AVEC LA SIGNATURE À PARIS DE “L’ACTE FONDATEUR” DES RELATIONS RUSSIE-OTAN

NOUVEAUX PAYSAGES DE L’APRÈS-GUERRE FROIDE


Vigoureuse poignée de main entre Clinton et Eltsine
sous l’œil vigilant du président français.


Bill Clinton: «La nouvelle alliance va œuvrer
avec la Russie et non contre elle.»


Après la signature des accords au palais de Versailles.


L’accolade devenue historique des
présidents Clinton et Chirac à Boris Eltsine.

Evénement majeur de l’après-guerre froide, “l’Acte fondateur” régissant les nouvelles relations Russie-Otan a été signé le 27 mai à Paris par les chefs d’Etat et de gouvernement des seize pays de l’Otan, le président russe Boris Eltsine et le secrétaire général de l’Alliance atlantique Javier Solana. Cérémonie grandiose sous les ors de la République, dans la salle des fêtes du palais de l’Elysée, inaugurée par un discours de huit minutes de Jacques Chirac, à la base de cet accord et qui donne le ton: “Aujourd’hui, nous bâtissons la paix. L’accord de Paris ne déplace pas la ligne de fracture de Yalta. Il l’efface définitivement.” “La nouvelle alliance va œuvrer avec la Russie et non contre elle”, souligne le président Clinton. “La page de la guerre froide est définitivement tournée. Le voile de l’hostilité entre l’Est et l’Ouest est tombé”. Au cours d’une intervention de dix minutes qui a suivi celle du président français, Boris Eltsine très en forme, bien qu’il ait perdu vingt-cinq kilos, “apprécie très hautement cet événement tout en précisant que “la Russie a toujours eu une attitude négative en ce qui concerne les plans d’élargissement de l’Otan”, “préoccupation légitime” dont a tenu finalement compte l’Alliance atlantique. Et coup d’éclat d’Eltsine toujours imprévisible. A peine les dix-huit signatures étaient-elles apposées au bas du document, qu’il quitte son siège pour revenir à la tribune et annoncer: “Je viens d’en prendre la décision. Toutes les ogives nucléaires que nous possédons ne seront plus pointées sur les seize pays membres de l’Otan”. L’interprétation de sa phrase avait prêté à confusion; il ne s’agissait pas de démanteler les armes nucléaires, mais de ne plus les pointer vers les pays de l’Otan. La surprise passée, les Seize qui se sont félicités d’une telle initiative, espèrent que le président russe infléchira la position de la Douma en vue de la ratification de l’accord Start II de janvier 1993 devant réduire de 6.000 à 3.000 les ogives nucléaires stratégiques de Moscou et de Washington.

LE TRIPLE “NIET” DE L’ACTE FONDATEUR
Paradoxalement, ce n’est pas Moscou qui prononce un triple “niet”, mais l’Alliance à l’intention de ce dernier. L’“Acte fondateur” affirme par un “triple niet” que l’Otan n’a “ni l’intention, ni de plan ni de raison” de déployer un arsenal nucléaire sur les frontières de ses futurs membres. Décision certes non contraignante mais qui a pu rassurer Moscou au terme de quatre mois de rencontres et de six rounds marathons de négociations entre le secrétaire général de l’Otan Javier Solana et le ministre russe des Affaires étrangères Evgueni Primakov. D’ailleurs, les armes nucléaires sol-sol ont été retirées d’Europe laissant des armes air-sol enfermées dans des avions et en principe des sous-marins. L’Otan, a également, rassuré Moscou en déclarant qu’il n’est pas question de masser des troupes chez ses nouveaux adhérents. De part et d’autre, un accord a été conclu en vue d’une nouvelle réduction d’armement des forces conventionnelles en Europe. Rien n’est réellement contraignant, tout est négociable, à part le désarmement total en Europe centrale des nouveaux adhérents exigé par Moscou et rejeté par l’Alliance.


Photo-souvenir des Seize.

