LA DÉMOCRATIE, UNE AFFAIRE YÉMÉNITE
Melhem Karam: - Auriez-vous désiré, M. le président,
adresser un message à l’Occident, à travers l’isolement des
symboles des islamistes au cours des élections pour provoquer leur
échec, surtout dans les grandes villes: Sanaa, Taëz, Aden et
Hodeida?
Croyez-vous, après les résultats des élections du
27 avril dernier, que le message soit arrivé à ses destinataires,
surtout aux Américains?
Président Ali Saleh: “Il n’y a pas eu de messages à qui que
ce soit... La démocratie est une affaire yéménite,
même si nous profitons des expériences des autres; notamment
des Etats évolués, tels l’Amérique, les pays d’Europe
et beaucoup de pays arabes comme le Liban. “Nous profitons, également,
de nos précédentes expériences. Ainsi, nous avons
eu une expérience électorale en 1993, que nous avons améliorée
lors des élections de 97. Cette expérience a suscité
l’intérêt de bien des pays et bénéficié
de l’appui de la communauté internationale. “La démocratie
n’est pas un message à l’Occident ou à l’Amérique,
mais une affaire intéressant le peuple yéménite. Nous
avons constaté un appui américain, européen et international,
surtout avec la présence d’un grand nombre d’observateurs internationaux
se réclamant d’organisations gouvernementales et non gouvernementales,
en plus des divers moyens d’information arabes et étrangers”.
DOUZE PARTIS POLITIQUES ÉTAIENT EN LICE
Melhem Karam: - Etes-vous intervenu en vue d’unifier l’électorat
et corriger le fonctionnement des institutions?
Président Saleh: “Douze partis politiques ont pris part aux
élections, en plus d’un grand nombre de candidats indépendants
dans un climat d’émulation honorable. Le congrès a bénéficié
d’une majorité, doublée d’une pluralité politique.
“Quiconque obtient la majorité, peut assumer seul la responsabilité
ou la partager avec d’autres, s’il le veut. Le congrès dispose d’une
majorité confortable et la nécessité d’une coalition
ne s’est pas fait sentir, sauf avec le parti de la Réforme ou tout
autre parti. Le congrès a donc assumé sa responsabilité
devant les électeurs et le peuple, afin de réaliser les promesses
consignées dans son programme électoral”.
Melhem Karam: - Estimez-vous avoir réalisé votre troisième
succès stratégique depuis votre accession au pouvoir en 1978?
Votre première victoire internationale a consisté en l’unification
des deux Yémen par le dialogue et la seconde par l’éviction
du parti socialiste par la guerre; puis, par l’isolement des islamistes
aux élections. Que pensez-vous de cette lecture?
Président Saleh: “Nous avons affronté bien des difficultés,
surtout depuis la réunification de la patrie. Cependant, le peuple
yéménite a été capable de réaliser la
victoire de sa volonté, que ce soit par la révolution et
la sauvegarde de la république; par la réunification et sa
préservation ou par la consolidation de son expérience démocratique.
“Nous considérons que le succès aux élections de 97
a constitué le second référendum sur l’unité
du Yémen, celle-ci s’étant trouvée en butte à
des difficultés depuis le 22 mai 90 et jusqu’en 97”.
LE PARTI DU CONGRÈS N’ACCAPARE PAS LE
POUVOIR
Melhem Karam: - D’aucuns pensent que vous projetez d’édifier
“l’Etat du congrès” comme les Sudistes avaient édifié
“l’Etat socialiste” au temps de la séparation; “l’Etat du front
national islamique” à Khartoum; celui du Baas à Bagdad et
“l’Etat du FLN” en Algérie, précédemment. Serait-ce
exact?
Président Saleh: “Pas du tout. Si vous reconsidérez les
résultats des élections, vous constateriez que douze partis
y avaient pris part. Le parti du Congrès a obtenu cent quatre-vingt
six sièges; les indépendants disposent de cinquante-trois
sièges, le parti de la Réforme, de cinquante-quatre, le Baas,
de deux sièges et les Nassériens de trois. “Tout cela montre
qu’il n’y a pas de tentative d’accaparer le pouvoir à travers le
parti du Congrès ou de revenir à un système totalitaire
que nous rejetons, car les régimes qui l’avaient adopté ont
prouvé leur échec. Nous avons foi dans le pluralisme des
partis dans notre pays et si le parti de la Réforme avait obtenu
plus de sièges, il aurait fait partie de la coalition. Si le parti
socialiste avait réussi dans sa campagne et n’avait pas boycotté
le scrutin, il aurait été un partenaire. “En observant la
formation du gouvernement, on constate qu’une personnalité indépendante
en assume la présidence, bien que le parti du Congrès dispose
de cadres. Mais il a préféré faire appel à
une personnalité indépendante. Le ministre des Wakfs se réclame
du parti du Droit, alors qu’un certain nombre d’indépendants détiennent
des portefeuilles ministériels. Le parti du Congrès n’a donc
pas l’intention d’accaparer le pouvoir comme d’aucuns se l’imaginent”.
