PRÉSIDENT DU FORUM FRANCOPHONE DES AFFAIRES

STEVE GENTILI:
“LA FRANCOPHONIE ÉCONOMIQUE, UN PROJET POUR LE XXIème SIÈCLE

Président-directeur général d’une importante société de distribution agro-alimentaire, membre du conseil d’administration de la Banque internationale du commerce, président des patrons de la région parisienne, Stève Gentili est, également, le président du Forum francophone des affaires (FFA), organisation internationale qui est l’opérateur économique de la Francophonie. Le FFA regroupe des sections dans plus de quarante pays, dont le Liban. Le FFA participe, activement, à la préparation du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement des cinquante Etats membres de la Francophonie qui se réunira à Hanoï en novembre 1997 et dont le thème sera, précisément, “le développement de la coopération économique dans l’ensemble francophone”.


LA FRANCOPHONIE, UNE VÉRITABLE SOCIÉTÉ INTERNATIONALE
Zeina el TIBI: - On connaît bien l’aspect culturel et technique de la francophonie ou même son aspect politique. En revanche, le volet économique de la francophonie est encore mal connu. Quel est le rôle de la francophonie économique?
Stève GENTILI: “La francophonie économique est le troisième pilier de la Francophonie qui est devenue depuis une vingtaine d’années une véritable société internationale de plus en plus dynamique. Dernier né de la francophonie, le pilier économique créé avec la fondation du Forum francophone des affaires par le sommet des chefs d’Etat et de gouvernement réuni à Québec en 1987, permet d’envisager un projet intégral et particulièrement moderne. Le développement et la coopération économiques seront, d’ailleurs, au centre des travaux du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement qui se réunira à Hanoï, en novembre prochain. “L’emballement de la mon-dialisation de l’économie et la désarticulation des structures traditionnelles conduisent à intensifier les processus de coopération. La glo-balisation généra-lisée des échanges ne saurait se passer de conventions, de règle et de projets de rééquilibrage.

SIMILITUDES SOCIO-CULTURELLES
“Ainsi, alors même que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) fixe les normes générales de la pratique commerciale et du libre-échange international, on voit se développer de nombreux accords régionaux, lesquels visent à former des ensembles économiques structurés. C’est, bien sûr, le cas de l’Union européenne ou de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA ou NAFTA), mais c’est, aussi, le cas de l’Association de libre-échange asiatique, créée par l’Association des nations du sud-est asiatique (ANSEA ou ASEAN), de la zone de coopération économique de la mer Noire; de la Communauté économique Asie-Pacifique, de l’Union économique des pays du sud de l’Amérique latine (MERCOSUR)... Le trait commun à toutes ces organisations est la volonté de mettre sur pied des blocs économiques bien délimités sur le plan géographique et caractérisés par de fortes similitudes socio-culturelles. “Dans ce contexte, l’espace économique francophone apparaît comme une expérience singulière. La principale particularité de cet ensemble est qu’il est intercontinental, d’une part, et rassemble des pays extrêmement différents, d’autre part. C’est, évidemment, une faiblesse, mais cette faiblesse est toute relative, si l’on considère les chiffres et les potentialités offertes par cette communauté originale qui n’a d’égal que le Commonwealth, encore qu’elle s’en distingue notablement.”

UN ESPACE ÉCONOMIQUE D’UN DEMI-MILLIARD D’HOMMES
Z.T.: - Que représente l’espace économique francophone?
S.G.: “L’espace économique francophone recouvre les cinquante Etats et communautés qui participent aux institutions de la francophonie et siègent au sommet des chefs d’Etat et de gouvernement des pays ayant en partage l’usage du français: royaume de Belgique, communauté francophone de Belgique, Bénin, Bulgarie, Burkina-Fasso, Burundi, Cambodge, Cameroun, gouvernement fédéral du Canada, Canada - Nouveau Brunswick, Canada-Québec, Cap vert, Centrafrique, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Djibouti, Dominique, Egypte, France, Gabon, Guinée, Guinée Bissau, Guinée équatoriale, Haïti, Laos, Liban, Luxembourg, Madagascar, Mali, Maroc, Maurice, Mauritanie, Moldavie, Monaco, Niger, Roumanie, Rwanda, Sainte Lucie, Saint Thomas et Pince, Sénégal, Seychelles, Suisse, Tchad, Togo, Tunisie, région autonome du Val d’Aoste, Vanuatu, Vietnam, Zaïre). Au total, ces Etats représentent plus de 5000 millions d’hommes, c’est-à-dire près de 10% de la population mondiale. “En termes économiques, le poids de la francophonie est loin d’être négligeable avec 12% de la production mondiale et 18% des échanges commerciaux internationaux. Le PNB de l’espace économique francophone s’est élevé en 1996, à près de 3.000 milliards de dollars, c’est-à-dire plus de 35% du PNB des deux plus grands pôles régionaux que sont l’espace économique européen (plus de 8.000 milliards de dollars) et l’ALENA (plus de 7200 milliards de dollars). “Si l’on considère que les nations membres de l’Union européenne s’octroient près de 40% du commerce mondial, l’espace économique francophone pèse presque la moitié en termes d’échanges commerciaux. Cet espace affiche, surtout, un profil très exportateur, puisque le pourcentage des exportations dans le PNB d’un Etat membre de la francophonie se monte, en moyenne, à 30% contre 10% pour les Etats-Unis d’Amérique ou le Japon et 20% pour des pays comme l’Italie ou la Grande-Bretagne.