LE “CONSEIL CONJOINT PERMANENT”
Dans l’“Acte fondateur sur les relations mutuelles, la coopération et la sécurité entre l’Otan et la Russie”, on distingue un préambule et quatre parties: principes, conseil conjoint permanent, domaines de consultations et de coopération et dimension militaire. Initiative spectaculaire: la constitution du “Conseil conjoint permanent” Otan-Russie basé au siège de l’Alliance à Bruxelles et qui entraîne la présence d’une mission diplomatique permanente russe auprès de l’Otan. Il sera dirigé par un présidium formé du secrétaire général de l’Otan, d’un représentant russe et, par rotation, d’un membre des Seize. Il réunira tous les mois les ambassadeurs et les représentants militaires des pays de l’Alliance et, chaque semestre, leurs ministres des Affaires étrangères et de la Défense et leurs chefs d’état-major. Son but est “d’instaurer des niveaux croissants de confiance” entre les parties et d’agir “dans un esprit de bonne volonté et de respect mutuel”. Il n’accorde pas à la Russie un droit de veto sur les décisions comme l’a laissé entendre le président Eltsine - sans doute en vue de faire passer la “pillule” de l’accord à l’opinion publique russe - mais seulement une voix. D’ailleurs, il “ne donne ni à l’Otan ni à la Russie, à quelque stade que ce soit, un droit de veto sur les accords de l’autre parti”. Bien que limité, le pouvoir de décision de la Russie permettra à celle-ci de s’incruster dans une vingtaine de domaines de “consultation et de coopération” au niveau de missions de maintien de la paix et d’activités scientifiques en relation avec la paix. A l’instar du président russe, Bill Clinton, toutes proportions gardées, pourrait encore rencontrer quelques difficultés auprès de son opinion publique mal préparée à accueillir un tel accord. Certes, les démocrates et les républicains sont favorables à l’élargissement de l’Otan qui devra être annoncé les 8 et 9 juillet lors du sommet de l’Alliance atlantique à Madrid avec l’admission en 1999 de la Hongrie, la Pologne et la République tchèque. Et Bill Clinton n’a pas besoin de faire ratifier “l’Acte fondateur” par le Congrès. En revanche, il devra solliciter le Sénat pour obtenir une majorité des deux tiers et le feu vert pour l’entrée des nouveaux adhérents à l’Otan. L’élargissement devant entraîner une modification du traité de l’Otan.

“UN POUR TOUS, TOUS POUR UN”
Toute adhésion d’un pays à l’Otan engage tous les pays membres à la défense en cas de menace extérieure. Et les Américains ne sont jamais enclins de même que le Pentagone, à envoyer leurs enfants se faire tuer à l’étranger. C’est quand même dans cet esprit de solidarité totale que le traité de l’Atlantique Nord a été signé le 4 avril 1949 à Washington par la Belgique, le Canada, le Danemark, les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l’Islande, l’Italie, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal. Ces pays étaient rejoints par la Grèce et la Turquie en 1952; l’Allemagne fédérale en 1955 et l’Espagne en 1982. Cet esprit se traduisant par une sorte de devise: “Un pour tous, tous pour un”. L’article cinq du traité fondateur stipule que “les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties”. Créée en pleine guerre froide, dans le but d’assurer la sécurité de l’Europe, l’Alliance atlantique a dû redéfinir ses options à la suite de l’effondrement de l’URSS et de la réunification de l’Allemagne. Le pacte de défense collective devant se reconvertir en pacte de stabilisation politique. En janvier 1994, l’Alliance lançait avec vingt-sept pays dont la Russie un Partenariat pour la paix. En février 1994, elle intervenait militairement et pour la première fois depuis son existence, en Bosnie. Elle s’y trouve toujours. Considérée comme une extension de la puissance militaire américaine en Europe, l’Alliance atlantique amorce aujourd’hui une nouvelle ère avec l’intégration, en quelque sorte, dans son sein de la Russie contre laquelle elle avait fait front il y a quarante-huit ans. Etrange retournement de l’Histoire!

EVELYNE MASSOUD


Home
Home