ACCUSATIONS FALLACIEUSES
Melhem Karam: - Le rassemblement yéménite pour la
Réforme que préside cheikh Abdallah Ben Hussein Al-Ahmar
a dénoncé le fait pour le congrès populaire d’avoir
eu recours aux “pressions, aux menaces et au terrorisme” au cours des élections,
aux fins de disposer de la majorité des sièges au parlement.
Qu’auriez-vous à répondre à ces accusations?
Président Saleh: “Dans le cadre de la campagne électorale
tout est possible et permis. Le congrès a pu s’engager dans les
élections avec un mécanisme excellent et a profité
du mécanisme précédent adopté lors des élections
de 93. De cette manière, il est parvenu à disposer d’une
majorité confortable”.
Melhem Karam: - Cheikh Al-Ahmar dit encore que la précédente
expérience gouvernementale a été amère, les
ministres du parti de la Réforme s’étant transformés
en fonctionnaires au service de leurs collègues du parti du Congrès.
Les ministères détenus par des représentants du parti
de la Réforme n’ont pas eu droit à des prévisions
budgétaires, ce qui lui a fait perdre ses bases et n’a rien obtenu
en contre-partie...
Président Saleh: “Les frères du parti de la Réforme
étaient des partenaires fondamentaux au sein du Cabinet. Ils disposaient
des mêmes prérogatives que les autres membres du gouvernement,
mais leur expérience du pouvoir était limitée. Ils
n’ont donc pas pu gérer à la perfection leurs départements
respectifs, bien que nul ne doute de leur loyalisme à la patrie.
“Le fait est qu’ils se sont occupés d’organiser les cadres de leur
parti et de placer certains de ses membres au ministère de la Santé,
de la Pêche, de l’Eau et de l’Electricité. Leur faiblesse
leur a donné l’impression d’être combattu. Puis, il n’est
pas exact que des prérogatives auraient été accordées
à une partie aux dépens de l’autre.”
PAS DE TENDANCE SÉPARATISTE
Melhem Karam: - Comment allez-vous mettre fin aux aspirations régionalistes
dans les provinces du sud et séparatistes au sein de certaines collectivités
à Hadramout?
Président Saleh: “ Ceci n’est pas vrai. Le Yémen s’est
unifié dans sa totalité et nul ne songe plus à opter
pour le séparatisme ou la régionalisation. Ce sont des rumeurs
que propagent les ennemis de l’unité qui s’est raffermie. C’est
une grâce qui apporte le bien à tout le peuple yéménite.
Je vous ai dit, au début de notre entretien, que l’organisation
des élections à la date fixée, soit le 27 avril, a
constitué en elle-même un autre référendum sur
l’unité à laquelle notre peuple est fermement attaché,
car elle est son destin.”
Melhem Karam: - La présence des partis socialiste et de la
Réforme ensemble dans une tranchée opposée à
la vôtre, vous inquiète-t-elle? Comment jugez-vous le boycottage
socialiste des élections? A-t-il voulu se solidariser avec ses leaders
ayant fui à l’étranger ou s’opposer aux poursuites judiciaires
engagées contre leurs seize dirigeants? Puis, l’absence des socialistes
n’affecte-t-elle pas la démocratie, la rendant incomplète?
Président Saleh: “Non. Nous disons que l’opposition est l’autre
face du pouvoir dans le régime politique démocratique. Il
n’y a pas une mauvaise compréhension du rôle de l’opposition,
ni une intention de la combattre. Au contraire, celle-ci est utile aux
gouvernants et au pouvoir, car elle peut exercer sa tâche à
travers la critique constructive en vue de rectifier la déviation
et de mettre en garde contre les erreurs. “La relation entre le pouvoir
et l’opposition doit être une relation de coopération et de
complémentarité dans l’intérêt général.
