TOUT N’EST PAS PARFAIT
M. Hobeika reconnaît que tout n’est pas parfait au niveau
de l’administration étatique; qu’il s’emploie à l’assainir
en réduisant et, si possible, en mettant fin aux transactions et
aux adjudications dérogeant aux normes légales. “De fait,
ajoute-t-il, nous sommes tombés d’accord avec la Cour des comptes
pour prévenir tous les abus et les passe-droits.”
- Votre ministère a accompli bien des réalisations,
mais il lui reste beaucoup à faire. Quels sont vos plans à
moyen et long termes?
“Nous avons jeté les bases de l’action future, mais les besoins
demeurent plus grands que les réalisations, alors que les possibilités
de l’Etat sont limitées. Ainsi, il nous est possible d’exécuter
deux grands projets sur les quarante prévus. Aussi, avons-nous établi
un ordre des priorités, les régions les plus défavori-sées
ayant été inscrites en tête de notre programme de travail.
“Puis, il faut contracter des prêts pour pouvoir financer les travaux,
les crédits nécessaires à leur financement étant
évalués à près de deux milliards et demi de
dollars. Le renforcement des installa-tions électriques a exigé
jusqu’ici le débours d’un milliard et demi de dollars et nous avons
encore besoin de cent ou deux cents millions pour achever les projets.”
QUID DES FACTURES DE L’ÉLECTRICITÉ?
- Des gens se plaignent des factures d’électricité
excessives, excédant de loin leur consommation en énergie
alors que certaines régions n’acquit-tent toujours pas ces factures...
“Il n’y a plus de régions où le courant n’est pas payé,
à quelques exceptions près. En ce qui concerne les factures,
nous avons modifié les tarifs et envisageons de les réduire
davantage. Cependant, ceux qui se plaignent, le font parce qu’ils avaient
pris l’habitude de ne pas régler leurs quittances. “Quoi qu’il en
soit, nous enquêtons sur toute plainte qui nous est présentée.
Notre département se propose d’entreprendre une campagne destinée
à éclairer les citoyens sur la manière d’alléger
leurs factures, en les incitant à utiliser l’énergie solaire
pour chauffer l’eau à la place des réchauds, ces derniers
consommant une énergie électrique de l’ordre de 60 pour cent
par rapport aux dépenses générales. “Nous élaborerons
de nouvelles législations à l’effet de troquer l’énergie
électrique contre l’énergie solaire. Ceci aura pour conséquence
d’alléger les dépenses du citoyen et, aussi, de l’Etat, car
le fuel oil nous coûte deux cents millions de dollars par an. Ce
montant risque de doubler, lorsque deux usines électriques entreront
en service.”
L’EAU DE RACHÉÏNE N’EST PLUS POLLUÉE
- Votre ministère a-t-il pris les mesures voulues pour assainir
l’eau polluée de la source de Rachéïne qui alimente
la région de Zghorta - Zawié?
“L’eau de cette source n’est plus polluée; elle l’était
à une période de l’année, plus précisément
durant l’hiver, les égouts déversant leur contenu non loin
de la source. Par la suite, le débit d’eau s’est assaini. “Puis,
nous procédons à un examen bactériologique du précieux
liquide qui ne parvient plus aux consommateurs sans passer, au préalable,
par une station de filtrage. D’ailleurs, nous versons du chlore pour éliminer
tous les microbes, si jamais ils existent.”
- Pourquoi l’Etat ne confierait-il pas la perception des factures
à des sociétés privées qui ont donné
la preuve de leur efficacité?
“Je suis en faveur d’une telle formule, mais une cabale a été
déclenchée contre le ministère quand on lui a prêté
l’intention de recourir à ce procédé. Nous avons,
alors, fait appel à l’armée et si cette façon d’opérer
ne réussit pas, nous n’aurons plus d’autre option que de confier
la perception à des sociétés privées.”
- Sans les prêts et certaines dona-tions, auriez-vous pu accomplir
les réalisations hydrauliques et électri-ques qui sont présentées
comme un succès personnel du ministre Hobei-ka?
