Chronique


Par José M. LABAKI.

UNE EUROPE QUI FAIT CONTREPOIDS

Après la victoire éclatante du parti travailliste en Grande-Bretagne, alors que la Droite française s’apprête à gagner le pari, tous les regards sont braqués sur l’Europe, son avenir et sa capacité à prendre la relève, face à la mondialisation qui sévit d’un bout à l’autre sur notre planète. L’Europe de l’an 2000, dont la crédibilité est mise à mal par ses traditionnels adversaires, fera-t-elle pencher la balance? Loin d’être un sujet tabou et ennuyeux, l’Europe est, aujourd’hui, au cœur des préoccupations à l’échelle européenne et planétaire, au point de susciter une véritable urgence qui traduit un certain souci quant à son avenir et à sa capacité de faire contrepoids face aux menaces potentielles qui planent sur elle et aux défis cumulés auxquels elle se trouve confrontée. Elle doit d’abord réussir avant la fin du siècle à surmonter ses problèmes propres et celui non moins aventureux d’accueillir en son sein de nouveaux partenaires et la création d’une monnaie unique. Or les Institutions européennes ne sont pas prêtes à subir ce genre de mutation dont la gérance s’avère assez compliquée, la plus compliquée peut-être de toute son histoire, surtout qu’elle intervient au milieu d’un chaos planétaire, entravant la recomposition des équilibres économiques, politiques et sociaux, non seulement à l’échelle européenne mais mondiale, dans lesquels, l’Europe elle-même tout comme ses partenaires, a du mal à trouver son empreinte, et pour cause: le processus de mondialisation ne tolère aucun frein à la concurrence internationale et à la libre circulation des capitaux, et condamnant, chemin faisant, le modèle social européen au point d’en faire son handicap. D’autant plus que ceci s’accompagne d’un renversement brutal des rapports de force entre le capital et le travail, au détriment de ce dernier. D’où le doute des opinions européennes qu’affronte le double problème du chômage et des déficits budgétaires galopants. Sous prétexte des impératifs de la mondialisation, d’un partenariat plus élargi et de la monnaie unique, l’on construit une Europe ultralibérale, dégénérant par la suite, en une zone de libre-échange. Une Europe défigurée et vidée de son identité, dont l’enjeu n’est pas des moins périlleux.

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Cette Europe, pourra-t-elle absorber, aussi facilement qu’on le croit, une dizaine ou plus de membres supplémentaires, sans une réforme fondamentale de ses Institutions? En tout cas, ce n’est pas ce qu’attendent les candidats à l’adhésion. Il est vrai que personne ne songe à repousser l’idée de l’Union européenne, malgré le prix de l’intégration qui sera fort! A en croire les vieux routiers de la construction européenne, comme l’ancien ministre français des affaires étrangères Jean-François Poncet, lui-même partisan chevronné d’une Europe fédérative, le chemin à parcourir sera dur et les sacrifices, ne le seront pas moins. Cependant, si la demande d’adhésion venant des pays de l’Est, aura un quelconque succès, il n’en est pas de même de celle en provenance des pays du Sud de la Méditerranée. La frontière la moins stable de l’Europe n’étant pas celle de l’Est, mais bien celle du sud-méditerranéen, lequel à son tour affronte un triple défi: le sous-développement, l’explosion démographique et la flambée du fondamentalisme, dont l’Algérie est le berceau, après l’Iran. A signifier, notamment, qu’aux yeux de l’opinion trans-méditerranéenne l’Europe présente aussi un autre aspect, celui qui organise sa défense au préjudice des produits et des hommes du Sud de la Méditerranée, tout en leur prodiguant une infinité de conseils sur l’ouverture des marchés et le respect des droits de l’Homme. Cela n’empêche que les pays du Proche-Orient et du Golfe, réclament de tous leurs vœux, une Europe forte et unie, ne fût-ce que pour échapper aux contraintes et aux diktats de l’omniprésente Realpolitik américaine. Et les europhiles de s’exclamer: pourquoi cette morosité des Européens à l’égard de leur unification? Serait-ce à cause des menaces que font peser sur eux, la marche vers la monnaie unique, dans le contexte de la mondialisation, ou leurs différends, voire leurs réserves, toutes tendances confondues, quant à l’application du traité de Maastricht? La monnaie unique prévue pour 1999, constitue l’apogée de la construction économique de l’Europe, la monnaie étant le symbole de la souveraineté, voire du pouvoir politique, aujourd’hui mis en cause. Comment peut-on prévoir une Banque centrale européenne, en l’absence d’un pouvoir politique capable de définir une politique économique commune? Si l’option de la monnaie unique l’emporte sur les autres priorités européennes, qu’adviendra-t-il du modèle social européen qui est à définir, où l’emploi est déjà sacrifié en faveur de la monnaie, où la réponse au problème du chômage est totalement négligée?

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La dissolution du lieu social, ne peut qu’entraîner avec elle, la dissolution de l’identité européenne et les valeurs fondamentales qui la caractérisent, à savoir: la démocratie dont l’Europe se veut la championne incontestable, les droits de l’Homme dont la France est fière d’être le berceau, et surtout et d’abord, l’universalité de toutes ces valeurs, pour faire face aux courants xénophobes et nationalistes qui se démarquent sans vergogne des revendications régionales et identitaires. L’intégration économique de l’Europe à elle seule, n’est pas suffisante, si elle n’est pas accompagnée d’une intégration politique, sinon la monnaie unique risque de devenir le cheval de Troie d’une mondialisa-tion, voire d’une américanisation rampante, renversant tout le système des priorités, déjà établi. Si les Européens ne sortent pas du laxisme où ils sont apparemment pros-trés, ne répondent pas à ces impératifs de sitôt, des millions d’exclus et de laissés-pour-compte leur appor-teront la leur. L’urgence d’une Europe assainie et forte bravant tous les défis est là et non ailleurs.


“Contre la mondialisation, l’Europe doit affirmer son identité, sinon elle se verrait submergée par les effets destructeurs de l’euphorie mondialiste”.

Antony Giddens (Professeur au King’s College de Cambridge)


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