“En ce qui concerne le parti socialiste, il a opté pour l’isolement
quand il a perpétré un crime, en favorisant la guerre, s’est
séparé de l’Etat et a boycotté les élections.
Rien ne l’empêche d’exercer son activité politique dans le
cadre de la loi et de la Constitution.”
À PROPOS DE L’AMNISTIE DES LEADERS SOCIALISTES
Melhem Karam: - Beaucoup s’attendent à vous voir amnistier
les leaders du parti socialiste poursuivis à l’occasion de la victoire
du parti du congrès aux élections...
Président Saleh: “Attendons la fin du procès en cours;
nous déciderons, ensuite, de l’attitude à adopter à
leur égard”.
Melhem Karam: - Qu’est-ce qui empêche le retour de certains
symboles socialistes ne figurant pas sur la “liste des 16”?
Est-il possible de traiter la crise politique engendrée par la guerre
de l’été 1994 sans ce retour, considéré par
certains comme un prélude à l’instauration de la stabilité
totale?
Président Saleh: “Personne ne s’oppose au retour des symboles du
parti socialiste, à part ceux dont les noms figurent sur la “liste
des 16”. Effectivement, beaucoup d’entre eux sont revenus et ont touché
leur dû, même ceux de leurs camarades restés à
l’étranger. “A vrai dire, ils perçoivent ailleurs des sommes
plus importantes qui les incitent à demeurer loin de la patrie,
car ils réalisent plus de bénéfices matériels.”
Melhem Karam: - Vous dites, M. le président, qu’en tête
de votre ordre des priorités s’inscrivent l’édification d’un
Etat yéménite moderne, la poursuite des réformes économiques
et administratives et le renforcement de la sécurité. Ne
croyez-vous pas que ce programme dépasse les capacités de
votre pays? Quels sont les premiers pas dans le parcours des mille miles?
Président Saleh: “Rien n’est impossible quand les intentions
sont saines et sincères.”
PLUS D’ENLÈVEMENT D’ÉTRANGERS...
Melhem Karam: - Durant la période post-électorale,
la série d’enlèvements de ressortissants étrangers
s’est poursuivie dans plusieurs régions yéménites.
Comment avez-vous traité les séquelles de ces kidnappings?
Président Saleh: “Il n’y a pas eu d’enlèvement d’étrangers
après les élections. Ceci s’est produit avant la consultation
populaire à des fins de sabotage et tous les enlèvements
ont connu un heureux épilogue. “L’Etat n’hésite pas à
prendre les mesures voulues pour préserver la sécurité
et la paix civile, contre quiconque s’aviserait de les compromettre”.
Melhem Karam: - La Presse occidentale fait état d’un nombre
illimité d’Afghans arabes ayant cherché refuge au Yémen
et y résidant depuis 1991-92 d’une manière illégale.
Comment traitez-vous ce dossier et livrez-vous les personnes dont le pays
réclame l’extradition?
Président Saleh: “Il n’existe pas d’Afghans arabes au Yémen
qui ne tolère la présence sur son territoire d’aucun élément
extrémiste, quel qu’il soit”.
Melhem Karam: - Disposez-vous d’un plan instituant un contrôle
plus strict sur les mosquées et les écoles religieuses, afin
que les premières ne se transforment pas en tribunes politiques
et, les secondes, en centre de formation d’extrémistes du fondamentalisme?
Jusqu’à quel point seriez-vous disposé à reconsidérer
l’appui financier à ces établissements? Président
Saleh: “Ces questions seront traitées par le gouvernement. Il les
inscrira dans son programme à soumettre au parlement, définissant
sa nouvelle politique dans tous les aspects de la vie politico-socio-culturelle”.
CONTRE TOUTES LES FORMES D’EXTREMISME
Melhem Karam: - On dit que Oussama Ben Laden, l’un des promoteurs
du “Jihad” (guerre sainte) menace de quitter le lieu de sa résidence
à l’est de l’Afghanistan, pour regagner les montagnes du Yémen
où il a des bases. Lui permettrez-vous de s’établir dans
votre pays?
Président Saleh: “Comme je vous l’ai déjà dit,
le Yémen est contre l’extrémisme sous toutes ses formes.
En ce qui concerne Oussama Ben Laden, nous ne lui permettrons pas de venir
dans notre pays où il n’a ni bases, ni lien avec les Yéménites”.
