CANNES 97: UNE PALME BICÉPHALE

LE PALMARÈS JUGÉ “DIPLOMATIQUE” REFLÈTE L’IMAGE D’UNE SÉLECTION SANS GRAND RELIEF

La présidente du jury,
Isabelle Adjani à l’heure
de la proclamation du palmarés.


Le cinéaste égyptien Youssef Chahine,
Prix du 50ème anniversaire du Festival de Cannes.


Festival-sur-mer pour Liz Hurley et Hugh Grant.


Youssef Chahine et ses acteurs de “Al-Massir”:
Leila Alawy, Nour el-Chérif, Khaled El Nabaoui.


Prix de la mise en scène Wong Kar-Wai a reçu son
diplôme des mains de Fanny Ardant.

La Palme d’Or de ce prestigieux cinquantenaire est une palme partagée entre le Japonais Shohei Imamura avec “Unagi” (L’anguille) et l’Iranien Abbas Kiarostami avec “Le goût de la cerise”. Ainsi en a décidé le jury présidé par Isabelle Adjani, au terme d’une compétition longtemps indécise, aux œuvres inégales et dominée par tout un courant de la sélection sur l’exploitation outrancière de la violence à l’écran; une sélection assez morose où peu de films de qualité ont émergé. On comprend, alors, l’embarras des jurés qui, ne pouvant départager les vainqueurs possibles, ont choisi de leur faire partager la Palme!


Sandrine Bonnaire et Emmanuelle Béart
très élégantes pour la clôture.


L’allure royale, Catherine Deneuve salue la foule
qui l’acclame à son arrivée à la soirée de clôture.


Montée des marches pour John Travolta,
Robin Wright et Sean Penn (à gauche), prix d’interprétation masculine.


David Carradine et son épouse.

DIX ŒUVRES CLASSÉES EX-AEQUO DEPUIS 1947
Ainsi, la récompense suprême va conjointement à Imamura (71 ans), l’un des derniers grands maîtres vivants du cinéma japonais (déjà vainqueur de la Palme d’or en 1983 avec “La ballade de Narayama”) et consacre le talent de Kiarostami, déjà retenu en sélection officielle il y a deux ans avec “Au travers des oliviers”. Cette double palme d’or n’est pas une innovation du jury d’Isabelle Adjani. Dans l’histoire du Festival, depuis la création de la “Palme d’Or” en 1955 (qui a disparu en 64 pour réapparaître en 1975), cinq fois le jury a dû décerner une double palme d’or (en 61 pour “Une aussi longue absence” et “Viridiana”; en 79 pour “Le Tambour” et “Apocalypse Now”; en 80 pour “Kagemusha” et “Que le spectacle commence”; en 82 pour “Missing” et “Yol”; en 1993 pour “La leçon de piano” et “Adieu ma concubine”), et dix fois des œuvres ont été classées ex-aequo depuis l’instauration du palmarès en 1947.


Prix d’interprétation masculine, Sean Penn est entouré
d’Emmanuelle Béart et Sandrine Bonnaire (à droite).



Les deux vainqueurs de la “Palme d’Or”:
le metteur en scène iranien Abbas Kiarostami (à droite)
et l’acteur japonais Koji Yakusho,
représentant le réalisateur Shohei Imamura.


Kim Bassinger aux prises
avec les photographes du Festival.

ÉGOYAN: LE CHOC DE L’ÉVÉNEMENT
Pour en revenir à celui de 1997, le prix d’interprétation masculine a été décerné à l’acteur Sean Penn pour son rôle d’Eddie, l’amoureux éperdu (et perdu en prison) dans “She’s so lovely” de Nick Cassavetes (USA). Quant au prix d’interprétation féminine, il couronne, à la surprise générale, Katy Burke qui campe une femme battue mais gardant sa dignité dans “Nil by mouth” (Ne pas avaler), le premier film de l’acteur anglais Gary Oldman. Le prix de la mise en scène récompense Wong Kar Wai pour “Happy Together” (Hongkong). Quant au grand prix du jury, il est revenu à “The Sweet hereafter” (De beaux lendemains) d’Atom Egoyan (Canada) qui analyse dans un film passionnant, les sentiments et les vérités humaines. Egoyan, Canadien d’origine arménienne, taille dans le vif de la chair et de l’âme, à partir d’un drame collectif. Un drame absolu: tout au fond de la montagne canadienne, un bus de ramassage scolaire dérape dans la neige, tombe dans un lac. Seules seront sauvées la conductrice et une élève. Toutes les familles de la petite ville subissent le choc de l’événement. Comment vont-elles le supporter?
Liz Hurley


Prix d’interprétation féminine dans
“Nil by mouth”, Kathy Burke et son directeur Gary
Oldman sont visiblement heureux.


