Olivier et Yara Lapidus
Courtes sont les distances de Paris à Mountazah quand elles passent par le cœur: celui d’Olivier et Yara Lapidus, retour sur cette terre du Metn où ils continuent de raconter leur bonheur. A les regarder en ce matin d’avril, on se surprend à formuler la question que Leyla Wakim-Nabbout posait à sa fille Yara au détour des saisons: «Est-ce que la vie est belle»? «Très belle», fusait la réponse. Et celle-ci de monter récemment d’un cran: «La vie est superbe, maman». Le courant d’amour qui circule dans la maison où Olivier Lapidus a retrouvé une «famille ex-aequo» atteint insensiblement le visiteur qui enregistre les impressions. «Leyla vient du Koura et Robert (le père de Yara) de Tyr. Ils étaient prédestinés à aimer l’Olivier» conclut dans une boutade, Abdallah Nabbout (alias Dudul) oncle de Yara. «Aujourd’hui, mon rêve, ajoute Olivier, est de partager ma vie entre le Liban et la France et plus tard entre le Moyen-Orient et l’Europe». Un rêve qui va loin et qui fait dire à Olivier que «le troisième millénaire se passera au Moyen-Orient»; qu’il est à la recherche d’un fil d’Ariane «entre nous, le Liban et le Moyen-Orient, un fil du cœur et de la raison».
«EN ÉPOUSANT YARA, J'ÉPOUSE TOUTE LA MAGIE DU
LIBAN ET DU MOYEN-ORIENT»
«Le fil du cœur, en ce qui me concerne, est déjà
tissé, poursuit-il. En épousant Yara, j’épouse toute
la magie du Liban et du Moyen-Orient. C’est ce côté oriental
qui m’a séduit en elle. J’aime le Proche et le Moyen-Orient. J’aime
la pudeur, le respect, l’équilibre, l’éducation, la famille.
Et pour moi, c’est ça le Moyen-Orient. Dans un monde occidental
en déliquescence, le Moyen-Orient est une perle à sauvegarder.
Yara est pour moi l’écrin.» Le fil de la raison? Il est lié
à des plans d’avenir et à une réalité incontournable.
Il se fait que «l’Orient aime beaucoup les belles robes des grands
couturiers. Hélas! ceux-ci se raréfient. En 1947, on dénombrait
en France 116 maisons de haute couture; aujourd’hui, nous sommes 15 officiellement,
une vingtaine avec les invités. Tous ces bruits autour de la haute
couture ne doivent pas faire oublier sa vocation première qui est
l’artisanat du rêve. Nous sommes les artisans du rêve. Le Moyen-Orient
y est très sensible. Nous nous adressons à une clientèle
dont la grande partie se trouve dans cette région du monde. «Le
Moyen-Orient, estime Olivier Lapidus, est un immense réservoir d’artisanat,
de savoir-faire ancestral; il cultive une approche traditionnelle des pierres
et des métaux précieux et je pense qu’il est, peut-être,
temps qu’il devienne un grand carrefour de mode, de textiles, de broderie,
d’accessoires et de bijoux. Il y a beaucoup à faire». C’est
la raison pour laquelle il y forme des projets. «Je trouve anormal
que le premier consommateur de luxe dans le monde n’en soit pas le premier
producteur. Je parle de haute couture textile. C’est une porte ouverte.
Il est fort possible que le Liban ait un rôle immense lié
à la soierie lyonnaise. Plaque tournante de la soierie autrefois,
il est temps qu’il retourne à sa tradition textile née avec
la soie.»
«J’AI REÇU LA MODE EN HÉRITAGE»
Actuellement président de «l’Association professionnelle
des métiers d’art de la mode» (dont les deux vice-présidents
sont Paco Rabane et François Lesage), Olivier Lapidus a commencé
à travailler avec Pierre Balmain pour, ensuite, se rendre au Japon
où, sous un pseudonyme, il a monté 350 magasins atteignant
en cinq ans le dixième chiffre d’affaires. «Né dans
la mode, d’un père couturier (Ted), j’ai reçu la mode en
héritage, confie-t-il. Mon père s’est retiré en 1989
et je n’ai jamais travaillé avec lui». Aidé de financiers,
il a repris la maison que son père avait vendue, «car je désirais
créer un groupe familial et je ne voulais pas que se perde l’œuvre
de mon père.» Son parcours est rapide. En 1992, il obtient
le Dé d’or de la Haute couture. Son premier brevet datant de onze
ans, était déjà derrière lui. Désormais,
ses brevets vont se succéder, un tous les six mois. Olivier est
un homme qui innove et tout en demeurant lié aux traditions, il
est tourné vers le futur. «Ma mode est un trait-d’union entre
le désir d’un classique fait dans le respect des traditions des
choses bien faites et équilibrées et le désir d’aller
de l’avant, «d’être à la mode». Retour à
Yara: «En cela Yara m’inspire, car elle symbolise la femme orientale
entre le désir de garder la tradition et la volonté farouche
d’aller vers le futur. Le Proche-Orient, c’est le futur dans la tradition.
