ENTRETIEN AVEC LE MINISTRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE

JEAN OBEID:

«JE SUIS POUR L’ENSEIGNEMENT OBLIGATOIRE DE L’INSTRUCTION RELIGIEUSE DANS LES ÉCOLES PUBLIQUES»



De lui, on peut dire qu’il a du pain sur la planche. En effet, il doit trancher plusieurs dossiers à la fois, l’un étant plus impérieux que l’autre, à savoir: l’application des nouveaux programmes pédagogiques, l’enseignement obligatoire, l’instruction religieuse dans les écoles, les scolarités et les problèmes inextricables qu’elles posent avec les établissements scolaires et les parents d’élèves. Nous l’avons rencontré en sa résidence de Terbol qui dresse sa masse imposante dans cette région montagneuse surplombant monts et vallées. L’homme frappe par la transparence de ses idées et par sa manière expéditive de régler les questions dont la solution relève de sa compétence et de ses attributions.


QUID DES SCOLARITÉS?
Nous l’avons interrogé, tout d’abord, sur les moyens auxquels a recours son département aux fins de freiner la hausse des scolarités. A la question: «Est-il vrai que l’inspection centrale procède à une vérification minutieuse des budgets des écoles, pour s’assurer de leur régularité?», il répond:
«Oui, c’est exact. Des dizaines de responsables d’établissements scolaires ont été soumis à un interrogatoire, une centaine d’écoles ayant enfreint aux injonctions du ministère de l’Education. «Il est demandé à ces derniers de restituer les sommes perçues illégalement. Ceux qui n’obtempèrent pas à nos instructions sont déférés devant la juridiction compétente».

- Quelle est la proportion du relèvement des scolarités autorisée par le ministère?
«La proportion est mobile, à l’instar des services et dépenses des écoles. On sait que la majoration est répartie dans une proportion de soixante-cinq pour cent sur le cadre des enseignants et de trente-cinq pour cent sur les services et les équipements. «Il nous faut connaître le nombre exact des membres du corps enseignant et celui des élèves. Certains établissements scolaires n’ont pas le droit de majorer leurs scolarités, même de dix pour cent; il existe, à ce propos, un plafond variant entre vingt-cinq et trente pour cent, selon le nombre des écoliers et des instituteurs». M. Obeid se plaint, justement, du nombre limité de fonctionnaires chargés de procéder à une inspection en bonne et due forme, à l’effet de s’assurer du fait que les écoles ne dérogent pas aux consignes officielles. «Nous avons renforcé l’organisme qualifié de vingt-cinq inspecteurs qui ont été attachés au service préposé au contrôle de l’enseignement privé. «Cela nous a permis de sanctionner cent-dix à cent-vingt établissements scolaires. Certains d’entre eux se sont mis en règle avec la loi, mais d’autres ne l’ont pas encore fait. Aussi, sommes-nous forcés de les déférer devant la justice. Vous en entendrez parler dans les cinq districts».

RÉFORME DES PROGRAMMES PÉDAGOGIQUES
- Quelles sont les grandes lignes des nouveaux programmes élaborés par le Centre pédagogique récemment approuvés par le Conseil des ministres?

«Ces programmes n’avaient pas été révisés depuis plus de trente ans. Les douloureux événements ont fait apparaître la nécessité de procéder à leur refonte et à leur rénovation, ce à quoi s’est attelé le Centre pédagogique. Celui-ci a procédé de façon à suivre le rythme de l’évolution moderne, non seulement sur le plan de l’enseignement et de l’éducation, mais dans d’autres domaines tels le computer, la mécanisation, la santé, l’environnement, l’économie. «De ce fait, il existe à présent quatre baccalauréats, au lieu de deux pour les sciences, l’économie, les lettres et les sciences de la vie. Cette innovation permettra à plus de vingt pour cent des jeunes de poursuivre leurs études et d’opter pour des branches répondant à leurs qualifications et à leur goût. Ceux-ci changeraient le cours de leur existence en cas d’échec au baccalauréat, alors que maintenant plusieurs possibilités s’offrent à eux sur le marché de l’emploi».

QU’EN EST-IL DE L’INSTRUCTION RELIGIEUSE?
- Le Conseil des ministres s’est prononcé, au terme d’un long débat, en faveur du caractère facultatif de l’instruction religieuse dans les écoles...
«Cette décision s’applique aux écoles publiques. Quant aux écoles privées, elles ont toute latitude de décider en la matière. J’ai pris position contre cette décision, mais j’ai dû souscrire à l’avis de la majorité des membres du gouvernement».

- Cette décision ne signifie-t-elle pas la suppression de l’instruction religieuse dans les écoles publiques?
«On peut l’interpréter de cette manière et je me suis prononcé contre cette formule en Conseil des ministres. J’ai émis des réserves à son sujet. Car les élèves n’iront pas à leurs écoles vendredi et dimanche pour suivre le cours d’instruction religieuse. Ceci se traduit pratiquement, par sa suppression. “Je suis avec l’instruction religieuse, à condition qu’elle soit supervisée par l’Etat, par l’intermédiaire d’un organisme mixte formé de laïcs et de religieux. Ce dernier aurait à mettre en relief les points de la religion susceptibles de rapprocher les citoyens et non de les diviser ou de les éloigner les uns des autres. “Quant aux adultes, ils pourront s’ils le désirent, approfondir leurs connaissances religieuses et théologiques à l’école cléricale de Ghazir ou à l’université d’Al-Azhar”.

