Bloc - Notes


Par ALINE LAHOUD..

CE N’EST PAS DRÔLE

La prodigieuse aptitude qu’ont les gouver-nants de ce pays à fabriquer des crises, transcende le talent pour toucher au génie. C’est bien simple. Depuis Taëf, depuis la mise en place de cette deuxième répu-blique, nous n’avons pas encore eu le loisir de souffler, ni de faire entendre notre voix, ni même de savoir à quelle sauce nous allions être mangés. De crise en crise, marginalisés, pressurés, sans la protection de la loi, elle-même régulièrement bafouée et violée, nous avons été - les bergers s’étant transformés en bouchers - menés comme des moutons à l’abattoir. Et des crises, il y en a eu! Elles se sont multipliées à plaisir. C’est tantôt Solidere et sa prise en otage de la capitale, tantôt les milliards baladeurs du ministère des Finances, tantôt de précieux témoins dont on fait un carnage. C’est le gouffre sans fond de la caisse des Déplacés. Ce sont les professeurs d’uni-versité qu’on traite comme la poussière de ses souliers; les arrestations brutales sans mandat et sans explications. C’est la loi électorale trans-formée en passoire pour turkmènes et autres ostrogoths. C’est l’attaque frontale contre les médias audiovisuels et les tentatives, partielle-ment réussies, de les mettre au pas. C’est… Je n’ai ici ni la place, ni assez bonne mémoire pour les citer toutes. Mais les dernières en date sont actuellement: les élections municipales et syn-dicales. Les municipales, après avoir mis pendant des mois le pays sens dessus-dessous, sont en bonne voie de passer à la postérité comme simple référence historique. Quant aux élections syndi-cales, ce sera probablement soit une sorte de Hiroshima, soit «La nuit des longs couteaux» qui ouvrit la voie au IIIème Reich d’Adolf Hitler. «Chaque jour une crise, chaque jour un mensonge!», s’est écrié Mgr Elias Audé au cours de son prêche du dimanche des Rameaux. L’indignation de Mgr Audé rejoint celle du patriarche maronite et celle de tant d’autres chrétiens et musulmans, religieux ou civils. Mais comment trouver une justification aux crises que ces messieurs du pouvoir provoquent sinon par le mensonge. Et comment masquer ces mensonges? sinon en suscitant d’autres crises? Cercle tellement vicieux qu’on finit par se de-mander si ces crises - du moins la plupart d’entre elles - ne sont pas provoquées sciemment pour détourner l’attention de quelque chose de plus grave, de plus gênant. Un tour de passe-passe, une façon comme une autre de nous rouler dans la farine. Essaye-t-on de nous faire oublier - c’est presque déjà fait - la démission du président Mallat et la tentative manifeste de noyauter et de ramener à des proportions plus modestes un Conseil Cons-titutionnel que les Libanais considéraient un peu comme une planche de salut? S’agirait-il de détourner l’attention de la situation économique et des milliards de dollars de dettes dont nous n’avons pas le premier sou? Tente-t-on de faire passer en catimini un nouveau décret de naturalisations afin, aux dires de M. Murr (dont les assurances sont toujours sujettes à caution), de rétablir l’équilibre entre chrétiens et musulmans, mais plus probablement destiné à accentuer le déséquilibre actuel? A un journaliste qui lui demandait s’il allait y avoir un remaniement ministériel, comme l’avait laissé entendre le chef de l’Etat dans sa dernière conférence de presse, le Premier ministre a répondu: «C’est on ne peut plus risible!». Risible? Vraiment monsieur le président du Conseil! A voir la crise politico-économico-sociale dans laquelle nous nous débattons; à voir le comportement irrationnel de nos dirigeants; à voir le monstre tricéphale dont Taëf nous a fait cadeau à la tête de l’Etat; à voir les querelles de chiffonniers qui opposent en permanence les trois pôles du pouvoir; à voir les libertés foulées aux pieds, les lois violées, les droits de l’homme bafoués, le trésor public pillé, le citoyen moyen transformé en citron pressé, les institutions minées de l’intérieur, la souveraineté hypothé-quée, le pays mis à l’encan, il n’y a vraiment pas de quoi rire.


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