RENCONTRE AVEC LE CHEF DE L’ÉTAT YÉMÉNITE ALI ABDALLAH SALEH
À MELHEM KARAM: “NOUS N’AVONS PAS L’INTENTION D’ACCAPARER LE POUVOIR NI D’INSTITUER UN RÉGIME TOTALITAIRE, CAR NOUS AVONS FOI EN LA PLURALITÉ PARTISANE”


Le président Ali Abdallah Saleh à Melhem Karam:
“Tous les Arabes souhaitent voir le Liban recouvrer son unité et sa vitalité.”

Il refuse la répression, dénonce le recours à la violence et a foi dans le dialogue comme moyen de parvenir au but. Les réponses du président Ali Abdallah Saleh aux questions, si embarrassantes soient-elles, se caractérisent par un style doux qui ne rebute pas. Il vous prend par la main et vous achemine par ses réponses claires, de manière à vous mettre à l’aise, passant d’une idée à l’autre et d’une image à une autre image. Il pourrait aller au-delà de ce que vous souhaitez. Invétéré dans l’art de la politique, il se soucie de vous donner plus que vous n’imaginez et en dépit de cela, vous en demandez davantage. Sa façon d’agir est celle d’un interlocuteur ami, non d’un maître, d’un sermonneur ou d’un censeur. Ses réponses sont autant de termes éclectiques exprimant en toute simplicité ce qu’il ressent en son for intérieur. Le journaliste constate en s’entretenant avec le président Ali Abdallah Saleh, son souci de s’éloigner, dans la mesure du possible, de l’aspect officiel des rencontres, à l’instar de certains hommes d’Etat, pour se rapprocher le plus possible de la suavité de l’entretien. Le chef de l’Etat yéménite vous apparaît sous son vrai jour, en évoquant l’histoire de sa vie, depuis sa tendre enfance, jusqu’à l’âge mûr jouissant d’une gloire nationale, en passant par une jeunesse pas toujours heureuse. C’est un homme avenant, élaguant son discours de tout ce qui le rend ambigu. Ce qui vous frappe le plus en lui, c’est sa capacité au plan de la compréhension politique. Son œil fixe le soleil sans sourciller; ni défaitisme dans l’âme, ni morosité dans sa vision, mais une sérénité à toute épreuve, doublée d’un optimisme qui n’a cessé de s’affermir avec le temps, vivant dans la lumière et en pleine clarté. La rencontre a eu lieu au palais présidentiel, dans la région de Bir el-Azb, en présence de Abdo Borji, conseiller médiatique du président de la République, l’entretien ayant duré près de deux heures.


LA DÉMOCRATIE, UNE AFFAIRE YÉMÉNITE
Melhem Karam: - Auriez-vous désiré, M. le président, adresser un message à l’Occident, à travers l’isolement des symboles des islamistes au cours des élections pour provoquer leur échec, surtout dans les grandes villes: Sanaa, Taëz, Aden et Hodeida?
Croyez-vous, après les résultats des élections du 27 avril dernier, que le message soit arrivé à ses destinataires, surtout aux Américains?

Président Ali Saleh: “Il n’y a pas eu de messages à qui que ce soit... La démocratie est une affaire yéménite, même si nous profitons des expériences des autres; notamment des Etats évolués, tels l’Amérique, les pays d’Europe et beaucoup de pays arabes comme le Liban. “Nous profitons, également, de nos précédentes expériences. Ainsi, nous avons eu une expérience électorale en 1993, que nous avons améliorée lors des élections de 97. Cette expérience a suscité l’intérêt de bien des pays et bénéficié de l’appui de la communauté internationale. “La démocratie n’est pas un message à l’Occident ou à l’Amérique, mais une affaire intéressant le peuple yéménite. Nous avons constaté un appui américain, européen et international, surtout avec la présence d’un grand nombre d’observateurs internationaux se réclamant d’organisations gouvernementales et non gouvernementales, en plus des divers moyens d’information arabes et étrangers”.

DOUZE PARTIS POLITIQUES ÉTAIENT EN LICE
Melhem Karam: - Etes-vous intervenu en vue d’unifier l’électorat et corriger le fonctionnement des institutions?
Président Saleh: “Douze partis politiques ont pris part aux élections, en plus d’un grand nombre de candidats indépendants dans un climat d’émulation honorable. Le congrès a bénéficié d’une majorité, doublée d’une pluralité politique. “Quiconque obtient la majorité, peut assumer seul la responsabilité ou la partager avec d’autres, s’il le veut. Le congrès dispose d’une majorité confortable et la nécessité d’une coalition ne s’est pas fait sentir, sauf avec le parti de la Réforme ou tout autre parti. Le congrès a donc assumé sa responsabilité devant les électeurs et le peuple, afin de réaliser les promesses consignées dans son programme électoral”.