- Ce dossier a-t-il été définitivement fermé?
“Je crois que la question n’a pas été tranchée d’une manière définitive. Je suis d’avis qu’elle soit soulevée de nouveau en Conseil des ministres, dans le but d’y apporter des modifications. Je suis un démocrate me soumettant à la décision de la majorité. Mais j’agirai aux fins de changer cette décision, car il ne faut pas négliger cette question. Je poursuivrai mon action dans ce but au sein et en dehors du Conseil des ministres”.

MANUELS DE FORMATION ET D’HISTOIRE
- Y a-t-il du nouveau à propos de l’unification des manuels d’Histoire et de formation civique?
“Le livre unique de formation civique a été mis au point; il reste à préparer le manuel d’Histoire qui est en cours de concrétisation. Je tiens à vérifier de près toute sa matière, d’autant qu’il s’agit d’un ouvrage historique, davantage que d’un manuel d’Histoire. Il doit, par conséquent, constituer une lecture unique, conformément aux recommandations en ce sens de l’accord de Taëf”.

- Il serait, dit-on, question d’élaborer un plan pédagogique que le ministère de l’Education serait chargé d’appliquer. En quoi consiste-t-il?
“C’est exact et il concerne les enseignants du point de vue de leur formation et de leur recyclage, afin de généraliser l’école dans la troisième phase. Ce plan connaîtra un début d’application en 1997-98, d’une manière progressive”.

- Le ministère de l’Education compte-t-il satisfaire les revendications du corps enseignant relatives au foyer de l’enseignant, au cadre unifié, etc...?
“Nous avons approuvé certaines d’entre elles et poursuivons l’étude des autres que nous espérons pouvoir satisfaire à la fin de l’année scolaire, après leur ratification par l’Assemblée”.

POURQUOI L’AFFLUX AUX ÉCOLES PUBLIQUES?
- On constate un afflux d’élèves dans les écoles publiques; envisagez-vous de prendre des mesures à l’effet de faire face à l’accroissement du nombre des élèves l’an prochain?

“Cet afflux, est dû à deux raisons: d’abord, la situation économique; ensuite, le relèvement du niveau des écoles publiques. Aussi, avons-nous décidé de renforcer les langues étrangères dès le premier cycle. Nous nous proposons, également, de généraliser l’école publique dans tout le pays et, à cet effet, nous réclamerons les fonds nécessaires pour entreprendre la construction de nouveaux établissements scolaires”.

- Le ministère de l’Education avait lancé le slogan: “un siège pour tout enfant en âge scolaire”: est-il en train de l’appliquer?
“C’est un objectif que nous ne pouvons atteindre avant de construire un nombre suffisant d’écoles pour pouvoir accueillir tous les enfants”.

- Pourquoi, à votre avis, la politique s’immisce-t-elle dans les institutions pédagogiques, ainsi que le prouve la récente nomination de nouveaux doyens à l’U.L. et la création d’une faculté de tourisme en vue, vraisemblablement, de “caser” un candidat se réclamant de quelque pôle du pouvoir?
“La création d’une nouvelle faculté a ses justifications et ses objectifs. J’ai émis mon point de vue à ce sujet en Conseil des ministres et je ne le divulguerai pas en dehors du palais du gouvernement. “Quant à l’immixtion des hommes politiques dans le secteur académique et universitaire, on ne peut l’ignorer: tous les politiciens jurent de ne pas s’ingérer dans ce secteur, mais en fait, ce n’est pas le cas”.

POUR LA SÉPARATION DES POUVOIRS ET LEUR COOPÉRATION
- Après l’annonce par le chef du Législatif de la “mort” de la troïka, est-on revenu réellement au “pouvoir des institutions”?
“Non, nous n’y sommes pas encore revenus. A mon avis, on ne doit ni enterrer la troïka, ni la consacrer, la coopération entre les pouvoirs devant supplanter la “complicité”, la séparation ne devant pas signifier la rupture entre ces derniers. Nous prônons la coopération entre les pouvoirs, tout en les séparant comme l’exige la Constitution”.

- D’aucuns ramènent les différends entre les trois présidents, à l’intention qu’on prête à certains proches du palais de Baabda de vouloir reconduire, une fois de plus, le mandat présidentiel...
“Les renseignements dont je dispose ne confirment pas cette tendance. Le mal réside dans la façon pour les pôles du pouvoir de traiter la chose publique. Comme je l’ai dit précédemment, ils doivent coopérer, tout en restant séparés”. M. Obeid juge normal le fait pour les députés nordistes de ne pas coopérer au plan politique après s’être alliés aux élections législatives, estimant que cet état de choses découle du système démocratique, lequel repose sur l’émulation. “Au fond, assure-t-il, les parlementaires du Liban-Nord, à l’instar de leurs collègues des autres districts, s’entendent autour des grandes lignes de l’action à entreprendre pour le bien de leur circonscription”.

CONJONCTURE RÉGIONALE INQUIÉTANTE
De la conjoncture régionale, le ministre de l’Education nationale dit qu’elle est “inquiétante”. “Le Proche-Orient, soutient-il, ne s’achemine ni vers une paix sûre, ni vers une guerre imminente, la situation oscillant entre ces deux tendances”.

- Vous attendez-vous à des pressions visant à dissocier les volets libanais et syrien des négociations avec Tel-Aviv?
“Il n’en est pas question, car il s’agit d’une constante par rapport à l’Autorité. Au sein de l’Assemblée qui est la source du pouvoir, il existe une ligne claire ne permettant pas de mésentente entre le Liban et la Syrie. Il en est de même au sein du Cabinet où n’apparaît aucun désir de provoquer une séparation entre les deux pays, nul n’ayant la capacité de favoriser un tel courant qui va à l’encontre de nos intérêts communs”.

(Propos recueillis par Hoda Chédid)


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