Par RENE
AGGIOURI.
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UNE TACTIQUE PERVERSE |
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Pendant plus de sept ans, ce qu’on nomme le
char de l’Etat a avancé. Cahin, caha, mais il bougeait. C’était
l’époque bénie (?) de ce qu’on a appelé la troïka.
Depuis que l’un des éléments de cet attelage refuse de marcher,
tout paraît naturellement bloqué. Faut-il donc regretter la
troïka? Très probablement, on y reviendra sous une forme ou
une autre; car les trois détenteurs du pouvoir ne paraissent pas
jusqu’ici savoir fonctionner autrement. Quant aux députés,
dont le sursaut aurait pu modifier les règles de ce jeu à
trois, il est clair que s’ils ont la liberté de discourir, ils n’ont
guère la possibilité de peser efficacement sur les choix.
Si les choses devaient conti-nuer comme on le voit depuis que M. Berri
a pronon-cé la mort de la troïka, on se trouverait devant une
situation sans précédent. Le fonctionnement des institutions
suppose un pouvoir exécutif qui s’exerce en s’appuyant sur une majorité
parlementaire qui lui fait confiance. Il peut, ainsi, compter que les projets
qu’il élabore, recevront l’aval de cette majorité. Pour ce
faire, il n’a pas besoin, comme ce fut le cas jusqu’ici avec la troïka,
de la complicité du président de la Chambre. Mais dès
lors que celui-ci manifeste publiquement et bruyamment son hostilité
à l’Exécutif et qu’il dispose, pour faire de l’obstruction,
d’un important groupe de pression, le mécanisme institutionnel se
trouve complètement faussé. C’est ainsi qu’on voit, depuis
plus d’un mois, le gouver-nement n’osant prendre aucune initiative sans,
d’abord, tâter le pouls du président de la Chambre. Le cafouillage
provoqué par le projet d’élections munici-pales illustre
parfaitement cette situation absurde.
*** La logique de ces jeux politiciens est si bizarre qu’on serait tenté de renoncer à comprendre et à s’y intéresser. Mais le Libanais, joueur de nature, ne renonce jamais à comprendre. Il préfère bien plutôt s’inventer des expli-cations et se livrer à la spéculation. C’est ce qui explique la multiplicité des journaux, ce goût de la spéculation plutôt que la diversité des idées et des opinions. Cette presse est, ainsi, remplie tous les jours de rumeurs, de bruits et de “secrets” du Sérail. Le lecteur absorbe cela avec bonheur et en rajoute selon sa propre humeur et son imagination. Il y a des gouvernements qui en manifestent de l’agacement. Mais dès qu’ils se risquent à exercer un contrôle sur cette sorte de journalisme, c’est l’échec le plus total. Il n’y aura jamais de censure efficace sur la presse écrite, ni sur l’audiovisuel. Le Cabinet Hariri l’apprendra à ses dépens comme bien d’autres avant lui. Maintenant, c’est sur l’action syndicale qu’il dirige toutes ses batteries. M. Abou-Rizk, le président hurleur de la CGTL, irrite bien sûr. Le gouvernement Hariri rêve d’une confédération du travail prête à collaborer. A quoi? A quelle politique? Peu importe. L’essentiel est que, sur les mesures de caractère socio-économique que le pouvoir serait amené à prendre, les représen-tants des travailleurs soient toujours disposés à en partager la responsabilité avec le gouvernement. C’est exactement la même tactique qu’on a vu M. Sanioura appliquer à l’égard des députés lors du débat sur le budget, ensuite par M. Hariri lui-même lors du débat sur le projet de loi sur les élections municipales. Dans les deux cas, le gouvernement se dérobe à son devoir d’assumer seul une politique qui serait sujette ensuite à contestation. Il ne comprend pas la règle fondamentale du mécanisme démocratique: le rôle de l’Exécutif est de proposer une politique, celui du Législatif est de l’approuver librement ou de la rejeter; dans le premier cas, de réclamer plus tard des comptes sur l’exécution; et dans le second cas, de faire tomber immédiatement le Cabinet. La Chambre des députés n’est pas censée participer autrement à une prise de décision dont l’exécution dépend du seul gouvernement. Elle y sacrifierait son rôle de censeur. Or, il est bien clair désormais que le gouvernement actuel entend se prémunir d’avance contre toute velléité de censure de son action. Qu’elle vienne des députés ou des représentants du monde du travail. *** Le gouvernement veut pouvoir dire aux députés et aux syndicats: nous sommes ensemble responsables. C’est vrai en un sens; mais pour assumer sa responsabilité propre, chacun a un rôle différent. M. Hariri veut confondre tout le monde dans le même rôle. Le Libanais, joueur dans l’âme, veut un jeu libre de toute contrainte. M. Hariri ne veut pas de jeux. Cette conception de l’exercice du pouvoir mène tout droit à une forme d’autoritarisme contraire au développement d’une vraie démocratie. Et c’est par là, justement, qu’on découvre l’invention de cette fameuse troïka dont la paralysie se traduit, depuis plus d’un mois, par un véritable blocage de la République. Ainsi, il ne reste plus qu’une issue; l’unanimisme forcé dans une direction unique, sur une pensée unique. Ceux qui s’imaginent pouvoir fabriquer un Liban de cette sorte, commettent une erreur qui risquerait de conduire à des conséquences tragiques. |
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