LETTRE À SA SAINTETÉ JEAN-PAUL II Par le Président CHARLES HÉLOU |
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Très Saint-Père, Nos sentiments envers Votre Sainteté, faits de vénération, de gratitude et de cette piété filiale qui est l’un des noms de l’amour, nous paraissent si naturels et depuis si longtemps, que nous n’éprouvons pas assez le besoin de les exprimer. Or, il nous faut les dire, les répéter, en un temps où plus qu’en aucun autre temps. Votre Sainteté agit, prie, souffre, pleure pour nous, comme un père douloureux, comme un père humilié de ne pouvoir davantage. *** Très Saint-Père, Je ne voudrais d’aucune manière me prononcer sur la décision que Vous avez prise. Mais il me semble pouvoir en mon nom personnel et en croyant d’ailleurs interpréter l’opinion de la plupart des Libanais, Vous assurer que notre attachement à Votre auguste personne nous paraît comme un attachement de tous les temps. Déjà, il y a une vingtaine d’années, Votre élection au sommet de l’Eglise est apparue au monde entier, non seulement comme une éclatante revanche de la Pologne martyre, mais aussi comme le triomphe des principes de justice que ce pays a incarnés. L’Eglise du Christ donnait, à l’univers, la preuve et l’exemple que les plus faibles pouvaient, un jour, l’emporter. Tout Votre Pontificat a été comme une illustration des Béatitudes: “Bienheureux ceux qui ont faim et soif de justice; bienheureux les artisans de paix; bienheureux les cœurs purs...” Vous avez voulu faire retentir, au Liban et au profit du Liban, ce merveilleux message. C’est ce message d’union, de liberté et de paix qui a inspiré Votre accueil et Vos allocutions aux députés chrétiens du Liban; puis, aux députés de toutes confessions qui s’étaient rendus auprès de vous. C’est ce message qui a inspiré Vos lettres au patriarche maronite, Votre lettre aux Libanais, Votre lettre à tous les évêques du monde. Vos messagers qui se sont succédé au Liban se sont appelés Brini, Bertoli, Casarolli, Silvestrini, Etchegaray, de Courtray, Cook, O’Connor, en plus de vos nonces apostoliques. Au cours de notre drame, Vous n’avez cessé d’interpeller l’opinion internationale, la conscience de tous les responsables du monde. Vous avez tenu à chacun et à tous un langage prophétique, un langage pathétique. Nous savons que Vous avez dit au président Bush, par exemple, tout ce que Vous pouviez lui dire sur le sort des centaines de milliers d’otages libanais. Il y a bien des années, le collaborateur d’un de vos prédécesseurs disait que les peuples chrétiens n’avaient pas toujours de gouvernements chrétiens. Il voulait dire par là que ces gouvernements ne s’orientaient pas nécessairement selon les commandements de Dieu et de l’Eglise, mais selon les intérêts de leur peuple et ce qu’on appelle «l’égoïsme sacré». Cependant, Vos intentions ont, malgré tout, contribué puissamment à infléchir le cours de l’Histoire. Que Vous veniez chez nous serait, pour nous, la plus puissante des consolations. J’avais moi-même, il y a près de trente ans, accueilli dans une allégresse de fête, Votre illustre prédécesseur S.S. Paul VI. Mais aujourd’hui, dans notre situation actuelle au milieu des critiques commandées et entretenues de l’extérieur, j’ai trop peur que Votre présence et Votre mission se heurtent, non point à des querelles entre Libanais, mais à des conflits régionaux et internationaux. Mais qu’est cela? *** Comme Véronique a déplié son voile pour y accueillir l’image de notre Seigneur, nous Vous accueillons en nous où que Vous soyez: Souverain Pontife au cœur aimant, au côté ouvert, au visage mouillé de larmes et de sang, vicaire d’un Dieu crucifié. Où que vous soyez, Très Saint-Père, soyez béni, soyez béni. CHARLES Hélou Kaslik le 26/4/97 |