Par RENE
AGGIOURI.
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L’AVEU |
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On peut s’en souvenir: au moment de former son
gouvernement, en novembre dernier, M. Hariri insistait sur la nécessité
d’avoir une équipe homogène. Et voici que cinq mois plus
tard, cette équipe apparaît en pleine incohérence.
Ainsi, on a pu voir, la semaine passée, plusieurs ministres, dont
M. Murr, voter à la Chambre contre la proposition du chef du gouvernement
de «renvoyer» un projet de loi sur les élections municipales
préparé justement par le même Murr. On a déjà
souligné que cette procédure de retrait d’un projet de loi
était contraire aux règles de procédure en la matière;
et le président de la République n’a pas caché, paraît-il,
sa vive irritation. Il a promis ces élections, il les veut. Sur
ce, M. Hariri, sans plus s’expliquer avec le chef de l’Etat, pas plus qu’avec
ses ministres, se précipite à Damas. A son retour, il fait
une visite au président Hraoui. Ils décident ensemble de
charger une commission ministérielle de trouver une solution, dans
un délai de quinze jours. M. Hariri peut donc tranquillement se
rendre à Moscou et, de là, à Paris et Ottawa. Deux
semaines d’incertitude en vue. Mais qu’est-ce que deux semaines de perdues?
Le Liban est éternel comme ses cèdres. Tel sont, en résumé,
les faits.
*** On a dit que, dans cette affaire, l’Etat est en train de perdre sa crédibilité. Il n’en avait déjà pas beaucoup. Mais c’est plus grave encore. Le premier point qu’il convient de souligner, c’est que les arguments avancés par M. Hariri devant les députés pour ajourner les élections municipales, sont articulés autour du risque de «clivages confessionnels». Cela constitue un terrible aveu d’échec de la politique affichée depuis sept ans. Depuis sept ans, l’accent est mis sur des projets de reconstruction et de développement économique par le biais desquels ont prétendait favoriser la cohésion sociale et progressivement la «déconfessionnalisation». La prospérité qu’on faisait ainsi miroiter, était censée unir les Libanais et atténuer ou corriger les effets des déséquilibres institutionnels. C’était absurde, mais c’était ainsi. Les bulldozers aplanissent sans doute les reliefs du terrain, et enrichissent les promoteurs; ils n’ont jamais été de nature à régulariser le fonctionnement politique d’un Etat. On peut maintenant mesurer l’étendue de cet échec dont on avait eu les premiers indices à la faveur de deux élections législatives. Les élections municipale, visent à mettre en place les organes de bases des institutions démocratiques. Dès qu’on a décidé de les organiser, on s’est aperçu qu’on déclenchait une vague de fond qui risquait de menacer la fragile façade de réconciliation issue de Taëf. Ces élections risquaient d’ébranler par la base un faux équilibre politique qu’on croyait pouvoir consolider par une prospérité qui s’avère d’ailleurs de plus en plus aléatoire. Voilà semble-t-il pourquoi, dès que la décision a été annoncée d’organiser le scrutin en juin prochain, beaucoup n’ont pas cru que cette promesse serait tenue M. Hariri vient de leur donner raison. *** Les jeux sont-ils faits? Au cas où la révision de la loi des élections municipales ne serait plus possible dans un délai raisonnable, il reste qu’on pourrait toujours organiser le scrutin sur base de l’ancienne loi toujours en vigueur. Mais on n’y songe même pas. Dans l’immédiat, il y a une question préalable: peut-on encore faire l’unité de l’Exécutif sur une politique déterminée? Dans un système normale de démocratie parlementaire, ce qui s’est passé l’autre jour à la Chambre aurait entraîné la démission des ministres contestataires; plus logiquement encore, c’est tout le gouvernement qui devrait se démettre. En réalité, on n’est sûr de rien. Cette République est faite de combines personnelles. M. Murr, orfèvre en l’occurrence, l’a bien dit, rassurant: «Tout finit par s’arranger». Bien ou mal, que lui importe? Tout se passe comme si le citoyen n’est pas concerné par ces jeux. Même quand on l’invite à déposer un bulletin dans l’urne. Alors, ne vous fatiguez pas à vous faire une opinion. Allez cultiver vos choux. Si vous avez encore des choux... Cela se nomme dépolitisation. Tôt ou tard, cette entreprise est vouée à l’échec. On ne dépolitise pas les Libanais. Volney l’observait déjà en 1830 et Lamartine un peu plus tard avec plus de lyrisme. |
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