Chronique


Par José M. LABAKI.

POUR UNE CURE DE RIGUEUR!

Coriace la deuxième République! Elle a survécu à toutes les secousses ou presque. A la logique guerrière; aux récifs de certaines alternances imposées tantôt par hégémonies interposées, tantôt par réflexes politiques; à la chute du “triumvirat”; à l’éclatement du conseil constitutionnel et de la CGTL, pour ne citer que ceux-ci. La voici, tel un navigateur, prête à affronter la tempête de tous les défis au sein du pouvoir et peut-être, ceux à venir, avec au cœur quelques inquiétudes non des moins amères, le regard fixé sur l’avenir de la République. Tout nous invite par amour du Liban, à la restaurer et non à l’affaiblir. Les jérémiades sont une spécialité des peuples démissionnaires. Les Libanais ont toujours fait preuve d’endurance face aux défis, d’ingéniosité face à la médiocrité, et de sursauts d’exception face au laxisme, l’esprit d’initiative l’ayant toujours emporté sur l’esprit de stagnation. Ils n’ont jamais été indifférents à l’Etat qui les gouverne, aussi affaibli soit-il. Cet Etat, de l’aveu même du président de la république, n’est pas pour eux un simple gestionnaire, mais une part importante de leur identité et à ce titre, il soulève des problèmes difficiles, mais jamais impossibles, celui de la place de la politique dans leur vie quotidienne, leurs rapports avec leurs dirigeants, en premier. Ambivalence qui nourrit souvent chez eux, une certaine méfiance à son égard, sur ce qu’ils lui reprochent et sur ce qu’ils attendent de lui. Jamais l’Etat n’a été autant exaspéré et mis en doute. Sa léthargie rejoint aujourd’hui, ses tenants, au palmarès accablant de l’impopularité. Nonobstant, ce refus affiché d’un certain Etat, ne signifie pas le rejet des valeurs identitaires du Liban, où la montée des abus et des inégalités, rend de plus en plus impérieux le retour aux sources. Toutefois, quel peut être de nos jours, le projet d’une entreprise d’envergure appelée l’Etat, quelle doit être sa mission?

***

L’Etat dont la crise plus que jamais ressentie par ceux-là mêmes qui le dirigent et le soutiennent, comme par ceux qui le subissent, a besoin d’évaluation pour corriger ses erreurs et ses errances; il a surtout besoin de perspective pour inscrire davantage son action dans la durée et pour anticiper quand il le faut. C’est d’un Etat qui évolue, qui incarne l’intérêt général, et non la somme des intérêts particuliers. D’un Etat qui s’adresse de la même manière à tous; qui leur reconnaît les mêmes droits, les mêmes obligations; qui leur garantit la même dignité. D’un Etat accordant la priorité à la loi sur le contrat, car le règne du contrat c’est celui du plus fort au détriment du plus faible. D’un Etat plaçant bien haut la solidarité nationale pour que nul ne soit acculé à quémander des solutions et des soutiens anodins en dehors des frontières, lorsqu’il fait tout pour empêcher l’exclusion, au lieu de se contenter de gérer les méfaits. D’un Etat qui fait preuve d’autorité pour que personne ne soit contraint à se défendre lui-même. Restaurer l’Etat aujourd’hui, ce n’est évidemment pas renoncer aux principes fondamentaux de la démocratie représentative, ni aux pactes nationaux revus et corrigés à l’insu des ayants-droit, c’est lui donner les moyens de rester fidèle à la “Carta magna” de la République selon laquelle, la République est une et indivisible, de telle sorte qu’il soit en mesure d’empêcher tout éclatement d’où qu’il vienne. Il y a des moments dans l’histoire où il faut faire confiance à l’Etat, et d’autres où il faut s’en méfier, lorsque son empire devient insupportable, son ingérence inacceptable et menace l’équilibre des forces et les libertés publiques. Il y a d’autres moments en revanche, où sa restauration est prioritaire. Nous vivons les temps où il incombe avant tout de remettre l’Etat en ordre, lui rendre son autorité et surtout sa crédibilité et son unité, pour garantir la perfectibilité des Institutions et à travers celles-ci, la communauté du destin. Nous continuons à plaider sans relâche, pour l’Etat des Institutions, réformé à l’air du troisième millénaire. Le besoin presse, un besoin à la fois moral et politique. Assurément, les réformes d’une telle ampleur, ne sont pas aussi faciles qu’on le croit, mais en fin de compte, n’est-il pas plus dangereux de les remettre “sine die”? Les entreprises libanaises ont toujours réussi remarquablement, à s’adapter à la modernité. L’Etat est appelé à en faire autant. Tout est perfectible, quand on est décidé, même les constitutions aussi hétéroclites et ambigües soient-elles. Les Institutions, ne sont en réalité, qu’un instrument. Elles peuvent être la condition d’une politique ambitieuse, mais jamais la condition suffisante. Elles permettent aux citoyens et à leurs représentants de faire le choix, mais c’est à eux de faire le meilleur. La crise au niveau du pouvoir est un symptôme de la crise de la politique, au Liban et ailleurs. C’est la grande question de l’avenir. Son déblocage est un pas en avant, pour un meilleur équilibre des pouvoirs. C’est dans cette direction que tout le monde doit œuvrer. Face à tant d’incertitudes et de périls, n’est-il pas imminent de reconstruire l’Etat de droit, moins dépendant de la realpolitik, plus attentif aux urgences qui frappent à la porte? Ceux qui appellent à un Etat minimal, qui croient encore au déclin de la loi et au vide juridique, se trompent. L’Etat a toujours été une composante essentielle de notre identité. Thérapie à haut risque, opération de survie, certes. Elles auront pour premier mérite de ramener la deuxième répu-blique à sa vraie dimension, - le dis-cours politique revu et corrigé, plus transparent -, c’est-à-dire, la faire sortir de la léthargie mortelle où on la voit se complaire depuis des lus-tres.


“Un ajustement de notre système politique, son adaptation à l’air du temps est un impératif. Les Libanais sont décidés à participer à ce moment fort de leur histoire.”

Emile Lahoud au Parlement
(le 21 septembre 1943)


Home
Home