Quelles sont les frontières entre le visible
et l’invisible, entre la foi et l’absurde, entre la magie et la réalité,
entre la raison et la folie? Le curieux mélange de science-fiction,
de croyances surannées, de délire para-noïaque et de
technologie de pointe n’explique pas totalement le suicide collectif des
39 membres de la secte “Higher Source” à Rancho Santa Fe au nord
de San Diego en Californie. Il en faut si peu parfois pour basculer dans
la démence! Les suicidés californiens étaient fermement
convaincus de partir vers l’au-delà à bord de la comète
Hale-Bopp qui avait fait son apparition depuis quelques mois et laquelle
disposait, pensaient-ils, d’un vaisseau spatial devant les conduire au
paradis.
PRÉPARATIFS SUR INTERNET
Ce voyage au paradis avait été annoncé depuis plusieurs
semaines sur Internet. Sur leur site Web désigné par “Heaven’s
Gate” les adeptes de la secte s’expliquaient: “C’est avec joie que l’un
de nos membres les plus anciens, situé au-delà de l’humain,
nous prévient de la présence de la comète Hale-Bopp,
ce signe que nous attendions. Nous nous préparons avec bonheur à
quitter ce monde pour rejoindre leur équipage.” Sur ce même
site, les membres de “WW Higher Source” avaient justifié leur suicide
présenté comme un procédé noble pour atteindre
“un état supérieur” et l’avaient lié au mouve-ment
des planètes et aux cycles de l’histoire, rappelant la bataille
de Massada, en 73 av. J.-C. et le suicide de 900 juifs tombés sous
la coupe des Romains, de même que le siège de Waco au Texas,
le 18 avril 1993, lorsque 80 Davidiens ont suivi leur gourou David Koresh
dans la mort, brûlés vifs, après 51 jours de siège.
Les membres de la secte auraient pu rappeler, également, le suicide
commis en novembre 1978 au Guyana par 918 fidèles du révérend
Jim Jones, ainsi que celui de 60 membres de la tribu Ata aux Philippines
qui se sont donné la mort à l’instigation de leur grand prêtre
Datu Mangayanon. Egalement celui d’août 1987 où 32 disciples
de la secte Park Soon-Ja se sont empoisonnés en Corée du
Sud. Fort curieusement, le suicide collectif des 39 membres de “Higher
Source” a été commis quelques jours après celui des
cinq membres de l’Ordre du Temple solaire qui sont morts par intoxication
dans un incendie à Saint-Casimir, à 100 kilomètres
au sud du Québec, rappelant le triste souvenir des 48 +5 membres
de l’OTS, décédés simultanément en Suisse et
à Montréal le 5 octobre 1994 et celui des 16 autres membres
morts le 15 décembre 1995 dans le Vercors. Tout ce gâchis
demeure jusqu’à ce jour une énigme. Les parents des victimes
de l’OTS, décédés le 22 mars dernier au Québec,
parlent ouvertement d’assassinat, tandis que ceux des 39 suicidés
de San Diego ne s’embarras-sent pas de mots pour évoquer un meurtre
effectué en connaissance de cause à l’instigation du gourou
de la secte Marshall Applewhite, ancien professeur de musique, affichant
son homosexualité et ayant incité ses fidèles à
rompre avec leurs proches, à se faire castrer. Ce qui paraît
encore plus étrange, c’est l’usage de l’Internet - remis en question
à l’occasion de ce meurtre collectif - que maîtrisaient les
membres de la secte placés dans des perspectives apocalyptiques.
Le site “WW Higher Source” offrait ses services informati-ques à
diverses sociétés et réalisait à des prix concurrentiels
des pages web sur l’Internet. Un second site “Heaven’s Gate” multipliait
les références au Nouvel Age et expliquait le passage sur
terre des adeptes et leur départ vers l’au-delà. C’est de
là qu’ils sont venus et c’est cette direction qu’ils prendront,
à bord d’une soucoupe volante détachée de la comète
Hale-Bopp.
“VOTRE SEULE CHANCE EST DE QUITTER AVEC NOUS”
“Si vous voulez nous suivre, vous ne pouvez pas rester ici et
nous suivre (...) La planète terre est sur le point d’être
recyclée. Votre seule chance est de quitter avec nous”, annonce
sur une bande-vidéo, le gourou de la secte Marshall Applewhite.
Cette bande, l’une des deux laissées par les suicidés dans
la villa du nÞ18 241 Colina Norte de Rancho Santa Fe, permet aux
victimes de faire des adieux joyeux: “Lorsque vous recevrez ceci, nous
serons partis, plusieurs dizaines d’entre nous. Nous sommes venus du Niveau
au-dessus de l’Humain dans l’espace lointain et nous avons maintenant quitté
les corps que nous portions pour notre tâche terrestre, afin de retourner
dans le monde d’où nous sommes venus, tâche accomplie. L’espace
lointain que nous évoquons est ce que notre littérature religieuse
appellerait le Royaume des cieux ou le Royaume de Dieu.” Curieuse logique
qui a fait dire à un pasteur américain le dimanche de Pâques:
“ Jésus est parti seul et puis il est revenu”. Jamais le suicide
n’a été accepté, toléré, recommandé
par le christianisme. La mise en scène ou la morbidité dans
laquelle a été effectué ce suicide collectif ne peut
être liée ni de près ni de loin au christianisme...
C’est un appel téléphonique anonyme qui a déclenché
l’alerte et engagé la police de San Diego dans l’univers “nauséabond”
de la villa louée depuis six mois par les adeptes de la secte qui
n’ont plus communiqué avec le monde que sur Internet. Des gens étranges
âgés de 26 à 72 ans, tous blancs et Américains,
découverts dans neuf pièces de la luxueuse villa qui disposait,
à l’abri des palmiers, d’une piscine, d’un court de tennis et qui
était proposée à la vente pour 1,6 millions de dollars.
DÉPART AVANT “L’APOCALYPSE”
Les “frères” et “sœurs” de la secte qui ont ingurgité
barbituriques, drogues et vodka sont morts par vagues successives, les
uns ayant aidé les autres à mourir, allongés sur leurs
lits, revêtus de costumes noirs, chaussés de baskets, la tête
et le torse recouverts d’un tissu pourpre la pointe vers le bas. A côté
de leurs lits, ils avaient disposé leurs valises, leurs pièces
d’identité et quelques dollars. Ils s’étaient estimés
heureux de quitter leur enveloppe terrestre avant l’apocalypse qu’annon-cerait
le 3e millénaire. Ils rejoignaient sans doute dans leurs croyances
les divers groupes qui se développent sur la côte ouest en
Amérique et qui lient leur destin aux mouvements des comètes
annonciatrices de bouleversements planétaires. L’enquête est
en cours. Et la crainte est vivace de voir se répéter de
telles horreurs avec la fin du XXe siècle qui, pour certains, annoncerait
la fin du monde. Les hallucinations des suicidés de “La Porte du
Paradis” laissent perplexe. Elles ont quelque chose de pathétique
et de bouleversant à la fois.
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