Melhem Karam: - Pourquoi croyez-vous que le discours politique du
parti de la Réforme et plus précisément, celui d’Al-Salfi
a échoué? Cela signifie-t-il que dans leur écrasante
majorité, les Yéménites aspirent à un Etat
moderne?
Président Saleh: “Les fils du Yémen, toutes tendances
politiques confondues, aspirent à l’édification d’un Etat
yéménite moderne basé sur la liberté, la justice,
l’ordre et la loi”.
Melhem Karam: - Quelle est votre politique à l’égard
des juifs yéménites ayant émigré en Israël
et leur permettez-vous de revenir à “Saada” et “Rida” pour rendre
visite à leurs parents? Autorisez-vous les juifs de “Saada” à
visiter Israël? Qu’en est-il de la rumeur selon laquelle des Israéliens
seraient venus au Yémen, sous prétexte de visiter leurs familles?
Président Saleh: “Ce sont des rumeurs infondées, d’autant
qu’il n’existe pas de politique ou de tendance officielle permettant à
des Israéliens de venir au Yémen, ni aux juifs yéménites
de se rendre en Israël. Bien que ces derniers voyagent partout, aux
Etats-Unis, en Europe et ailleurs, à l’instar des citoyens yéménites.
Ils jouissent de tous les droits et ont des obligations en vertu de la
Constitution”.
Melhem Karam: - L’aile idéologique d’Al-Salfi au parti de
la Réforme, adopte des positions fermes et radicales. La nouvelle
autorité émanant des élections tolère-t-elle
ce genre d’opposition?
Président Saleh: “Nous ignorons l’existence d’une aile d’Al-Salfi
au sein du parti de la Réforme et considérons que le Rassemblement
yéménites de la Réforme groupe des personnalités
politiques et sociales de différentes tendances; nous n’établissons
pas de classification de la façon que vous mentionnez”.
Melhem Karam: - La prolifération des armes dans la société
yéménite inquiète les Occidentaux. Envisagez-vous
d’élaborer des lois visant à réglementer le port d’armes,
dans le cadre de vos initiatives tendant à moderniser la société
yéménite?
Président Saleh: “Ceci s’inscrira dans le programme du nouveau
gouvernement, en vue de mettre fin à la prolifération des
armes, surtout à l’intérieur des villes principales”.
CONFIANCE ABSOLUE DANS LE GOUVERNEMENT
Melhem Karam: - Monsieur le Président, vous parlez du gouvernement
avec satisfaction. Etes-vous satisfait du choix du nouveau chef du gouvernement?
Serait-il habilité à exécuter vos réformes
dans la prochaine étape?
Président Saleh: “Sans nul doute, le choix du frère,
le Dr Faraj Ben Ghanem pour la présidence du Conseil, découle
d’une confiance absolue, car il est apte à assumer cette responsabilité
et à exécuter la politique générale de l’Etat,
dans le cadre des efforts déployés à l’effet d’édifier
un Etat yéménite moderne où règneraient l’ordre
et la loi. Ceci s’inscrira en tête de l’ordre des priorités
du Cabinet qui s’emploiera à traiter les différents problèmes
d’ordre politique, économique, culturel et social”.
Melhem Karam: - Où en sont les mesures de modernisation et
de rééquipement des armées, surtout après les
événements dont les îles Honeich ont été
le théâtre?
Président Saleh: “Nous accordons une grande attention au renforcement
de la capacité défensive des forces armées, dans le
cadre de l’intégration de tout ce qui est nouveau et moderne, comme
des possibilités modestes dont dispose notre pays”.
YEMEN - ARABIE-SEOUDITE
Melhem Karam: - Vous aspirez à ouvrir une nouvelle page dans
les relations avec l’Arabie séoudite, sur base de l’entente et du
principe de bon voisinage. Est-il possible d’accélérer l’action
des commissions des frontières plus que par le passé et comptez-vous
effectuer une visite au royaume?
Président Saleh: “Les relations séoudo-yéménites
se développent et évoluent. En fait, elles sont, aujourd’hui,
meilleures qu’au lendemain de la seconde guerre du Golfe. Le Dr Al-Iriani
s’est rendu, dernièrement, en Arabie séoudite à l’effet
de réactiver les commissions et les porter à s’acquitter
avec plus de célérité de leur mission et, aussi, pour
préparer la visite que nous nous proposons de rendre à S.M.
le roi Fahd et aux autres responsables du royaume”.
Melhem Karam: - Comment qualifiez-vous vos relations avec S.M. le
roi Fahd?