Melhem Karam: - Estimez-vous avoir réalisé votre troisième succès stratégique depuis votre accession au pouvoir en 1978? Votre première victoire internationale a consisté en l’unification des deux Yémen par le dialogue et la seconde par l’éviction du parti socialiste par la guerre; puis, par l’isolement des islamistes aux élections. Que pensez-vous de cette lecture?
Président Saleh: “Nous avons affronté bien des difficultés, surtout depuis la réunification de la patrie. Cependant, le peuple yéménite a été capable de réaliser la victoire de sa volonté, que ce soit par la révolution et la sauvegarde de la république; par la réunification et sa préservation ou par la consolidation de son expérience démocratique. “Nous considérons que le succès aux élections de 97 a constitué le second référendum sur l’unité du Yémen, celle-ci s’étant trouvée en butte à des difficultés depuis le 22 mai 90 et jusqu’en 97”.

LE PARTI DU CONGRÈS N’ACCAPARE PAS LE POUVOIR
Melhem Karam: - D’aucuns pensent que vous projetez d’édifier “l’Etat du congrès” comme les Sudistes avaient édifié “l’Etat socialiste” au temps de la séparation; “l’Etat du front national islamique” à Khartoum; celui du Baas à Bagdad et “l’Etat du FLN” en Algérie, précédemment. Serait-ce exact?
Président Saleh: “Pas du tout. Si vous reconsidérez les résultats des élections, vous constateriez que douze partis y avaient pris part. Le parti du Congrès a obtenu cent quatre-vingt six sièges; les indépendants disposent de cinquante-trois sièges, le parti de la Réforme, de cinquante-quatre, le Baas, de deux sièges et les Nassériens de trois. “Tout cela montre qu’il n’y a pas de tentative d’accaparer le pouvoir à travers le parti du Congrès ou de revenir à un système totalitaire que nous rejetons, car les régimes qui l’avaient adopté ont prouvé leur échec. Nous avons foi dans le pluralisme des partis dans notre pays et si le parti de la Réforme avait obtenu plus de sièges, il aurait fait partie de la coalition. Si le parti socialiste avait réussi dans sa campagne et n’avait pas boycotté le scrutin, il aurait été un partenaire. “En observant la formation du gouvernement, on constate qu’une personnalité indépendante en assume la présidence, bien que le parti du Congrès dispose de cadres. Mais il a préféré faire appel à une personnalité indépendante. Le ministre des Wakfs se réclame du parti du Droit, alors qu’un certain nombre d’indépendants détiennent des portefeuilles ministériels. Le parti du Congrès n’a donc pas l’intention d’accaparer le pouvoir comme d’aucuns se l’imaginent”.

ACCUSATIONS FALLACIEUSES
Melhem Karam: - Le rassemblement yéménite pour la Réforme que préside cheikh Abdallah Ben Hussein Al-Ahmar a dénoncé le fait pour le congrès populaire d’avoir eu recours aux “pressions, aux menaces et au terrorisme” au cours des élections, aux fins de disposer de la majorité des sièges au parlement. Qu’auriez-vous à répondre à ces accusations?
Président Saleh: “Dans le cadre de la campagne électorale tout est possible et permis. Le congrès a pu s’engager dans les élections avec un mécanisme excellent et a profité du mécanisme précédent adopté lors des élections de 93. De cette manière, il est parvenu à disposer d’une majorité confortable”.

Melhem Karam: - Cheikh Al-Ahmar dit encore que la précédente expérience gouvernementale a été amère, les ministres du parti de la Réforme s’étant transformés en fonctionnaires au service de leurs collègues du parti du Congrès. Les ministères détenus par des représentants du parti de la Réforme n’ont pas eu droit à des prévisions budgétaires, ce qui lui a fait perdre ses bases et n’a rien obtenu en contre-partie...
Président Saleh: “Les frères du parti de la Réforme étaient des partenaires fondamentaux au sein du Cabinet. Ils disposaient des mêmes prérogatives que les autres membres du gouvernement, mais leur expérience du pouvoir était limitée. Ils n’ont donc pas pu gérer à la perfection leurs départements respectifs, bien que nul ne doute de leur loyalisme à la patrie. “Le fait est qu’ils se sont occupés d’organiser les cadres de leur parti et de placer certains de ses membres au ministère de la Santé, de la Pêche, de l’Eau et de l’Electricité. Leur faiblesse leur a donné l’impression d’être combattu. Puis, il n’est pas exact que des prérogatives auraient été accordées à une partie aux dépens de l’autre.”

PAS DE TENDANCE SÉPARATISTE
Melhem Karam: - Comment allez-vous mettre fin aux aspirations régionalistes dans les provinces du sud et séparatistes au sein de certaines collectivités à Hadramout?
Président Saleh: “ Ceci n’est pas vrai. Le Yémen s’est unifié dans sa totalité et nul ne songe plus à opter pour le séparatisme ou la régionalisation. Ce sont des rumeurs que propagent les ennemis de l’unité qui s’est raffermie. C’est une grâce qui apporte le bien à tout le peuple yéménite. Je vous ai dit, au début de notre entretien, que l’organisation des élections à la date fixée, soit le 27 avril, a constitué en elle-même un autre référendum sur l’unité à laquelle notre peuple est fermement attaché, car elle est son destin.”