EXTRÊME COMPLÉMENTARITÉ
“Le fait que le commerce intra-zone ne s’élève pas à plus de 16 ou 17% des échanges globaux de l’espace économique francophone, est un facteur intéressant à prendre en considération, dans la mesure où il est légitime d’espérer que les avancées politiques de la construction francophone, les efforts d’intégration et le renforcement de la coopération offrent de bonnes perspectives d’augmentation des échanges. Un très large champ reste à explorer, ce qui est fort appréciable dans une conjoncture de crise et de stagnation des marchés traditionnels. “Cette exploration peut se révéler d’autant plus féconde, que l’espace économique francophone est marqué par une extrême complémentarité. En effet, on conçoit bien les possibilités que réservent des pays comme la Roumanie, la Moldavie, la Bulgarie, Madagascar, le Cambodge ou le Vietnam (avec ses soixante quinze millions d’habitants et son taux de croissance de plus de 10%) au savoir-faire et à la technologie de pays comme la France, le Canada, le Québec ou la Belgique. “La progression démographique des pays du sud conjuguée à une amélioration progressive du niveau de vie, crée une importante réserve de consommateurs potentiels. De surcroît, certains Etats constituent de véritables têtes de pont pour aborder de nouveaux marchés, par exemple, le Vietnam est un formidable tremplin pour l’Asie, comme l’Afrique noire francophone pour l’Afrique du sud ou le Liban, lui aussi en pleine reconstruction, pour le Machrek arabe. “Parallèlement aux perspectives offertes en matière d’exportation et de pénétration de nouveaux marchés, il faut souligner la part que peuvent prendre la recherche et la formation. Les membres de l’espace économique francophone doivent unir leurs efforts pour répondre à de nouveaux défis, notamment dans le domaine des autoroutes de l’information avec la constitution de serveurs francophones. Pour ce qui concerne la formation, la demande est, également, très importante comme le montrent bien la récente création d’une HEC libanaise, l’Ecole supérieure des affaires (ESA) de Beyrouth, gérée par la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, ou la vitalité du Centre franco-vietnamien de formation à la gestion. Pour sa part, le Forum francophone des affaires a institué un programme de stages en entreprises, afin d’initier de jeunes diplômés des pays en voie de développement aux techniques commerciales, financières et gestionnaires. «Tout conduit donc à mieux intégrer le facteur francophone dans une stratégie d’exportation et de coopération économique. L’espace économique francophone est une réalité, mais celle-ci doit être davantage mise en valeur et faire l’objet d’un programme ambitieux et cohérents.»

LE FFA: OPÉRATEUR DE LA FRANCOPHONIE ÉCONOMIQUE
Z.T.: - Depuis quelques années, vous présidez le Forum francophone des affaires. Pourriez-vous préciser les objectifs de cette organisation?
S.G.: «Depuis le premier sommet des chefs d’Etat et de gouvernement en 1986, la francophonie s’est affirmée; elle a tissé des réseaux et renforcé ses institutions dans de nombreux domaines. Elle a, surtout, entrepris de répondre à une triple exigence: consolider une forte charpente culturelle, faire montre d’une plus ferme volonté politique, élargir le volet économique. Dans cet esprit, la francophonie s’est dotée, en 1987, d’une organisation internationale non-gouvernementale, associée au sommet des chefs d’Etat et de gouvernement, dont la vocation est de développer les échanges commerciaux, industriels et technologiques et d’améliorer la coopération entre les membres de l’espace francophone. «Le Forum des affaires francophones est l’opérateur spécifique qui, rassemblant les principaux acteurs économiques (chefs d’entreprises, hommes d’affaires, financiers, experts, animateurs de chambres de commerce et d’organisations professionnelles), a pour mission de rapprocher le monde des affaires de la francophonie, de fédérer les actions et de dynamiser les échanges. «Son action repose sur une quarantaine de comités nationaux et se traduit par diverses activités que l’on pourrait regrouper autour de trois principales priorités: 1 - Former et sensibiliser par l’organisation de rencontres au niveau global ou national (comités nationaux). Tous les deux ans, en marge du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement, se tient le forum qui permet aux hommes d’affaires de se rencontrer, d’échanger leurs expériences, de réfléchir autour de thèmes concrets de préoccupation, de définir les grands objectifs. Cet effort de réflexion se poursuit sous forme d’actions plus ponctuelles ou thématiques par les activités propres aux comités nationaux. L’action de sensibilisation se traduit, également, par la réalisation de guides d’affaires et de publications spécialisées (dont le premier ouvrage consacré à la francophonie économique (L’Espace économique francophone par Aymeric Chauprade, préface de Stève Gentili, Ellipses - FFA, 1996) ou par de nombreuses manifestations (colloques, foires commerciales, attribution du prix annuel de la francophonie économique etc...). 2 - Communiquer et favoriser la diffusion et la circulation de l’information entre les entreprises, grâce à une banque internationale des gens d’affaires qui répertorie les entreprises de la francophonie, les appels d’offres, les projets des institutions financières internationales. Par ailleurs, afin de permettre aux entreprises d’accéder aux sources privilégiées d’information, en temps réel, le FFA a mis sur pied un système mondial de transmission de données par réseau télématique (Transit international). 3 - Coopérer en facilitant les échanges par la création d’une bourse d’affaires, en promouvant des actions concrètes, en développant un programme de promotion et de développement du partenariat d’entreprises, lequel vise à l’identification de projets, à la recherche de partenaires intéressées, au financement des études viabilité et à la recherche des financements nécessaires.

