LES MORTS AU SECOURS DES VIVANTS
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LA STRATÉGIE DU RETRAIT
Nick prit l’habitude de dialoguer fréquemment avec la
flaque d’eau. Il en sortait revigoré, comme si la vie devenait soudain
moins pénible. Ces paroles qu’il échangeait rarement avec
son père de son vivant, voilà qu’il en parlait aisément.
Qui pouvait comprendre ce phénomène? Personne. Seul lui avait
la faculté de s’entretenir avec son père qui, à chaque
fois, lui ouvrait de nouvelles perspectives. S’étant détaché
du monde alentour, le jeune garçon adopta ce qu’on pourrait appeler
la stratégie du retrait. En se retirant du monde, il ne se sentait
plus concerné par les multiples problèmes qu’il pouvait trouver
sur son chemin. En se retirant du monde, Nick se rapprochait de la flaque
d’eau: la voix qui en sortait était celle de son père, il
en était convaincu. Maintenant qu’il dialoguait souvent avec la
flaque, il en était ravi, parce qu’il rencontrait symboliquement
ce père, Charles, dont l’absence le tourmentait tant. Charles vivant,
la relation était bonne entre le père et le fils, mais une
sorte de pudeur les empêchait d’aborder certains sujets. Charles
mort, la pudeur disparut. Avec la flaque d’eau, ou plutôt avec la
voix qui sortait de l’eau, Nick écoutait des leçons de sagesse,
il reconnaissait la voix de Charles et le présent revêtait
les couleurs du passé. Oubliée la mort, maintenant que Charles
reparaît sous une autre forme mais en gardant la même voix.
Voici un extrait de dialogue, de sagesse pleine de bon sens que Charles
échange avec son fils: «Tu es l’univers, Nick. En tant qu’être
vivant, doté de pensée et de parole, tu es à la fois
l’interprète et le visage du monde. Tu peux faire durer ton deuil
éternellement et, alors, le monde sera un endroit isolé.
Tu peux vivre en te souvenant des morts et, alors, le monde baissera la
tête. Pleure et le monde pleure. Ris et il rit. Sois tourmenté
et il sera tourmenté. Pense à des choses horribles et le
monde sera un lieu horrible... La nature est clémente et, ni toi
ni moi ne savons pourquoi, Nick. Mais nous devons lui faire confiance.
Quelle que soit la raison cachée derrière ce que nous nommons
existence ou réalité, nous pouvons être sûrs
d’une chose. Elle essaie… elle fait de son mieux. Elle essaie de trouver
la meilleure manière. Tout est dans la façon dont on voit
les choses». Ces propos reflètent un peu la philosophie antique.
Il y a une corrélation entre l’homme et la nature. Tout est une
question de perspective. Tout dépend du regard que nous portons
sur les choses. Le jeune garçon est-il guéri? L’auteur ne
le dit pas, laissant au lecteur le soin d’interpréter. En tout cas,
Nick paraît plus serein et comme réconcilié avec lui-même.
Le roman véhicule un message d’espoir. Chacun y puisera la part
de vérité qui lui convient.
SAMI ANHOURY