liban, rien n’a donc changé du point de vue tectonique durant deux millénaires. Le Liban est traversé par une bordure de deux plaques: la plaque arabique et la plaque du Levant. Cette bordure commence dans la mer Rouge, va vers la mer Morte, traverse le Liban où on l’appelle la “faille de Yammouné”; elle va en Syrie et prend pour nom la “faille du Ghab”, continue jusqu’au Sud de la Turquie où elle rencontre une autre faille: “la faille Est anatolienne”. “Nous avons donc une bordure de deux plaques qui a, à peu près mille km. de longueur; le Liban est à cheval sur ces deux plaques. C’est la raison pour laquelle il est, périodiquement, affecté par des tremblements de terre, tout au long de son histoire et cela va continuer.”

- Ce n’est pas très rassurant!
“Il faut voir les choses sous leur aspect scientifique: chaque fois qu’il y a un séisme, il y a dissipation d’énergie, mais au bout d’un certain temps, l’énergie s’accumule à nouveau pour provoquer un autre séisme et ainsi de suite. Car on est toujours sur la bordure de deux plaques qui sont continuellement en mouvement, sous forme de coulissage au niveau du Liban. C’est comme en Californie, la même tectonique. “Il faut, par ailleurs, distinguer trois mouvements de plaque: divergent, convergent et par coulissage.”

PÉRIODES DE RÉCURRENCE
- On peut donc établir un parallèle entre le Liban et la Californie?

“Oui, car en Californie, il y a la “faille de Saint Andréas” qui traverse la Californie du nord au sud et forme la bordure entre la plaque pacifique et la plaque américaine. Mais il faut prendre en considération que les deux plaques américaines sont des plaques majeures, tandis que chez nous ce sont des plaques mineures ou secondaires. Pour cela, on n’a pas une activité comme en Californie. Mais il y a eu, au cours de l’Histoire, des tremblements de terre qui ont détruit toute la côte libanaise.”

- Qu’en est-il de la théorie des cycles sismiques?
“Concernant, par exemple, le séisme de 1956, on a calculé sa période de récurrence entre 40 et 45 ans. C’est une étude statistique qui permet de voir combien il nous faut d’années pour accumuler de nouveau la même quantité d’énergie pour avoir un séisme au même épicentre. Le tremblement de terre de 1956 s’est produit sur la faille de Roum, une faille secondaire par rapport à la faille de Yammouné et l’épicentre était à Chéhim. J’espère que le tremblement de terre qui a eu lieu 41 ans plus tard, sera celui qu’on attendait pour la faille de Roum comme récurrence de celui de 56.”

- Le tremblement du 26 mars 97 ressemble-t-il à celui du 16 mars 56?
“Du point de vue de l’épicentre, ils se sont produits sur la même faille, celle de Roum. Du point de vue profondeur, celui du 26 mars 97, avait son foyer à une profondeur de cinq km, donc très superficielle.”

- Il n’a pas causé de victimes ni de dégâts comme en 56?
“Sa magnitude était moindre que celle de 1956 et la quantité d’énergie qui s’est dissipée aussi. “En 56, la magnitude était de 5,9 à 6 sur l’échelle de Richter; cette fois, elle a été de 5. Il y a eu un degré de plus en 56; cela veut dire que la terre avait bougé dix fois plus.”

- Ce tremblement n’a pas été ressenti partout dans le pays de la même manière!
«C’est évident, car plus on s’éloigne de l’épicentre, moins on le ressent. Par contre, on a noté que ce tremblement a été ressenti avec force à Beyrouth, dans ses banlieues nord et sud et dans les collines environnantes, tel Baabda. Cela s’explique par le fait que la faille de Roum se dirige, aussi, vers Beyrouth où il y a la faille du fleuve de Beyrouth. Une partie de l’énergie s’est dissipée vers cette faille et a causé un mouvement le long de cette faille. Voilà pourquoi les habitants dans toute cette région ont senti comme si l'épicentre du séisme était chez eux».

ON NE PEUT PAS PRÉVOIR UN TREMBLEMENT DE TERRE
- Qu’en est-il des cycles de 200 à 300 ans?
«Pour les séismes majeurs, tel celui de 1759, dont la magnitude a été évaluée à 7,2 points et qui avait eu son épicentre à Baalbeck, sa période de récurrence est entre trois cents et trois-cent cinquante ans. Plus la magnitude augmente et plus la période de récurrence augmente. «Pour un séisme de 8 degrés, la période serait entre 700 et 1000 ans. Mais pour avoir un séisme de 8 degrés au Liban, il faudrait que tous les mille km qui forment la bordure des deux plaques soient activés en même temps.»