Geste de victoire pour le Canadien Atom Egoyan
qui vient de recevoir le Grand prix du jury
des mains de John Travolta, pour son film
“The sweet hereafter”.

CHAHINE DÉCHAÎNÉ
Dans la suite du palmarès, le Prix spécial du jury est décerné à “Western” de Manuel Poirier (France) et le Prix du scénario à “Ice Storm” de Ang Lee (Taïwan/USA). Quant à la Caméra d’or, récompensant une première œuvre, elle a été attribuée à la jeune Japonaise Naomi Kawase pour “Suzaku” présenté à la Quinzaine des réalisateurs. Enfin, le Prix du 50ème anniversaire est venu récompenser le talent d’un des grands maîtres du cinéma, l’Egyptien Youssef Chahine, pour l’ensemble de son œuvre. Présent à ce festival avec “Al Massir” (Le Destin) - inclus dans la compétition après le retrait du film chinois de Zhang Yimou - Chahine est déchaîné. Le grand cinéaste victime du fondamentalisme, lance un appel à la tolérance dans un film grandiose sur le philosophe musulman Averroès, du XIIe siècle, tout en portant cependant un message contemporain. Dans le “Le Destin”, Youssef Chahine démontre que “croire n’empêche pas de penser” et dénonce la montée de l’intolérance religieuse, son immixtion dans le champ du pouvoir politique et sa conquête territoriale aveugle.

LES DEUX PALMES D’OR
“L’Anguille” qui partage la palme d’or 1997, conte l’histoire d’un homme condamné pour le meurtre de sa femme et qui, en prison, apprivoise une anguille. Mis en liberté conditionnelle, il commence une nouvelle vie en s’installant comme coiffeur dans une petite ville des environs de Tokyo. Toujours avec son anguille, son unique confidente et la seule créature à qui il fasse confiance. Dans cette période rédemptrice de son existence, il sauve la vie d’une femme qui ressemble à l’épouse qu’il a tuée. “Le goût de la cerise” s’identifie au goût de la vie. Kiarostami est iranien. Il a été peintre. Il est devenu cinéaste. Il est avant tout un humaniste, ce qui réclame parfois bien du courage dans certains coins du monde. Dans son nouveau film primé, il suit longuement un homme qui a décidé de se suicider, a creusé sa tombe sous un arbre en pleine nature, et cherche une bonne volonté pour l’y couvrir de terre quand il s’y sera endormi du sommeil définitif. Sa rencontre avec un taxidermiste du museum d’histoire naturelle lui rendra le goût de la vie, “Le goût de la cerise”. La méditation mélancolique s’achève sur une note d’espoir, de printemps et d’amour de la nature.

LES RÉACTIONS AU PALMARÈS
Si l’attente de la proclamation du palmarès fut un suspense à cause d’une sélection officielle sans vrai relief dominée par la morosité, le morbide, le sinistre, en revanche le choix du jury a privilégié des films qui célèbrent la vie plutôt que la mort. En général, le prix du cinquantenaire au cinéaste humaniste Youssef Chahine a été qualifié de “choix judicieux” et bien reçu par la critique. De même que le prix du jury décerné à Manuel Poirier pour “Western” qui apporte une note fraîche et généreuse, et le grand prix donné au Canadien Atom Egoyan, réalisateur subtil et profond. Ainsi que le prix d’interprétation masculine bien mérité par Sean Penn pour son rôle de petit voyou éperdu d’amour. Par contre, ont été critiqué le choix du prix d’interprétation féminine à un second rôle, celui de Kathy Burke dans “Ne pas avaler” de Gary Oldman, et le fait d’avoir coupé en deux une palme d’or, preuve de tergiversations d’un jury en quête désespérée de chef - d’œuvre introuvable. Si le film de l’Iranien Kiarostami a fait à peu près l’unanimité, celui du Japonais Imamura (déjà Palme d’or en 1983 pour la “Ballade de Narayama”) a plutôt été salué comme un bon film, sans plus, mais certainement pas majeur dans l’œuvre du cinéaste. Pour le reste, les bons noms sont là, mais pas forcément à la bonne place même si le palmarès ressemble à un plan de table présentable où figure ce qui s’est vu de mieux à Cannes cette année. Un palmarès jugé “consensuel” et “diplomatique” (chacune des nations ayant sa part) mais qui demeurera comme le reflet d’une sélection sans grand relief et d’une compétition de plus en plus affectée par l’absentéisme des grands réalisateurs craignant de s’engager dans une bataille où ils risquent d’y laisser des plumes.

JEAN DIAB


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