Par José M.
LABAKI.
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HÉGÉMONIE SANS FRONTIÈRES |
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Aux incrédules d’entre-nous qui ne croient
plus aux faits accomplis, désormais, la suprématie américaine
s’exer-cera sans partage sur toute l’étendue de la planète.
Les rivalités traditionnelles ayant presque toutes disparu. Signe
des temps. Dans cette géopolitique du chaos, la prééminence
d’un Etat ne se mesure plus à la seule emprise territoriale; ce
qui compte le plus, c’est la supériorité militaire, le contrôle
des réseaux économiques, les flux financiers, les échanges
commerciaux, les alliances d’avant-garde, les conventions et les pactes
de tous genres pour ne citer que ceux-ci. A ce niveau, nul Etat au monde
ne peut égaler les Etats-Unis. Consciente de ses atouts, l’Amérique
reprend sans ambages ses vieilles prétentions impérialistes
de régenter la planète, ses océans et ses espaces
environnants, advienne que pourra. Tout ce «package deal» Bill
Clinton l’a emporté sur sa chaise roulante à Helsinki, à
l’intention de son homologue russe, enthousiasmé de rattraper son
droit régalien à la différence, ainsi que son rôle
sur l'échiquier international, face à un interlocuteur en
position de force à tous les niveaux. Cependant, Boris Eltsine s’est
trompé de nom et d’adresse. La part du lion que son prédécesseur
Joseph Staline avait remportée à Yalta face à un Franklin
Roosevelt diminué et moribond, ne devrait pas trop lui faire d’illusion!
Les temps ont changé, les acteurs aussi. Ce que la Russie a obtenu
à Helsinki, tout le monde le sait: tous les dossiers épineux
ayant été débattus calmement, il est vrai, sans qu’aucun
des différends opposant les deux colosses n’ait été
définitivement tranché: dont celui de l’élargissement
de l’OTAN sur lequel la Russie a toujours été réticente
malgré les assurances américaines qu’il ne s’effectuera jamais,
contre la Russie ni sans elle, - Boris Eltsine, craignant toujours un Occident
fort, à ses frontières. Les alléchantes promesses
clintoniennes de réduire de part et d’autre, l’arsenal nucléaire,
et une aide de quatre milliards de dollars en investissements privés
à la Russie, n’étaient pas suffisantes pour convaincre Boris
Eltsine, qui tient à son rôle de partenaire à part
entière sur l’échiquier européen et mondial. Boulimie
russe de tous les temps, désaccord à l’amiable? Ainsi fût
le sommet de Helsinki. Ni vainqueur ni vaincu? Certes non, car les Etats-Unis,
ses larges atouts aidant, est désormais, l’unique gendarme de la
planète, que le veuille Boris Eltsine et le monde entier ou pas,
l’empire américain s’installe! Pour mémoire et pour la gouverne
du président Eltsine, la prépondérance américaine
est irréversible. Outre les attributs militaires, le contrôle
des réseaux, les flux financiers, les innovations technologiques,
la mondialisation de tous ordres, que vous le vouliez ou pas, la «realpolitik»
américaine aux Nations-Unies, au Conseil de sécurité,
comme partout ailleurs, - cette prépondérance fait la loi.
Elle impose des sanctions économiques à Cuba, à la
Libye, à l’Iran et à l’Irak; s’oppose catégoriquement
à la recon-duction de Boutros Ghali au poste de secrétaire
général de l’ONU; à la légitime revendication
de la France de voir le commandement sud de l’OTAN attribué à
un officier européen, son opposition, tantôt sournoise, tantôt
déclarée de voir la Citadelle européenne s’affirmer,
se manifestant de plus en plus ouvertement! Et la propension hégémo-nique
américaine n’en finit pas, la loi Helms-Burton renforçant
l’embargo sur Cuba, allant jusqu’à réclamer qu’à la
législation américaine soit attribué un pouvoir extraterritorial,
ne sera pas la dernière!