- Pourquoi depuis des mois on appréhendait un tremblement de terre au Liban?
«Ces derniers mois, il y a eu beaucoup de tremblements de terre ressentis au Liban, dont l’épicentre n’était pas dans notre pays. Il y a eu des séismes dans la mer Rouge, dans le Golfe de Akaba, à Chypre surtout, entre Chypre et la Turquie et en Syrie. Il y a eu deux secousses mineures au Liban de 3,8 de magnitude au Liban-Sud. Quant au tremblement du terre du 26 mars, il a eu son épicentre à 33 km au sud de l’observatoire de Bhannès, donc dans le secteur de Chéhim sur la faille de Roum. «Les gens ont entendu sur la chaîne américaine - la CNN -, que quelqu’un a prévu qu’il y aurait un séisme au Liban le 15 janvier, déterminant le mois et le jour.»

- Peut-on prévoir un séisme à l’avance?
«Même les Américains et les Japonais qui sont les plus avancés dans ce domaine, n’arrivent pas à prévoir un tremblement de terre et en déterminer le jour. Juste quatre ou cinq minutes à l’avance, ils peuvent voir une partie de la faille principale qui va bouger. C’est tout ce qu’ils peuvent faire jusqu’à maintenant, même avec leurs instruments les plus sophistiqués et leur G.P.S. (global positoning satellite).

IL SE MONTRE RASSURANT
- Que faut-il dire aux Libanais pour apaiser la crainte d’un nouveau séisme?

«Je trouve que le séisme du 26 mars 97 est celui qu’on attendait concernant la recurrence du séisme de 1956. J’espère qu’il n’y en aura pas d’autres dans la région. Il y aura peut-être quelques répliques, mais sans causer de dégâts. C’est, du moins, ce que je vois pour le moment. Peut-être que des tremblements de terre vont avoir lieu ailleurs: à Chypre ou dans d’autres régions proches; on les ressentira, sans plus.»
- Vous êtes rassurant. D’autres ne le sont pas!
«A partir des études qu’on a faites et des données que j’ai entre les mains, je trouve que c’est tout ce qu’on attendait concernant le séisme de 56.»

ON A ÉLABORÉ UN CODE SISMIQUE
- Puisque le Liban est sujet à des tremblements de terre cycliques, ne faudrait-il pas, à votre avis, prendre des mesures pour les constructions?
«Evidemment! On a déjà mis un code sismique pour le Liban, avec des collègues de l’Université américaine qui enseignent le génie civil et sont spécialisés dans les structures. On a présenté ce code à l’Ordre des ingénieurs et on attend qu’une décision soit prise. On espère que ce code sera adopté, sachant qu’il peut être modifié et réadapté en fonction des données du moment. Aux Etats-Unis, on peut modifier le code sismique chaque année, surtout après chaque séisme. «Si ce code est appliqué, il portera sur les nouvelles structures. Il faut, alors, prendre en considération les anciens bâtiments en les renforçant, surtout les bâtiments-clés: les hôpitaux, les écoles, la Défense civile, la Croix-Rouge, etc... Car ces bâtiments doivent être solides pour être en mesure d’apporter les secours nécessaires en cas de séisme.» L’entretien s’achève par les précautions et mesures à prendre en cas de tremblement de terre: dans une maison, se mettre sous la table pour se protéger, éviter de prendre l’ascenseur, se rendre dans un terrain vague et dégagé... Eviter la plage, car, conclut M. Tabet, si le tremblement de terre a une magnitude supérieure à 6 degrés et que son épicentre est en pleine mer, cela peut générer un «Tsunami» ou raz-de-marée, qui peut arriver sur la côte avec une vitesse de 800km/h c’est-à-dire, la vitesse d’un avion, avec une vague haute de 20 à 25 mètres. Rien ne peut lui résister. En 1906, par exemple, la baie de San Francisco a été totalement détruite en quelques secondes par un raz-de-marée.» «Dans l’histoire du Liban, toutes les villes côtières ont été détruites, à plusieurs reprises par des «Tsunamis». Il y en a 12.»

NELLY HELOU


Home
Home