«D’abord, il ne s’agit pas d’un succès personnel, car toute
une équipe a accompli ces réalisations et non le ministre
des Ressources. Tout ce que j’ai fait, se limite à une ombrelle
politique couvrant cette équipe. De plus, j’ai atténué
les pressions politiques qui auraient pu retarder les travaux. J’affirme
que, sans les prêts et les crédits mis à notre disposition,
nous n’aurions pu rien accomplir. «Nous venons de conférer
avec une mission de la Banque mondiale qui s’est montrée disposée
à nous aider. Aurait-elle promis son assistance si son premier essai
avec nous n’avait pas été concluant? Ainsi, nous sommes soumis
à un contrôle, non seulement local, mais international».
QU’EN EST-IL DU PARTI «AL-WAAD»?
- Pourquoi avoir renoncé au parti «Al-Waad» pour
l’action politique et l’avoir troqué contre le soutien des «amis»?
«Je n’ai nullement renoncé à ce parti qui poursuit
ses activités. Cependant, les gens mêlent l’action politique
à la logique de la guerre durant laquelle les partis ont été
mal cotés. Aussi, leur action n’est-elle pas bien vue au niveau
de la masse. «Quant au «festival des amis d’Elie Hobeika»
nous avons veillé à ne pas lui donner de cachet politique.
Dans nos prochains congrès, nous n’utiliserons pas la formule personnelle
et mon nom ne sera plus cité».
- On dit que l’explosion survenue dans votre domicile de Hazmié
a été une réplique au «festival de la fidélité»...
«Ce n’était pas, en fait, une explo-sion, mais un simple
incendie dont les conséquences ont été énormes.
Il s’agissait, plutôt, d’une coïncidence ne revêtant pas
le sens d’un message ou d’une réplique au meeting de Sin el-Fil».
LA POLEMIQUE HARIRI-LAHOUD
- Comment expliquez-vous l’offen-sive du chef du gouvernement contre
certains organismes sécuritaires qu’il a accusés d’œuvrer
aux fins de torpil-ler les institutions civiles?
«J’ignore les données ayant incité le chef du gouvernement
à adopter une telle attitude. Le président Hariri est le
chef du gouvernement et l’armée est une des institutions gouvernementales.
Aussi, si le président Hariri a des griefs à formuler envers
l’institution militaire, il peut s’en entretenir entre quatre murs avec
le commandant en chef de l’armée, sans que cela soit étalé
sur les colonnes des journaux. «Nous en avons assez des crises dans
ce pays, celles-ci devant être réglées loin des cercles
médiatiques. Nous vivons en régime démocratique que
nous sommes tenus de préserver et de raffermir. Je n’approuve donc
pas cette manière d’agir, susceptible d’attiser les crises et de
les envenimer davantage».
- Jusqu’à quel degré le «festival des amis d’Elie
Hobeika» peut-il être comparé à celui des «amis
du «amid» Raymond Eddé», organisé en 1988
par le Bloc national à l’approche des élections présidentielles?
«Aucune comparaison n’est possible entre les deux et le «festival
des amis d’Elie Hobeika» n’avait pas pour but d’appuyer ma candidature
aux présidentielles; d’ailleurs, c’est une expression erronée,
car je ne crois pas en l’action individuelle, mais dans une équipe
de travail et une action à entreprendre dans le cadre institutionnel.
Si j’ai admis cette appellation, il n’en sera plus de même à
l’avenir. «Puis, je ne suis pas candidat à la magistrature
suprême. Je crois que la majorité des maronites, pour ne pas
dire la plupart d’entre eux, sont candidats à la présidence
de la République, pour la raison que cette haute charge revient
à leur communauté. «Cependant, le Liban vit dans les
circonstances d’une crise régionale, alors que la «réconciliation»
n’a pas encore été réalisée, bien que je n’approuve
pas ce terme».
JE NE SUIS PAS PRESIDENTIABLE
- D’aucuns pensent que l’étape actuelle n’est pas meilleure que
celle ayant nécessité la reconduction du mandat présidentiel.
Peut-on déduire que le mandat du président Hraoui serait
prolongé une seconde fois?
«C’est possible, mais jusqu’à présent une telle éventualité
n’est pas posée. Ceux qui l’évoquent maintenant, le font
pour des considérations personnelles. «De toute manière,
je suis de ceux qui favorisent les élections présidentielles,
comme je me suis prononcé en faveur des municipales, contrairement
à ce que préconisait le président de la Chambre»
- Les observateurs constatent qu’en tant que
ministre maronite, vos rapports avec Bkerké sont tièdes,
voire froids?