*** Pour l’Europe, cible préférée des Etats-Unis, il n’est pas question de mettre en cause, tel ou tel Etat, sans preuves tangibles, les mesures de rétorsions économiques n’étant pas justifiées. Les décisions unilatérales et arbitraires prises par Washington constituent de ce fait une flagrante violation des principes fondamentaux de l’Organisation mondiale de commerce (OMC). En les appliquant, l’Administration américaine transgresse indubitablement les engagements internationaux. Quant à la campagne spectaculaire menée par les Etats pour combattre le terrorisme, elle s’est avérée un fiasco total. Malgré les condamnations les plus rigoureuses à son égard, le terrorisme continue de faire rage aux quatre coins de la planète. L’échec de cette politique prouve que les vraies motivations américaines sont clairement perçues par bon nombre de leurs partenaires, à commencer par la France. Les divergences n’en portent pas moins sur le fond de la politique à suivre à l’égard des Etats mis en cause par les Etats-Unis. Le président Jacques Chirac l’avait reconnu sans ambages au sommet de Charm el Cheikh et à celui du G7 à Lyon, en juin 96. L’embargo contre Cuba, la Libye et l’Iran, ne bénéficie finalement qu’aux extrémistes de tous bords. Et de remarquer qu’aux élections iraniennes, les libéraux ayant obtenu une mention très honorable, c’est ceux-là, effectivement, qu’il faudrait encourager. Et le président français d’ajouter: «par leur politique de dialogue critique, les Européens, toutes différences confondues, font entendre aux Iraniens et à travers eux, à tout bon entendeur, un certain nombre d’idées constructives, notamment dans le domaine des droits de l’Homme.» *** En fait, la campagne antiterroriste sous la houlette américaine, dont l’Islamisme radical est la cible, cette mise en cause des pays, accusés d’être la principale source de terrorisme, ne correspond pas pourtant à la réalité. En effet qu’y a-t-il d’iranien, de libyen ou de syrien, dans les attentats perpétrés à Oklahoma City en avril 95, sur le train Miami-Los Angeles en octobre 95, tous deux revendiqués par un groupe d’extrême-droite américaine, les «Fils de la Gestapo»? De même que l’attentat du 3 avril 96, où est impliqué un docteur en mathématiques Théodore Kaczynski, surnommé «Unabomber» pratiquant les colis piégés? Ou encore l’affaire de Freeman où, au printemps 96 des hors-la-loi résistèrent durant 81 jours, à la police dans leur ferme de Montana? A noter que l’opposition américaine aux forces politiques et aux Etats se réclamant d’une conception intégriste de l’Islam, ne constitue pourtant pas une constante ou une tradition de la politique américaine. Au contraire, chronologiquement, les Etats-Unis ont toujours manifesté leur sympathie envers les Frères musulmans, contre le régime de Gamal Abdel Nasser. Que de fois n’ont-ils pas soutenu les opposants radicaux au régime de Mouammar El Kadhafi, et à celui du président Hafez El Assad? A l’inverse, ils protégèrent étroitement la dictature du président soudanais Jaafar El Noumeiri, le premier à vouloir appliquer rigoureusement la «Charia» islamique à son pays. N’oublions pas surtout, que le régime khomeiniste en Iran, n’aurait pu voir le jour, si les Américains ne l’avaient pas voulu, et ce, à l’insu de leur meilleur allié d’alors, le chah d’Iran! En choisissant pour partenaire, le régime du président pakistanais Zia el Haq et celui des marquis afghans, soutenus par l’Union Soviétique, les Etats-Unis, n’auraient-ils pas commis la plus flagrante des erreurs parmi tant d’autres? Aux égarements de la politique américaine en Europe de l’Est, en Afrique et au Moyen-Orient, mieux vaut ne pas revenir, - ils parlent d’eux-mêmes! Ivres de cette suprématie sans partage que leur offre un ordre mondial désormais sans contrepoids, les Etats-Unis ne peuvent que mépriser le droit international, au préjudice de toutes les convenances. Raison de plus pour imposer au monde leur loi, à l’heure où émergent déjà, à l’horizon de redou-tables mastodontes, tels que la Chine, l’Inde et... l’Union Européenne. Toutefois, les Américains pourront-ils poursuivre sans risque de conflit majeur à court terme, leurs préten-tions hégémoniques? Feignent-ils d’oublier que, tôt ou tard, tout empire aussi puissant soit-il, périra? |
Wall Street Journal Europe Janvier 97 |