Président Saleh: “Des relations personnelles excellentes me
lient à mon frère, le roi Fahd”.
Melhem Karam: - Pourquoi le Yémen n’adhère-t-il pas
au Conseil de coopération du Golfe, alors qu’il a frappé
à sa porte plus d’une fois?
Président Saleh: “Nous avons évoqué, précédemment,
ce sujet. La demande d’adhésion a été présentée
partant de la position du Yémen, de sa proximité des Etats
membres du CCG et en tant qu’Etat faisant partie de la presqu’île
arabique. “Nous considérons ce rassemblement comme ayant un caractère
régional, auquel tout Etat de la région doit prendre part.
Nous avons présenté la demande d’adhésion et laissons
aux pays membres toute latitude de prendre la décision adéquate.
Le Yémen n’est pas pressé et lorsque les frères dans
les Etats membres du CCG jugeront le moment opportun pour admettre le Yémen,
rien ne nous empêchera d’y adhérer”.
QUID DE L’ADHÉSION AU CCG?
Melhem Karam: - Comment avez-vous dépassé les séquelles
ayant résulté de votre alignement sur l’Irak lors de la seconde
guerre du Golfe? La réserve quant à votre adhésion
au CCG a-t-elle quelque rapport avec ces séquelles?
Président Saleh: “Notre position lors de la crise du Golfe était
claire: nous avons condamné l’invasion irakienne du Koweit et préconisé
une solution pacifique de la crise, loin des ingérences extérieures
dans la région. Telle était la politique du Yémen
en ce qui a trait à la crise du Golfe”.
Melhem Karam: - Où en est l’arbitrage dans l’affaire des îles
Honeich occupées par l’Erythrée? Etes-vous rassuré
quant à l’évolution de l’affaire et quelle serait votre attitude
si Asmara refusait de souscrire à l’arrêt de l’organisme d’arbitrage?
Président Saleh: “L’arbitrage se déroule conformément
à l’accord établi et nous respecterons les décisions
de l’organisme chargé de trancher le conflit”.
Melhem Karam: - Allez-vous participer au sommet de l’Organisation
de la conférence islamique (OCI) à Téhéran
en décembre prochain? Qu’attendez-vous de ces assises par rapport
aux problèmes du monde islamique, en tête desquels ceux de
Jérusalem, du Golan et du Liban-Sud?
Président Saleh: “Nous n’hésiterons pas à prendre
part à tout sommet islamique ou arabe. Nous participerons donc au
sommet de Téhéran et souhaitons qu’il réponde aux
aspirations de la nation islamique.”
Melhem Karam: - La victoire de Khatami et l’échec de son concurrent,
Ali Nategh Nouri laisse-t-elle supposer un changement dans la politique
iranienne?
Président Saleh: “Nous en parlerons au moment voulu. L’homme
peut juger une telle politique, à travers le programme du nouveau
gouvernement iranien, à l’ombre du président élu,
M. Khatami.”
Melhem Karam: - Comment évaluez-vous les relations yéméno-américaines
actuelles?
A Washington, réagit-on favorablement à vos requêtes
relatives à l’aide et aux investissements après avoir adopté
la mondialisation, l’économie de marché, la démocratie
et l’initiative privée? Président Saleh: “Nos relations avec
les Etats Unis sont excellentes et la coopération est établie
entre nous. Les firmes américaines affluent de temps à autre
au Yémen”.
LES RELATIONS ENTRE PARIS ET SANAA
Melhem Karam: - Une spécificité caractérise
les relations entre Sanaa et Paris: dans quels domaines la coopération
s’exerce-t-elle le mieux entre les deux capitales et qu’attendez-vous du
président Chirac?
Président Saleh: “Les relations entre le Yémen et la
France sont excellentes et les prises de position du président Chirac
envers les Arabes, positives. “Nous apprécions cette politique équilibrée
et rationnelle qui jouit du respect du monde arabe.”
Melhem Karam: - Vous donnez la priorité aux réformes
économiques. Comment les poursuivez-vous sans qu’elles aient leur
impact sur les citoyens, surtout après la levée partielle
du soutien sur les produits fondamentaux? Préférez-vous négocier
avec le FMI en vue d’un différé d’amortissement?
Président Saleh: “La première préoccupation de
notre pays est de traiter le volet économique et le programme gouver-nemental
prévoit le renforcement des efforts en vue de la réforme
économique, financière et administrative, dans l’idée
de relever le standing de vie des citoyens, de consolider l’économie
nationale et de réactiver le processus du développement”.
