Bloc - Notes


Par ALINE LAHOUD..

UN COUP D’ÉTAT PERMANENT

Ou bien nous avons affaire à des illettrés analphabètes, ou bien ces gens-là pous-sent l’effronterie à un tel degré de raffine-ment qu’elle en devient attendrissante. Rien ne dit, non plus, qu’il n’y ait pas cumul. Ainsi en est-il quand ces messieurs parlent de démocratie, des institutions, de l’Etat de droit, tout en ignorant ce que démocratie veut dire, ce que les institutions repré-sentent, ce que signifie l’Etat de droit. Il serait fastidieux et ridicule d’agiter de grands mots tels que liberté, droit des peuples, droit des gens, droits de l’homme. Absolu-ment ridicule pour des gouver-nants qui ne retiennent de la démocratie qu’une consonance creuse qu’on sert à toutes les sauces, qui ne connaissent du droit que la mainmise sur celui des autres, ne savent de la loi que les moyens de la violer, ne perçoivent l’Etat que comme une vache laitière tout juste bonne à traire jusqu’à l’épuisement. De cette dynamique de coup d’Etat permanent développée par ce qui nous tient lieu de gouver-nement, la CGTL vient d’en faire la triste expérience. Voilà une institution - presque la seule ayant résisté à quinze ans de guerre - qui, d’une pichenette, vole en éclats. Il faut dire qu’Assaad Hardane, ministre du Travail, est orfèvre en la matière. Traquer Elias Abou Rizk et le liquider n’est pas très gentil, mais venant d’Assaad Hardane, ça s’explique. Par contre, pour son collègue Mohsen Dalloul, ça s’explique moins bien. Que faisait donc M. Dalloul, mêlé à la troupe, devant le siège de la CGTL? Jouait-il, par hasard, au «renard passe passe»? Nous aurions pensé que la présence d’un ministre de la Défense nationale aurait été plus appropriée aux frontières, face à l’ennemi, plutôt qu’aux portes de la Confédération générale du travail, pendant le déroulement du scrutin syndical. Verrons-nous bientôt M. Chawki Fakhoury débouler dans les pharmacies pour vendre ses pommes de terre, ou M. Murr se précipiter dans les jardins d’enfants pour écouler les cartes électorales qui ne servent plus à rien? De toutes façons, M. Murr aurait tort de s’en priver. Nous sommes tous convaincus que les élections confiées aux enfants de la maternelle seraient entre des mains plus sûres que celles du ministre de l’Intérieur. Cela au cas, fort im-probable, où il y aurait encore des élections dans ce pays. En effet - comme chacun peut aisément le constater - tout va vers la suppression d’un exercice que le régime de Taëf a vidé de toute sa substance. La mode est, dans le Liban d’aujourd’hui, à la prorogation ou à la nomination, ou bien encore à la falsification. C’est plus sûr, et ça évite des maux de tête et des explications pénibles avec les tuteurs. Pour les municipales et la présidentielle, on proroge et au diable les élections. Pour les législatives et les syndicales, on traficote et on nomme sous couvert d’élections. Tout le reste n’est que décor et mise en scène. Et pour comble d’effronterie, on propose de proroger de huit mois la vie (déjà artificielle) du présent - et parfaitement inutile - parlement, passant outre au jugement d’un Conseil consti-tutionnel devenu la bête noire du régime. Et pour cause! Ces messieurs ne se sont-ils pas pris au sérieux? Toupet que refuse le gouvernement qui aimerait bien remplacer «ce machin» par une maison de retraite pour ex-hommes de loi, considérés par nos rois-soleil, comme au bord du gâtisme, puisque refusant de se plier à leurs quatre volontés. Il faut dire que M. Hariri, habitué - là où il a fait sa fortune - au bon plaisir du prince, n’a que faire de toutes ces complications démocratiques. Il voudrait avoir les mains libres pour poursuivre la reconstruc-tion à sa façon et à étapes forcées. Et tant pis si le peuple tout entier devait disparaître sous ses coulées de béton. Après tout, les gens meurent - c’est leur destin - mais la pierre demeure… Reste à savoir - quand les Libanais auront disparu avec leur Constitution, leurs droits, leurs libertés, leurs institutions et leur Etat - à qui serait transférée l’œuvre grandiose que M. Hariri est en train d’édifier sur les ruines de la seule (ex) démocratie du monde arabe?


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