PARTENARIAT ÉCONOMIQUE ENTRE FRANCOPHONES
Z.T.: - Quels sont les résultats pratiques des activités du FFA?
S.G.: «La multiplication des actions concrètes a conduit à l’avènement d’un véritable partenariat économique entre francophones. Elle a, également, permis de mieux cerner les besoins et les potentialités: la promotion des pays en retard, la modernisation accélérée des structures agricoles ou industrielles défaillantes, l’élaboration de projets adaptés, la construction d’infrastructures... «Beaucoup d’hommes d’affaires ont découvert que la francophonie n’était pas une aimable vue de l’esprit, mais une forte réalité qui ouvre de très larges horizons et mérite d’être intégrée dans les futures stratégies. Désormais, les acteurs du monde économique estiment que l’espace francophone pourrait bien représenter un projet nouveau et enthousiasmant pour le XXIème siècle, celui de constituer l’un des grands ensembles de la recomposition du paysage économique de la planète. «A une époque caractérisée par la morosité, la jeune francophonie économique est pleine de promesses. Elle laisse entrevoir des voies nouvelles en matière de coopération, d’investissement, de commerce et, par conséquent, d’emploi. Elle propose de multiples chantiers qu’il importe de mettre en valeur, en faisant montre de plus d’esprit d’initiative et de plus d’imagination. Elle constitue une chance qu’il faut savoir exploiter. A titre d’exemple, il faut indiquer que, si l’on tient compte de la croissance actuelle des échanges (entre 7 et 8% par an), il suffirait de doubler la coopération interfrancophone, très en-dessous de ses possibilités, pour parvenir à une augmentation des échanges d’environ cent vingt milliards de francs par an. «Dans ce domaine, comme partout ailleurs, rien ne remplace la volonté. Il importe d’aller de l’avant, sans frilosité excessive. Il importe, aussi, que les dirigeants politiques accordent à la francophonie toute l’attention quelle mérite et l’inscrivent comme une priorité. On peut espérer que, sous l’impulsion du président Chirac qui a su rénover et redonner un souffle à la diplomatie française, le sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de la francophonie de novembre 1997, à Hanoï, sera celui de la montée en puissance d’une organisation qui élira, à cette occasion, un secrétaire général permanent, lequel lui donnera une voix et un visage sur la scène internationale. (Le nom de Boutros Boutros-Ghali est le plus fréquemment cité pour occuper ce poste. ndlr).

Z.T.: - Quelle est la place du Liban dans l’espace économique francophone?
S.G.: «Le dynamisme et la compétence des Libanais en matière économique et commerciale n’ont plus besoin d’être soulignés. Par ailleurs, la place qu’occupe le Liban dans la francophonie est importante et tout le monde connaît l’attention particulière que porte la France à ce pays ami. Tout concourt donc à ce que les hommes d’affaires libanais jouent un rôle de premier plan dans l’espace économique francophone, d’autant plus qu’ils sont présents dans de nombreux pays et sur tous les continents. “Il existe un comité national libanais du FFA. Personnellement, je souhaiterais qu’une grande réunion de la francophonie, au niveau ministériel et, pourquoi pas, qu’un prochain sommet des chefs d’Etat et de gouvernement, se tienne un jour à Beyrouth”.

(Propos recueillis à Paris par ZEINA W. El-TIBI)


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