TOUTES LES VIEILLES PIERRES DE BEYROUTH SONT-ELLES SACRÉES?


Deux étages s’étendant sur 25 mètres environ,
avec une largeur de 5 mètres empêchent l’élargissement de la route.


Même maison, vue de l’arrière, toute en béton,
sans tuiles! Qu’on la rachète et que l’Etat élargisse la rue.


Restaurée ou non, cette bâtisse vaut-elle
la peine d’être «classée» ou protégée?


Même bâtisse vue d’un angle différent.

La protection du patrimoine national est une belle chose. Tout le monde est d’accord sur ce point. Il faut préserver et restaurer les vieilles maisons de la capitale qui sont les exemples d’un bel art de vivre et de construire. Nul ne conteste cette priorité. Surtout lorsqu’on regarde les tours en béton sans âme qui s’élèvent dans le désordre le plus absolu partout au Liban, dans la capitale et ailleurs. Ceci justifie-t-il pourtant la note administrative adressée par le ministère de la Culture au Mohafez de Beyrouth (administrateur de la capitale) et qui empêche la démolition et donc la reconstruction sur 1015 bien-fonds dont la majorité est située à Achrafieh, Aïn-el Remmaneh, Médawar, Rmeil, Saïfi, Zokak-el-Blat et une dizaine seulement à Ras-Beyrouth?

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QUESTIONS SANS RÉPONSES
Pourquoi est-ce le ministère de la Culture qui envoie et signe cette note au mohafez de Beyrouth? La municipalité de Beyrouth est sous le contrôle direct du ministère de l’Intérieur. Alors? Pourquoi la décision d’envoyer une note administrative qui, sans être légalement contraignante, empêche en fait toutes les transactions, car tout acquéreur qui se rend au service du cadastre voit le bien-fonds “bloqué” (sinon définitivement classé). Ceci provoque un pourrissement de la situation, pire qu’une expropriation ou protection en bonne et due forme, qui elle, peut-être attaquée en justice? Quelles sont, en fait, les motivations et la portée de cette note? Sur quelles expertises se sont basés les auteurs de cette note pour prendre une telle mesure? Après enquête, il semble que ce ne sont pas des experts assermentés en génie et en architecture qui ont établi les études concernées, mais des étudiants universitaires. Sans mettre en cause la compétence, la bonne foi des auteurs de ces études, n’est-ce pas faire assumer une lourde responsabilité à des personnes qui n’ont pas encore l’expérience voulue? Restaurer c’est bon. Mais-a-t-on fait des études sur la structure de tous ces biens-fonds dont nombreux menacent ruine, surtout qu’ils sont souvent entourés de chantiers en construction qui affectent leur solidité? On l’a bien vu dans le cas d’une maison sise à la rue Trabaud qui s’est effondrée suite aux tremblements du sous-sol provoqués par les travaux de chantiers qui la jouxtent? Est-ce que des études ont établi et confirmé la solidité de ces maisons, immeubles, villas, dont beaucoup sont ébranlés par la guerre et le temps, sans compter qu’ils ont été construits à une époque où les fondations antisismiques n’étaient pas obligatoires?

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QUEL PATRIMOINE PROTÉGER?
Toute arcade, pièce de fer forgé ou colonne n’est pas nécessairement une belle chose. Quant à la notion de “palais” “château”, il est évident que la majorité de ceux qui ont fait les premières études n’ont jamais admiré de visu les palais et châteaux d’Italie (Florence, Rome, Venise etc...) de France (Château de Versailles, Palais-musée du Louvres, châteaux de la Loire, Chantilly, Chambord etc...) de Grande-Bretagne (palais de Buckingham, Windsor, Balmoral, etc...) d’Espagne, de l’Inde, de Thaïlande, de Russie, etc... Ils les ont vus certes en photos, au cinéma ou à la télévision. Mais ce n’est pas assez. Il faut avoir vu ces petites merveilles dans leur contexte pour pouvoir émettre une opinion sur une belle construction. Il faut, aussi, penser à l’Environnement. Mis à part les monastères au Liban et quelques demeures, presque toutes les vieilles (encore moins les nouvelles) demeures du Liban sont entourées et étouffées par des tours en béton. Ceci ne leur enlève pas, leurs charmes. Mais il est important d’établir un plan général pour la protection des anciens sites et demeures et ne pas zigzaguer à l’aveuglette, en excluant de la «protection» ou du «classement» on ne sait par quelle magie, le ministère libanais des Affaires étrangères, qui est pourtant considéré comme un des fleurons de l’architecture libanaise.

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LE DROIT DE PROPRIETE GARANTI PAR LA CONSTITUTION
Si l’expropriation par l’Etat pour le bien public est admise dans tous les pays civilisés du monde, elle s’effectue en respectant les droits du propriétaire à une juste indemnisation. Or, les crédits nécessaires qui portent sur des milliards, n’ont pas été prévus dans le budget de 1997. De nombreux propriétaires ont hypothéqué leurs biens-fonds auprès des banques, quand ce n’est pas avec des usuriers. Cette note administrative les a plongés dans le pétrin jusqu’au cou. Les créanciers demandent à être remboursés, faute de quoi les propriétés seront mises en vente aux enchères. Les spéculateurs sachant que ces biens sont «bloqués» et difficilement négociables les achèteront pour une bouchée de pain et attendront des jours meilleurs pour les démolir ou les restaurer!

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N’Y A-T-IL PAS DE SITES ET ANCIENNES DEMEURES à PROTEGER EN DEHORS DE BEYROUTH?

Le hasard fait bien les choses. Comment se fait-il que les biens-fonds bloqués et protégés par cette note sont tous situés dans un périmètre de 500 mètres environ autour des «frontières» de SOLIDERE? Pourquoi cet intérêt subit pour cette région? Il y a encore de très belles anciennes demeures au Liban, situées au Nord, dans le Sud, dans la Békaa, au Kesrouan, dans le Metn etc... Pourquoi cette précipitation pour Beyrouth? On sait que le mieux est l’ennemi du bien. Il faut préserver les belles anciennes demeures, soit en indemnisant immédiatement les propriétaires, soit en leur donnant le choix de garder ces propriétés et de les restaurer avec l’aide «payante» de l’Etat, ou de l’organisme en cause. Si une sélection doit être faite, elle devra l’être par des experts compétents, et prévoir des espaces verts.

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POURQUOI CE RETARD DES AYANTS-DROIT?
Une autre question que l’on se pose est la raison pour laquelle les ayants-droit n’ont pas effectué des démarches pour éclaircir la situation, plus tôt. Il est vrai qu’ils ont tenu une assemblée générale le 25 novembre 1996, alors que la note administrative est datée du 8 juillet 1996. Il est vrai, aussi, qu’ils ont élu un comité pour défendre leurs intérêts. Est-ce suffisant? A se rappeler aussi que le Liban vivait en pleine fièvre électorale. Protéger le patrimoine? D’accord. Mais à l’abri d’une loi juste pour les citoyens et ne pas créer un autre précédent, que celui tristement célèbre que tout le monde connaît. Les Libanais espèrent un changement et aspirent à un nouvel ordre social. Il est à souhaiter que ce nouvel ordre social commencera en réglant au mieux et pour l’intérêt de tous, cette affaire.