Melhem Karam: - Sur quelles ressources le gouverne-ment table-t-il son
action à l’effet de réaliser le dévelop-pement souhaité?
Président Saleh: “Le pétrole et le gaz viennent en tête,
suivis de la pêche, de l’agriculture, de l’industrie et du tou-risme”.
LES GRANDS DÉFIS À RELEVER
Melhem Karam: - Les grands défis que votre gouverne-ment
doit affronter sont, dit-on, la corruption, le clienté-lisme et
la réforme administrative: la situation générale permet-elle
des opérations “chirurgicales” sans que cela provoque des secousses
et des crispations?
Président Saleh: “Nous avons entrepris depuis un an d’ap-pliquer
le programme de la réforme financière et administrative qui
a donné d’excellents résultats. “Le gouvernement se préoccupe,
par-dessus tout, de mettre fin à l’anarchie administrative et d’éradiquer
la corruption provenant de la crise et de la guerre, le parti socialiste
ayant perturbé la situation en vue de compromettre l’unité
de la patrie”.
Melhem Karam: - Quelle est la part des recettes pétrolières
du revenu national?
Et quelle est l’ampleur des découvertes de nouveaux gisements
pétrolifères? Président Saleh: “Les recettes du secteur
pétrolier demeurent modestes dans notre pays. Aussi, procédons-nous
à des prospections intensives en vue de localiser de nouvelles ressources
dans les domaines du pétrole et du gaz; les résultats de
nos recherches sont encourageants, surtout dans le domaine du gaz.”
Melhem Karam: - Quels sont les signes et caractéris-tiques
les plus importants marquant la troisième étape des réformes?
Quel est le volume des investissements étrangers au Yémen
et dans quels secteurs? Et quel est votre pari sur le port d’Aden après
les changements survenus dans l’environnement au plan régional?
Président Saleh: “D’abord, il n’y a pas de troisième
étape dans le programme de réforme économique et les
inves-tissements suivent une courbe ascendante dans notre pays. Ils sont
excellents et la loi qui les régit accorde de grands privilèges
et facilités aux investisseurs. Ces investissements sont attirés,
par ordre d’importance, par le secteur pétrolier, l’industrie, le
tourisme, l’agriculture, la richesse poissonnière et la zone franche.
“Nous parions sur le port d’Aden, dans l’espoir qu’il donnera des résultats
favorisant les investissements, spécialement dans la zone franche
de cette ville au profit de l’économie nationale”.
Melhem Karam: - Le peuple est-il satisfait de la réali-sation
de l’unité et l’organisation des élections générales?
Président Saleh: “Naturellement, le peuple yéménite
est heureux de jouir de l’unité et des résultats des élections,
comme il célèbre avec joie le septième anniversaire
de la république yéménite, alors que de grandes réalisations
ont été accomplies, celles-ci ayant mis en échec tous
les paris sur l’avortement de l’unité et de la démocratie”.
NOUS SOUHAITONS PROGRÈS ET PROSPÉRITÉ
AU LIBAN
Melhem Karam: - Que pensez-vous de la situation au Liban?
Président Saleh: “Le Liban est un pays frère à
qui nous souhaitons plus de prospérité et de progrès.
Je constate qu’il est, aujourd’hui, dans une situation meilleure que précédemment.
Il reste encore à trancher le problème du Liban-Sud que nous
suivons de près, car il représente un grand souci arabe et
les partenaires arabes du Liban lui souhaitent plus de sérénité”.
Melhem Karam: - On avait envisagé d’associer la femme yéménite
aux charges officielles après sa victoire aux élections;
puis, cette éventualité s’est volatilisée: le temps
n’est-il pas venu de confier à la Yéménite un portefeuille
ministériel?
Président Saleh: “La femme au Yémen jouit d’une bonne
position et est présente dans les différentes institutions
étatiques. S’il plaît à Dieu, elle aura la chance de
disposer d’une place au Conseil des ministres dans un proche avenir”.
Melhem Karam: - Croyez-vous que la pratique démo-cratique
vaudra à Sanaa une assistance économique accrue de l’Occident?
Président Saleh: “Nous le souhaitons”.
LIBERTÉ GARANTIE À L’OPPOSITION
Melhem Karam: - Quel est le poids de l’opposition après les
élections et lui assurez-vous l’entière liberté dans
son action politique?
