Toute la littérature fleuve ayant accom-pagné la campagne
électorale resser-rée est venue se briser dans le verdict
des urnes. Tant de discours, tant de ha-rangues, tant de chiffres et d’estimations
avec des sondages quotidiens contra-dictoires qui plaçaient tantôt
la gauche et la droite au coude à coude et favo-risaient tantôt
la droite au détriment de la gauche! A en croire les éditorialistes,
polito-logues et commentateurs tous crins, les Français étaient
désenchantés, indiffé-rents à l’agitation en
cours et peu disposés à se déplacer pour choisir leurs
augustes représentants à l’Assemblée nationale dissoute,
on ne sait pourquoi, sur un pari risqué du chef de l’Etat. En dépit
d’une campagne morne et sans attraits, martelée par le duel Juppé-Jospin
par petit écran interposé, ils se sont quand même déplacés.
Et les abstentionnistes du 25 mai, 31,5%, ne dépassent pas sensiblement
ceux- 30,6% - de 1993.
UN COUP DE SEMONCE?
Les résultats du premier tour ont surpris autant la majorité
que les partis d’opposition de gauche. Ils ont marqué un net recul
de la droite qui obtient 36,5% des voix et une forte poussée de
la gauche qui totalise, entre PS communistes et écologistes, 43,50%
des voix. Egalement, une poussée historique du Front national avec
un score de 15,06% accusant des progrès au nord et à l’est
du pays, constitue avec les abstentionnistes un arbitre au second tour.
A lui seul, il sera en mesure de jouer un rôle décisif dans
une centaine de circonscriptions, les triangulaires pouvant se révéler
fatales pour ceux mis en ballotage au premier tour. Et ils sont nombreux
autant à droite qu’à gauche. Bien que les électeurs
du FN soient marqués aux deux tiers à droite et au tiers
à gauche, ils se battront sur le plan européen pour éliminer
les candidats favorables à Maastricht. Jean-Marie Le Pen, leader
du Front national, qui ne s’est pas présenté aux élections
jubile: “Malgré les instituts de sondage, le boycott médiatique,
malgré la campagne de persécution, nous avons remporté
une belle victoire. Celle-ci le pose en médiateur, mais pourrait
toutefois dans le meilleur des cas ne porter qu’un ou deux de ses candidats
à l’Assemblée nationale. Les conclusions sont vite tirées:
“Chirac est battu. Il doit partir”, tonne Jean-Marie Le Pen.
LA VOLONTÉ DE CHANGEMENT PERÇUE
DIFFÉREMMENT À DROITE COMME À GAUCHE
En fait, la droite enregistre son plus mauvais score depuis
quinze ans. Ni les contrats fabuleux signés par Chirac en Chine,
ni ceux passés avec l’Arabie séoudite, ni le discours pompeux
des dirigeants n’ont influé sur le choix des Français qui
semblent avoir sanctionné les deux premières années
du mandat de Chirac et son Premier ministre si im-populaire, malgré
ses brillantes qualités d’énarque et ses projets ambitieux.
La dure réalité est omniprésente, le chô-mage
est vivement ressenti et les res-trictions budgétaires annoncées
en vue de l’euro sont déjà accueillies avec méfiance.
Alain Juppé qui se trouve en ballotage favorable à Bordeau
(à noter que seulement douze députés ont été
élus au premier tour) a voulu tirer immédiatement la leçon
de ce premier scrutin: “Les Français, a-t-il reconnu, ont voulu
dire qu’ils attendaient un réel changement, un changement profond
et nous devons entendre ce message. “Mais a-t-il averti, on ne change pas
en reprenant de vieilles idées” (avec) une composition hétéroclite
qui nous ramène à quinze ans en arrière! Autre discours,
mais semblable tout de même, de Lionel Jospin premier secrétaire
du PS qui propose un «pacte de change-ment», une politique
économique «plus audacieuse, plus humaine qui remettra la
France en marche non pas pour quelques-uns, mais pour tous et avec tous».
Côté presse, les commentaires af-fluent: «C’est un vote
d’avertissement», «Chirac et Juppé frappés de
plein fouet, «la gauche a gagné une bataille mais pas la guerre»,
«la droite peut encore l’emporter en changeant de ton et de tête».
«Les Français votent pour le changement, mais le suspense
reste entier». «On s’attend à un second tour acharné,»
pour mobiliser, essentielle-ment, les abstentionnistes. «Nous allons
essayer de montrer du côté de la majorité qu’il y a
cette promesse de changement, indique Alain Madelin qui voudrait imprégner
au second tour «l’élan tonique» ayant manqué
au premier. Rien n’est encore dit. Le pari de Chirac qui interviendra avant
le second tour n’est pas encore perdu. Les 32 millions de Français
appelés aux urnes pour choisir 577 candidats sur les 6358 candidats
n’ont pas dit leur dernier mot. Mais ils pourraient le dire encore plus
explicitement le 1er juin et paver la voie à un gouvernement de
cohabitation formé par Lionel Jospin.
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