Par ALINE
LAHOUD..
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“DIEU SEUL EST GRAND” MESSIEURS* |
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Serait-ce cela le miracle libanais? Cette folle
éclosion d’une génération spontanée d’experts
hautement qualifiés en matière juridique, là où
la veille encore il n’existait que des nullités? Il a suffi au Conseil
constitutionnel de rendre son arrêt invalidant le mandat de quatre
députés pour que la moitié de l’establishment politique
se transforme en autant de professeurs agrégés en droit constitutionnel,
tandis que ceux de l’autre moitié sautaient sur leurs couteaux pour
les aiguiser après l’avoir fait de leurs langues. Il faut dire qu’il
y avait de quoi tomber à la renverse. Comment, dans un pays qui
a vu, à son corps défendant, s’installer aux commandes une
classe politique complètement déphasée, généralement
illettrée et particulièrement vorace; com-ment face à
une poignée de ma-chos doublement imprégnés de la
logique antilégaliste des milices et de celle de l’arbitraire-loi
du monde arabe; comment, dans un tel contexte et un tel environ-nement,
dix magistrats ont pu pousser l’outrecuidance jusqu’à infliger un
cinglant camouflet aux chouchous du pouvoir et à ceux qui les chouchoutent,
aux gonflés d’une importance inversement proportionnelle à
leurs compétences. Oui, comment? Comment un Conseil constitutionnel,
si cour suprême qu’il soit, pouvait avoir l’audace de signifier à
M. Michel Murr, que les élections dont il était si fier ne
valaient pas un clou; que le président Hoss avait raison de dire
que «le cru 96 est le pire qu’ait connu le pays en matière
de législatives» et que si elles n’avaient pas été
annulées dans leur ensemble, c’était pour éviter que
«les murs du temple ne s’écroulent». C’était
intolérable! Et chacun y est allé de sa petite leçon
de droit: le chef de l’Etat qui est agronome de formation, le chef du Législatif
qui, quoique avocat, n’a plus exercé depuis vingt ans, le vice-président
du gouvernement qui insiste pour faire précéder son nom de
la mention «ingénieur», les blackboulés de la
dernière cuvée... Tout le monde en savait plus long que les
dix galopins du Conseil constitutionnel lâchés dans la nature
comme de petits fous, sans que personne ne puisse leur rabattre le caquet.
Franchement inadmissible! D’autant plus inadmissible que cela met le gouvernement
dans une situation pour le moins inconfortable. Le dilemme étant:
soit rectifier le tir et éviter à l’avenir de traficoter
les opérations électorales pour ne pas se faire taper sur
les doigts de si humiliante façon, soit accuser le Conseil cons-titutionnel
d’outrepasser ses prérogatives et faire voter par le parlement une
loi réorganisant le statut dudit conseil d’une façon tellement
contraignante et restrictive qu’il cesse de se prendre pour Dieu le père.
Ce qui arrangerait bien les affaires de M. Murr qui se propose de rester
vitam eternam au ministère de l’Intérieur, puisqu’indélogeable
ayant la baraka de qui vous savez . «-Je pèse, vient-il de
déclarer à la télévision, une tonne dans mon
fauteuil!» Sans fauteuil aussi. Un vrai poids lourd, l’archange Michel.
Malheureusement, ce choeur des anges semble avoir la mémoire courte.
Si ces messieurs pouvaient se pencher sur leur récente Histoire,
ils découvri-raient que les élections truquées du
25 mai 47 n’avaient subi aucune invalidation, mais le prési-dent
Béchara El-Khoury avait été contraint de quitter le
pouvoir quelque temps plus tard; que celles de 57 avaient débouché
sur les événements de 58 et si les élections de 92
avaient passé le cap difficile sans dommage, c’était uniquement
grâce à l’appui massif de la Syrie. Quant aux législatives
de 96, laisser les choses aller, comme le désirait le gouvernement, équi-valait
à lui allonger la corde pour mieux se pen-dre. En fait, le Conseil
constitutionnel est inter-venu pour servir à ces messieurs, qui
le mettent aujourd’hui au banc des accusés, de paraton-nerre. On
ne casse pas un paratonnerre en plein orage, surtout quand on a le chic
de provoquer soi-même les orages. Ne serait-ce que par instinct de
survie.
*Jean-Baptiste Masillon dans l’oraison funèbre de Louis XIV. |
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