La présidente du jury,
Isabelle Adjani à l’heure
de la proclamation du palmarés.
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La Palme d’Or de ce prestigieux cinquantenaire est une palme partagée entre le Japonais Shohei Imamura avec “Unagi” (L’anguille) et l’Iranien Abbas Kiarostami avec “Le goût de la cerise”. Ainsi en a décidé le jury présidé par Isabelle Adjani, au terme d’une compétition longtemps indécise, aux œuvres inégales et dominée par tout un courant de la sélection sur l’exploitation outrancière de la violence à l’écran; une sélection assez morose où peu de films de qualité ont émergé. On comprend, alors, l’embarras des jurés qui, ne pouvant départager les vainqueurs possibles, ont choisi de leur faire partager la Palme!
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DIX ŒUVRES CLASSÉES EX-AEQUO DEPUIS
1947
Ainsi, la récompense suprême
va conjointement à Imamura (71 ans), l’un des derniers grands maîtres
vivants du cinéma japonais (déjà vainqueur de la Palme
d’or en 1983 avec “La ballade de Narayama”) et consacre le talent de Kiarostami,
déjà retenu en sélection officielle il y a deux ans
avec “Au travers des oliviers”. Cette double palme d’or n’est pas une innovation
du jury d’Isabelle Adjani. Dans l’histoire du Festival, depuis la création
de la “Palme d’Or” en 1955 (qui a disparu en 64 pour réapparaître
en 1975), cinq fois le jury a dû décerner une double palme
d’or (en 61 pour “Une aussi longue absence” et “Viridiana”; en 79 pour
“Le Tambour” et “Apocalypse Now”; en 80 pour “Kagemusha” et “Que le spectacle
commence”; en 82 pour “Missing” et “Yol”; en 1993 pour “La leçon
de piano” et “Adieu ma concubine”), et dix fois des œuvres ont été
classées ex-aequo depuis l’instauration du palmarès en 1947.
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ÉGOYAN: LE CHOC DE
L’ÉVÉNEMENT
Pour en revenir à celui de 1997, le
prix d’interprétation masculine a été décerné
à l’acteur Sean Penn pour son rôle d’Eddie, l’amoureux éperdu
(et perdu en prison) dans “She’s so lovely” de Nick Cassavetes (USA). Quant
au prix d’interprétation féminine, il couronne, à
la surprise générale, Katy Burke qui campe une femme battue
mais gardant sa dignité dans “Nil by mouth” (Ne pas avaler), le
premier film de l’acteur anglais Gary Oldman. Le prix de la mise en scène
récompense Wong Kar Wai pour “Happy Together” (Hongkong). Quant
au grand prix du jury, il est revenu à “The Sweet hereafter” (De
beaux lendemains) d’Atom Egoyan (Canada) qui analyse dans un film passionnant,
les sentiments et les vérités humaines. Egoyan, Canadien
d’origine arménienne, taille dans le vif de la chair et de l’âme,
à partir d’un drame collectif. Un drame absolu: tout au fond de
la montagne canadienne, un bus de ramassage scolaire dérape dans
la neige, tombe dans un lac. Seules seront sauvées la conductrice
et une élève. Toutes les familles de la petite ville subissent
le choc de l’événement. Comment vont-elles le supporter?
Liz Hurley
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CHAHINE DÉCHAÎNÉ
Dans la suite du palmarès, le Prix spécial du jury est décerné
à “Western” de Manuel Poirier (France) et le Prix du scénario
à “Ice Storm” de Ang Lee (Taïwan/USA). Quant à la Caméra
d’or, récompensant une première œuvre, elle a été
attribuée à la jeune Japonaise Naomi Kawase pour “Suzaku”
présenté à la Quinzaine des réalisateurs. Enfin,
le Prix du 50ème anniversaire est venu récompenser le talent
d’un des grands maîtres du cinéma, l’Egyptien Youssef Chahine,
pour l’ensemble de son œuvre. Présent à ce festival avec
“Al Massir” (Le Destin) - inclus dans la compétition après
le retrait du film chinois de Zhang Yimou - Chahine est déchaîné.