Oublier ses racines n’aide en rien le futur, le progrès. C’est cela
le dilemme de notre génération. Chaque collection, c’est
bien sûr le rêve, le glamour, la séduction, un morceau
de mode. Chaque robe est pour moi le «fragment d’un discours amoureux»,
comme l’aurait dit Roland Barthes. La mode est une écriture. Mais
à côté de ce discours, je m’oblige à innover».
FILS DE ROSES ET DE SOIE
Olivier songe au «prêt-à-porter» et s’aperçoit
que «les métiers du futur sont faits du croisement des compétences,
du savoir-faire et qu’en réunissant des artisans, industriels, chercheurs,
universitaires, il y a tout un monde à créer. C’est ainsi
qu’avec des artisans filateurs et de grands laboratoires français
comme l’Ifremer (qui est à la mer ce que le CNRS est à la
recherche) nous avons mis d’abord au point des fils d’algues; puis, grâce
à la biotechnologie des fils de fleurs, de fruits, etc... Et au
lieu d’avoir cinq ou six fibres naturelles (le lin, la laine, le coton,
la soie, la viscose), nous obtenons des centaines de possibilités
de fils mélangés avec des noms aussi poétiques que
rose et soie, marguerite et coton, cassis et lin, algue, coton et soie».
Comme il avait inventé la machine à coudre sans fil et le
vêtement à énergie solaire (exposé actuellement
aux Champs-Elysées dans le cadre de l’exposition du groupe Renault),
Olivier Lapidus a pu lancer, lors d’une première écologique
et à travers son dernier défilé, des robes tissées
de fleurs, de fruits, de feuilles, de légumes et d’algues marines.
En guise d’hommage à son génie, 3.000 roses envoyées
du Maroc avaient parsemé le podium où avait défilé,
en guise de finale, son mannequin préféré Yara. Il
faut pouvoir le suivre en matière d’innovation. Il y a deux à
trois défilés, il avait illustré dans ses modèles
un nouveau mode d’impression des métaux «ultra high temperature
print process», après avoir été reçu
en Roumanie par le patriarche orthodoxe et rencontré les derniers
fabricants d’icônes. Dans une fusion entre 250Þ et 650Þ,
il était parvenu à imprimer sur un micron dix à douze
couleurs de métal comme l’or, l’argent, le cuivre et obtenir des
effets d’icônes sur des imprimés traditionnels. Des gels réactifs
permettaient de refroidir, immédiatement, de catalyser la réaction.
Un procédé révolutionnaire. De sa prochaine collection?
«Elle sera faite de pierres précieuses. C’est encore un secret,
mais je peux dire que vous verrez des pierres précieuses dans tous
leurs états, une nouvelle façon de les utiliser.»
«ENTRE YARA ET MOI, LA MODE EST UNE HISTOIRE D’AMOUR»
Se tournant vers Yara, Olivier, regard complice, confie: «La
mode est une histoire d’amour entre Yara et moi. Nous avons le sentiment
de partager ce métier et nous nous inspirons mutuellement. Je voudrais
que Yara réussisse sa vie de femme, d’épouse et de styliste;
pour cela, je vais tout faire pour l’aider». Et Yara styliste qui
fait rapidement son chemin, dont les créations sont accessibles
dans les boutiques «Victoire» à Paris, «toujours
des mini-collections de robes pour des filles de ma génération»,
livre son rêve «de réussir ma vie et dans la vie».
Ce rêve, Olivier le partage avec elle: «Yara a beaucoup de
talent et réalise beaucoup de choses que je ne sais pas faire. Elle
a le don des petites robes noires. Je vois le moment où c’est moi
qui lui demanderait des conseils». Pourquoi ne pas créer la
première marque au monde d’un couple de couturiers mariés?
«Cela n’a jamais existé, relève Olivier. Les couturiers
ont la fâcheuse habitude de se multiplier sans se reproduire. Yara
et moi avons les mêmes goûts. Et, surtout, j’aime la famille
de Yara qui est devenue pour moi une famille ex-aequo et non une seconde
famille. Je ressens à travers celle-ci le vrai Liban, le Liban de
la culture, de la francophonie, de l’ouverture au monde. C’est une plaque
tournante des idées et des hommes. Et j’ai hâte que cette
longue parenthèse de crise soit enfin fermée pour qu’à
nouveau, le Liban reprenne sa place de perle au Proche-Orient.» Regardant
Olivier, Yara souffle: «Il est merveilleux, si généreux!
Notre histoire, une histoire d’amour never ending!» A son doigt,
le solitaire offert par Olivier et créé spécialement
par Cartier (qui a exposé le poster du couple aux Galeries Lafayette)
brille de tous ses feux. Mais leurs yeux, bien davantage!