Président Saleh: “La Constitution et la loi lui garantissent
cette liberté, car elle est une partie complémentaire du
pouvoir. Aussi, obtiendra-t-elle tout l’appui et la protection, de manière
à raffermir notre expérience démocratique dans l’intérêt
national.”
Melhem Karam: - L’organisation mondiale du Tourisme a tenu, dernièrement,
sa quinzième réunion régionale à Sanaa: quel
est le rôle du tourisme dans l’économie yé-ménite?
Président Saleh: “Nous le considérons comme l’une de
ses principales sources de revenus. Cependant, ces derniers restent modestes
dans notre pays à l’heure actuelle, par rapport à ceux de
certains Etats frères, en dépit de nos énormes possibilités
touristiques. “Le Yémen est un pays touristique et nous espérons
qu’à l’avenir le tourisme y jouera un rôle positif au niveau
du développement.”
Melhem Karam: - Des observateurs détectent les pré-mices
du retour de l’Arabie heureuse à l’orée du XXIème
siècle, après l’amélioration de la situation économique
et intérieure d’une manière générale et le
début d’exploitation des nouveaux gisements pétrolifères.
Quelles sont vos prévisions à ce sujet?
Président Saleh: “Nous le souhaitons, s’il plaît à
Dieu et aspirons que notre pays réalise une évolution qualitative
vers le XXIème siècle, après qu’il eut surmonté
toutes les difficultés au plan politique intérieur, de la
sécurité, consolidé les fondements de l’unité
et du système démocratique.”
RELATIONS AU POINT MORT AVEC LE KOWEIT
Melhem Karam: - Y a-t-il des indices d’amélioration quant
aux relations koweito-yéménites?
Président Saleh: “Elles font du sur-place. Mais il n’existe,
de la part du Yémen, aucune réserve quant à la normalisation
de ses relations avec les frères du Koweit. Ce sont eux qui restent
sur leur réserve, en dépit de l’existence d’une représentation
diplo-matique koweitienne à Sanaa à l’échelon du chargé
d’Affaires, alors que le Yémen n’est pas représenté
à Koweit.”
Melhem Karam: - Après le gel de l’opération de paix,
la conjoncture arabe a-t-elle besoin d’un nouveau sommet ou bien suffit-il
d’appliquer les résolutions du sommet du Caire?
Président Saleh: “Il faut commencer par appliquer ces résolutions.
Quant à tout nouveau sommet, il nécessite une préparation
saine, afin que ses décisions soient efficaces.”
Melhem Karam: - Considérez-vous que le président Hosni
Moubarak a un rôle constructif dans l’opération de paix?
Président Saleh: “Nous observons non sans intérêt
le rôle positif dont s’acquitte le président Moubarak. D’ailleurs,
l’Egypte en plus de son rôle, jouit d’un grand prestige au niveau
tant de la région que de la communauté internationale.”
Melhem Karam: - Et qu’en est-il du rôle du président
Hafez Assad?
Président Saleh: “Il a, également, un rôle positif
et a besoin d’un soutien arabe afin que la position du négociateur
syrien soit plus forte qu’elle ne l’est actuellement.”
HOSTILITÉ TURQUE?
Melhem Karam: - Comment expliquez-vous l’attitude hostile de la
Turquie à l’égard des Arabes et son alliance suspecte avec
Israël?
Président Saleh: “Nous déplorons la position adoptée
par la Turquie, que ce soit sa violation de la souveraineté irakienne
ou son alliance avec l’Etat hébreu aux dépens de la sécurité
nationale arabe. Il importe que tous les Arabes adoptent à son égard
une attitude sérieuse, d’autant que la Turquie a de grands intérêts
avec eux. Elle ne peut violer, impunément, la souveraineté
d’un Etat arabe, sans que les partenaires de ce dernier élèvent
la voix pour dénoncer le comportement d’Ankara qui a exploité
la faiblesse de l’Irak et l’attitude hostile à son égard
de la communauté internationale.”
Melhem Karam: - Quelle est la signification de la visite d’une délégation
syrienne à Bagdad?
Président Saleh: “Nous la considérons comme un pas sérieux
sur la voie de l’amélioration des relations syro-irakiennes; c’est
la position saine qui va dans le sens du rétablissement de la solidarité
arabe que nous souhaitons tous.”
Melhem Karam: - Etes-vous persuadé du sérieux d’Israël
quant à l’opération de paix, Netanyahu étant intransigeant,
au point de ne pas vouloir en discuter?