«Cela n’est pas vrai. Au contraire, mes rapports sont
excellents avec le patriarcat maronite. Mais je ne suis pas de ceux qui
se servent de Bkerké à des fins personnelles. C’est une instance
que je respecte et je suis satisfait de la nature de ma relation avec elle».
- On fait état d’une initiative visant à engager un
dialogue syro-chrétien. Qu’en pensez-vous et auriez-vous essayé
de jouer un rôle de médiateur entre les deux parties?
«Si un tel rôle m’était demandé, je pourrais
m’en acquitter. Mais je crois qu’une telle opération se passe de
médiateurs, les deux parties étant en mesure de renouer le
dialogue entre elles. Je suis de ceux qui approuvent ce dialogue, sans
qu’il soit besoin d’intermédiaires pour l’engager».
- Vous critiquez «l’abattement» chez les chrétiens;
n’y détectez-vous pas des causes palpables?
«Je reconnais l’existence d’un tel abattement et j’en comprends
les causes. Mais je le critique, car il n’y a pas de tentative sérieuse
de faire face à la réalité. L’abattement et l’isolement
ne sont pas des moyens pour faire face à la réalité
et essayer d’en sortir. Je suis avec la confrontation, pour l’élaboration
d’un plan, d’un programme ou d’une stratégie déterminant
les objectifs à atteindre».
DU DESENCHANTEMENT AU VIDE
- Quelles retombées attendez-vous de la visite papale au
Liban?
«Si les gens lisaient l’exhortation apostolique, cela les aiderait
à élaborer un plan d’action et à définir les
objectifs à atteindre. Ainsi, la visite du Souverain Pontife réalisera
quelque chose de grandiose. «Je crois que les chrétiens, en
général, sont passés de l’état de désenchantement
à l’état de vide et cette visite leur indique la voie à
suivre pour sortir de la situation dans laquelle ils sont enlisés».
- Pourquoi empêche-t-on les leaders chrétiens établis
à l’étranger de revenir; seraient-ils à tel point
indésirables? «Qui sont ces leaders: le général
Aoun, le président Gemayel et le «amid» Raymond Eddé?
Qui empêche donc le «amid» de rentrer au pays?
Le président Gemayel est déjà venu et est reparti
plus d’une fois. Il est certain que l’Etat ne le persécute pas.
«Le problème du général Aoun est différent.
Un accord politique a été conclu entre les autorités
françaises et libanaises à son sujet. Puis, il est question
d’une histoire en rapport avec la Justice, à propos de laquelle
on ne peut prendre position. Cependant, le général coopère
avec un groupe d’amis et de partisans qui opèrent au Liban, tels
le brigadier Letayf et d’autres encore. «Khomeyni était en
France lorsqu’il l’a emporté sur le chah d’Iran. Les lignes téléphoniques
sont ouvertes, de même que les médias. Peut-être des
pressions seraient-elles exercées sur lui pour l’empêcher
de faire des déclarations et ceci ne l’a pas empêché
de se manifester et de recevoir au lieu de sa résidence. «Les
Forces libanaises ont tenu un congrès à Paris où elles
ont organisé le premier rassemblement de l’opposition. «Nous
jouissons au Liban d’une vie démocratique que nous aspirons à
améliorer. Nous ne devons pas oublier que la vie démocratique
exigeait naguère que l’adversaire soit en prison ou sous terre.
Ce n’est plus le cas aujourd’hui».
LE CAS GEAGEA
- Comment jugez vous les procès du Dr Samir Geagea qui a été
condamné, alors que les «émirs de la guerre»
sont au pouvoir? Si vous étiez président de la République
le feriez-vous bénéficier d’une amnistie?
«J’ignore ce que je ferais. Cependant, je peux dire quelque chose
qui n’est pas important: je l’ai déjà blanchi du préjudice
qu’il m’a causé dans le passé au temps de la guerre. Dès
l’instauration de la paix civile, il n’y a plus de conflit entre nous et
j’estime qu’en temps de paix, celle-ci doit être édifiée
en coopération avec l’adversaire et l’ami à la fois. «Aujourd’hui,
Samir a un problème avec la Justice et doit affronter de grands
dossiers judiciaires, pour la raison qu’il n’a pas foi en la paix. D’autres
que lui ont livré leurs armes, alors qu’il a conservé sa
machine de guerre qui a continué à fonctionner au double
plan militaire et sécuritaire. Je n’ai pas à le juger, ni
à justifier son comportement; il a pris sa décision et assume
ses conséquences».