Le grand cinéaste victime du fondamentalisme, lance un appel à
la tolérance dans un film grandiose sur le philosophe musulman Averroès,
du XIIe siècle, tout en portant cependant un message contemporain.
Dans le “Le Destin”, Youssef Chahine démontre que “croire n’empêche
pas de penser” et dénonce la montée de l’intolérance
religieuse, son immixtion dans le champ du pouvoir politique et sa conquête
territoriale aveugle.
LES DEUX PALMES D’OR
“L’Anguille” qui partage la palme d’or 1997, conte l’histoire d’un homme
condamné pour le meurtre de sa femme et qui, en prison, apprivoise
une anguille. Mis en liberté conditionnelle, il commence une nouvelle
vie en s’installant comme coiffeur dans une petite ville des environs de
Tokyo. Toujours avec son anguille, son unique confidente et la seule créature
à qui il fasse confiance. Dans cette période rédemptrice
de son existence, il sauve la vie d’une femme qui ressemble à l’épouse
qu’il a tuée. “Le goût de la cerise” s’identifie au goût
de la vie. Kiarostami est iranien. Il a été peintre. Il est
devenu cinéaste. Il est avant tout un humaniste, ce qui réclame
parfois bien du courage dans certains coins du monde. Dans son nouveau
film primé, il suit longuement un homme qui a décidé
de se suicider, a creusé sa tombe sous un arbre en pleine nature,
et cherche une bonne volonté pour l’y couvrir de terre quand il
s’y sera endormi du sommeil définitif. Sa rencontre avec un taxidermiste
du museum d’histoire naturelle lui rendra le goût de la vie, “Le
goût de la cerise”. La méditation mélancolique s’achève
sur une note d’espoir, de printemps et d’amour de la nature.
LES RÉACTIONS AU PALMARÈS
Si l’attente de la proclamation du palmarès
fut un suspense à cause d’une sélection officielle sans vrai
relief dominée par la morosité, le morbide, le sinistre,
en revanche le choix du jury a privilégié des films qui célèbrent
la vie plutôt que la mort. En général, le prix du cinquantenaire
au cinéaste humaniste Youssef Chahine a été qualifié
de “choix judicieux” et bien reçu par la critique. De même
que le prix du jury décerné à Manuel Poirier pour
“Western” qui apporte une note fraîche et généreuse,
et le grand prix donné au Canadien Atom Egoyan, réalisateur
subtil et profond. Ainsi que le prix d’interprétation masculine
bien mérité par Sean Penn pour son rôle de petit voyou
éperdu d’amour. Par contre, ont été critiqué
le choix du prix d’interprétation féminine à un second
rôle, celui de Kathy Burke dans “Ne pas avaler” de Gary Oldman, et
le fait d’avoir coupé en deux une palme d’or, preuve de tergiversations
d’un jury en quête désespérée de chef - d’œuvre
introuvable. Si le film de l’Iranien Kiarostami a fait à peu près
l’unanimité, celui du Japonais Imamura (déjà Palme
d’or en 1983 pour la “Ballade de Narayama”) a plutôt été
salué comme un bon film, sans plus, mais certainement pas majeur
dans l’œuvre du cinéaste. Pour le reste, les bons noms sont là,
mais pas forcément à la bonne place même si le palmarès
ressemble à un plan de table présentable où figure
ce qui s’est vu de mieux à Cannes cette année. Un palmarès
jugé “consensuel” et “diplomatique” (chacune des nations ayant sa
part) mais qui demeurera comme le reflet d’une sélection sans grand
relief et d’une compétition de plus en plus affectée par
l’absentéisme des grands réalisateurs craignant de s’engager
dans une bataille où ils risquent d’y laisser des plumes.
JEAN DIAB