Tribune


Par RENE AGGIOURI.

LE PARRAIN

Le rôle des Etats-Unis dans l’instauration de la paix au Proche-Orient est-il terminé? Et ce serait pour quel autre rôle? Après deux semaines de navette entre Gaza et Jérusalem, Amman et Le Caire, M. Dennis Ross est retourné à Washington. Il n’a rien obtenu de M. Netanyahu. D’un autre côté, il ne pourrait rien obtenir des Palestiniens qui n’ont plus rien à donner et sont demandeurs. Il ne rapporte de ses efforts que l’accusation de partialité que M. Arafat a fini par lui lancer. Mme Albright, après avoir reçu son rapport, s’est contentée d’affirmer que les Etats-Unis n’ont d’autre rôle que celui de mettre les deux parties en présence pour qu’ils négocient et trouvent eux-mêmes une solution à leurs problèmes. De qui se moque-t-elle? Cette conception du parrain exclusif du fameux “processus de paix” que se sont arrogés les Etats-Unis est d’autant plus étrange que Washington, tout en critiquant du bout des lèvres les initiatives unilatérales de M. Netanyahu sans vouloir les condamner, continue d’apporter à Israël une aide multiforme, militaire, financière et politique. Entre les deux parties que Mme Albright invite à négocier, l’inégalité et le déséquilibre sont flagrants. Et l’Amérique en est responsable.

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Dans toute la région du Proche et du Moyen-Orient, où l’objectif proclamé de Washington est de favoriser la paix et la normalisation des rapports internationaux, on voit les Etats-Unis engagés dans une vaste entreprise d’encerclement des pays qui refusent de se soumettre aux diktats d’Israël. Les Palestiniens prisonniers d’un blocage économique qui les pousse au désespoir et à la révolte; l’Iran mis sous embargo; l’Irak affamé et menacé militairement au Nord et au Sud; la Syrie accusée de préparer une guerre pendant que la Turquie, alliée des Etats-Unis et désormais liée militairement à Israël, se livre à une agression en Irak, aux frontières mêmes de la Syrie et de l’Iran. Et l’on annonce pour cet été des manœuvres navales conjointes israélo-turques avec la participation des Etats-Unis. Quel est donc l’ennemi désigné? Qui menace l’Amérique? A qui veut-elle faire peur? Comment cette Amérique peut-elle gagner la confiance des peuples chez qui se trouvent ses intérêts économiques en Orient, alors qu’elle s’allie ouvertement à un Israël toujours belliqueux? Israël qui refuse les conditions d’une paix juste telle que définie par la communauté internationale à Madrid, alors que les peuples arabes ne réclament que cette paix? Cette politique américaine recèle tous les dangers. Elle rappelle les tragiques erreurs de la croisade anti-communiste menée naguère en Extrême-Orient et qui s’était terminée par le triomphe de Mao en Chine qui ne souhaitait pourtant que le soutien de l’Amérique pour échapper à Staline; avec la parenthèse meurtrière de la guerre de Corée; et ensuite par la défaite de l’armée américaine dans les pays de l’ancienne Indo-Chine. Que de morts et de ruines inutiles! Il avait fallu attendre plus de vingt ans pour que dans les années 70, avec Nixon et Kissinger, les Américains mesurent, enfin, leur aveuglement et les méfaits de cette véritable hystérie qui les avait conduits à mal évaluer les réalités et à surestimer l’efficacité de la seule puissance militaire face aux sentiments nationaux des peuples humiliés. Sur une échelle plus limitée et dans des conditions évidemment autres, cela a recommencé à l’égard de l’Iran après la chute de la monarchie; ensuite, contre l’Irak qu’on ne s’est pas contenté de neutraliser militairement en 1990, mais dont on poursuit avec acharnement la ruine. Et maintenant, avec un Netanyahu (qui fut un moment agent de la CIA, dit-on), tout se passe comme si de nouvelles tragédies se préparaient à la faveur d’un certain nombre d’actes terroristes qui semblent avoir obnubilé le jugement aux Etats-Unis, comme jadis avait agi sur l’opinion américaine le “péril rouge” ou le “complot communiste” inventé par le maccarthysme de sinistre mémoire.

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On ne voudrait pas noircir le tableau en poussant trop loin le parallélisme des situations qui diffèrent, tout de même, sur plus d’un point. Mais un état d’esprit est en train de se créer. Tout n’est peut-être pas joué. Mais il n’est que temps de prendre garde aux inquiétudes qui montent et au sentiment de méfiance qui se généralise. A Madrid, les pays arabes ont tendu la main à Israël. Ils ont accepté les conditions d’une paix inégale mais qui, tout au moins, leur rendrait partiellement justice par la restitution des territoires perdus en 1967. Ils ont placé leur confiance dans les Etats-Unis, parce que les Etats-Unis apparaissaient comme la seule puissance capable d’amener Israël à renoncer au rêve d’un “grand Israël”. Une ère nouvelle était annoncée sur la pelouse de la Maison-Blanche devant un aréopage mondial étonné. Au bout de six ans de laborieuses négociations, on redécouvre Israël plus provoquant et plus hostile que jamais, l’Amérique préparant avec lui et la Turquie des manœuvres militaires en Méditerranée orientale contre un ennemi fantomatique. La patience a des limites et les ennemis de la paix sont habiles à la décourager. Comment retrouver la confiance dans le “parrain”, s’il ne se hâte pas de réévaluer sa politique et de tirer la leçon de ses multiples échecs dans une Asie dont les mentalités sont si différentes de la sienne?


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