- Vous parlez de lui en évoquant son prénom, ce qui
dénote un certain sentimentalisme: seriez-vous attiré vers
cet homme par un lien sentimental, comme c’était le cas au temps
où vous vous trouviez dans le même camp?
«Je respecte toute personne ayant combattu pour ses convictions
et moi aussi j’ai connu des revers à une certaine période».
JE N’ACCUSE PAS GEAGEA DE MES REVERS
- Le considérez-vous comme responsable de ces revers?
«Non, j’estime que j’en étais la cause, en ce sens que
j’ai payé le prix d’une décision déterminée
que j’avais prise, conformément à mes convictions personnelles.
J’avais pris une option et j’en ai assumé les conséquences».
- L’impression générale est que les procès intentés
au Dr Geagea revêtent un caractère politique, d’autant que
les «émirs de la guerre» sont maintenant au pouvoir...
«Ce n’est pas exact. Le Dr Geagea avait été nommé
ministre, mais il n’a pas voulu faire partie du Cabinet. On lui a demandé
de désigner une personne de sa part et il s’est exécuté.
On a continué à traiter avec lui en tant que personnalité
politique. Des portes non-libanaises, syriennes notamment, lui ont été
ouvertes. Il n’a pas voulu s’y engager. Puis, il y a eu l’affaire de l’attentat
contre l’église Notre-Dame de la Délivrance à Zouk,
suivie d’autres explosions».
- Le Dr Geagea a été blanchi de l’at-tentat perpétré
contre l’église...
«Non il a été acquitté faute de preuves. Puis,
il n’a pas nié tout rapport avec cette affaire. En définitive,
un organisme relevant de ses services de renseignements a disparu. Pourquoi
ne demande-t-il pas à Ghassan Touma de revenir?»
- Du moment que Touma est impli-qué dans cette affaire, pourquoi
ne pas demander à l’Interpol de le rapatrier?
On sait qu’il a pris part au congrès des Forces libanaises à
Paris et se déplace à sa guise sans être inquiété
par qui que ce soit? «Peut-être qu’à l’étranger,
on le considère sous un autre angle ou qu’il leur a rendu service
de quelque manière que ce soit... Laissons donc à la Justice
le soin de se prononcer sur les affaires dont elle est saisie».
SA RéPONSE à L’«EVÉNEMENT
DU JEUDI»
- La revue française «L’Evénement du jeudi»
vous a consacré dans sa livraison du 22/6/95 un long article vous
classant parmi six personnes ayant un passé riche en opérations
armées et assassinats, vivant loin de la Cour internationale de
Justice. La revue a ajouté que vous êtes devenu ministre dans
votre pays et vous a impliqué dans les massacres de Sabra et Chatila.
La censure libanaise a supprimé ce passage de l’article et vous
avez demandé à le maintenir. Qu’auriez-vous à dire
à ce sujet?
«Je n’ai pas honte de mon passé. J’ai participé à
la guerre et je devais, normalement, y prendre part. J’ai nié ma
participation à Sabra et Chatila, mais j’avoue avoir accompli certains
faits. D’aucuns me jugent et me con-damnent, alors que je considère
avoir accompli mon devoir. «Je dirais, enfin, que de pareils articles
ne me font pas peur, car ils ne changent rien à la réalité.
Les faits que la revue française évoque sont mainte-nant
du passé». - Que retenez-vous de la guerre libanaise? «Je
me suis trouvé avec toute une génération dans la fournaise
dont nous avons été la victime. Aujourd’hui, mon devoir consiste
à changer les données et les circonstances ayant mené
le pays aux douloureux événements. «Qu’attendez-vous
de jeunes âgés de 18 à 20 ans face à la guerre?
Ils sont devant l’alternative suivante: participer ou fuir et se cacher.
J’ai été de ceux qui se sont dressés contre les événements
qui nous étaient imposés; d’autres ont préféré
se mettre à l’abri.
Dois-je être jugé pour avoir porté les armes
et qui est habilité à me juger?
«La manière dont nos anciens hommes politiques ont géré
le pays ont débouché sur la guerre civile qui ne devait pas
éclater s’ils avaient agi d’une manière différente,
en écoutant la voix de la sagesse et de la raison».
(Propos recueillis par HODA CHEDID)
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