Président Saleh: “J’ai beaucoup parlé du degré
de sérieux d’Israël par rapport à l’opération
de paix. A mon avis, il n’est pas sérieux à ce propos, d’autant
qu’il bénéficie d’un grand appui américain, résultant
de ses appréhensions quant à sa présence dans un environnement
arabe hostile. Il croit qu’en réalisant la paix juste et globale
dans la région, il sera privé de ses intérêts
et, partant, cela lui fera perdre le soutien matériel américain
généreux sur lequel il compte.”
L’AVENIR DE JÉRUSALEM
Melhem Karam: - Croyez-vous qu’une intervention ferme et sérieuse
de la part du “parrain” américain peut relancer les négociations
gelées depuis près d’un an et raviver l’opération
de paix?
Président Saleh: “Nul ne peut influencer Israël autant
que l’Amérique qui peut seule exercer des pressions sur l’Etat hébreu
afin de l’amener à reprendre les pourparlers.”
Melhem Karam: - Comment imaginez-vous l’avenir de Jérusalem
qui intéresse les trois religions célestes: son partage en
capitales de deux Etats (palestinien et israélien) résoudra-t-il
la crise?
Président Saleh: “Nous aspirons à ce que la Ville sainte
revienne au statut qui était le sien avant 1967.”
Melhem Karam: - La situation en Algérie est douloureuse pour
tous les Arabes: quelle en sera l’issue?
Président Saleh: “Nous suivons non sans douleur et regret ce
qui se passe dans ce pays frère. Aussi, souhaitons-nous que nos
frères algériens dépassent cette dure épreuve
par la sagesse et la raison. Nul à l’étranger ne peut offrir
une solution à leur crise, car la solution est entre leurs mains”.
QUID DE L’IMPLANTATION?
Melhem Karam: - L’implantation est une idée israélienne
fixe et permanente et le fait pour Israël d’en proclamer l’arrêt
ne serait-il pas un leurre?
Président Saleh: “La perpétuation de l’implantation dans
les territoires arabes occupés est, en principe, un leurre pour
les Arabes et un torpillage de l’opération de paix, au moment où
les Arabes donnent la preuve de leur sérieux par rapport à
cette opération”. Melhem Karam:La situation au Soudan se perpétue
sans qu’apparaisse à l’horizon une possibilité de règlement:
considérez-vous la solution dans une réconciliation nationale,
suite à une initiative du président de l’Etat des émirats
arabes unis, cheikh Zayed Ben Sultan Al-Nahiane? Président Saleh:
“Les efforts de mon frère cheikh Zayed sont bénéfiques
et nous souhaitons qu’ils portent leurs fruits, en parvenant à convaincre
toutes les forces soudanaises à dépasser leurs différends,
à résoudre leurs problèmes pour instaurer la sécurité
et la stabilité au Soudan”.
LA COOPERATION TURCO-ISRAELIENNE
Melhem Karam: - Voyez-vous un danger pour la nation arabe dans la
coopération militaire turco-israélienne?
Président Saleh: “J’ai déjà dit que l’alliance
turco-israélienne est préjudiciable aux relations arabo-turques”.
Melhem Karam: - Gaza-Jéricho est-ce, à votre avis,
le cadre définitif de nos ambitions en tant qu’Arabes ou bien y
a-t-il un espoir de disposer d’une terre plus vaste et d’une patrie plus
grande?
Président Saleh: “Nous nous attendons à la restitution
de tous les territoires arabes occupés et à l’application
des résolutions de la légalité internationale. “Quant
à Gaza-Jéricho, il ne sied pas, naturellement, à toutes
nos ambitions en tant qu’Arabes”.
PROCHAINE TOURNEE A L’ETRANGER
Melhem Karam: - Monsieur le Président, on constate que vous n’effectuez
pas fréquemment des déplacements à l’étranger:
maintenant que vous en avez fini avec les élections et après
la formation du gouvernement, envisagez-vous de visiter, en premier lieu,
les Etats arabes frères et, peut-être, des Etats européens
disposés à aider le Yémen? Croyez-vous que ces visites
soient importantes pour le Yémen, politiquement et économiquement?
Président Saleh: “S’il plaît à Dieu, je me propose
de me rendre cette année en Arabie séoudite, en Allemagne,
en Chine et au Japon”. Melhem Karam: - Comment qualifiez-vous vos relations
avec la Russie et la Chine? Président Saleh: “Excellentes”.
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