Melhem Karam: - La présence des partis socialiste et de la Réforme ensemble dans une tranchée opposée à la vôtre, vous inquiète-t-elle? Comment jugez-vous le boycottage socialiste des élections? A-t-il voulu se solidariser avec ses leaders ayant fui à l’étranger ou s’opposer aux poursuites judiciaires engagées contre leurs seize dirigeants? Puis, l’absence des socialistes n’affecte-t-elle pas la démocratie, la rendant incomplète?
Président Saleh: “Non. Nous disons que l’opposition est l’autre face du pouvoir dans le régime politique démocratique. Il n’y a pas une mauvaise compréhension du rôle de l’opposition, ni une intention de la combattre. Au contraire, celle-ci est utile aux gouvernants et au pouvoir, car elle peut exercer sa tâche à travers la critique constructive en vue de rectifier la déviation et de mettre en garde contre les erreurs. “La relation entre le pouvoir et l’opposition doit être une relation de coopération et de complémentarité dans l’intérêt général. “En ce qui concerne le parti socialiste, il a opté pour l’isolement quand il a perpétré un crime, en favorisant la guerre, s’est séparé de l’Etat et a boycotté les élections. Rien ne l’empêche d’exercer son activité politique dans le cadre de la loi et de la Constitution.”

À PROPOS DE L’AMNISTIE DES LEADERS SOCIALISTES
Melhem Karam: - Beaucoup s’attendent à vous voir amnistier les leaders du parti socialiste poursuivis à l’occasion de la victoire du parti du congrès aux élections...
Président Saleh: “Attendons la fin du procès en cours; nous déciderons, ensuite, de l’attitude à adopter à leur égard”.

Melhem Karam: - Qu’est-ce qui empêche le retour de certains symboles socialistes ne figurant pas sur la “liste des 16”?
Est-il possible de traiter la crise politique engendrée par la guerre de l’été 1994 sans ce retour, considéré par certains comme un prélude à l’instauration de la stabilité totale?

Président Saleh: “Personne ne s’oppose au retour des symboles du parti socialiste, à part ceux dont les noms figurent sur la “liste des 16”. Effectivement, beaucoup d’entre eux sont revenus et ont touché leur dû, même ceux de leurs camarades restés à l’étranger. “A vrai dire, ils perçoivent ailleurs des sommes plus importantes qui les incitent à demeurer loin de la patrie, car ils réalisent plus de bénéfices matériels.”

Melhem Karam: - Vous dites, M. le président, qu’en tête de votre ordre des priorités s’inscrivent l’édification d’un Etat yéménite moderne, la poursuite des réformes économiques et administratives et le renforcement de la sécurité. Ne croyez-vous pas que ce programme dépasse les capacités de votre pays? Quels sont les premiers pas dans le parcours des mille miles?
Président Saleh: “Rien n’est impossible quand les intentions sont saines et sincères.”

PLUS D’ENLÈVEMENT D’ÉTRANGERS...
Melhem Karam: - Durant la période post-électorale, la série d’enlèvements de ressortissants étrangers s’est poursuivie dans plusieurs régions yéménites. Comment avez-vous traité les séquelles de ces kidnappings?
Président Saleh: “Il n’y a pas eu d’enlèvement d’étrangers après les élections. Ceci s’est produit avant la consultation populaire à des fins de sabotage et tous les enlèvements ont connu un heureux épilogue. “L’Etat n’hésite pas à prendre les mesures voulues pour préserver la sécurité et la paix civile, contre quiconque s’aviserait de les compromettre”.

Melhem Karam: - La Presse occidentale fait état d’un nombre illimité d’Afghans arabes ayant cherché refuge au Yémen et y résidant depuis 1991-92 d’une manière illégale. Comment traitez-vous ce dossier et livrez-vous les personnes dont le pays réclame l’extradition?
Président Saleh: “Il n’existe pas d’Afghans arabes au Yémen qui ne tolère la présence sur son territoire d’aucun élément extrémiste, quel qu’il soit”.

Melhem Karam: - Disposez-vous d’un plan instituant un contrôle plus strict sur les mosquées et les écoles religieuses, afin que les premières ne se transforment pas en tribunes politiques et, les secondes, en centre de formation d’extrémistes du fondamentalisme?
Jusqu’à quel point seriez-vous disposé à reconsidérer l’appui financier à ces établissements? Président Saleh: “Ces questions seront traitées par le gouvernement. Il les inscrira dans son programme à soumettre au parlement, définissant sa nouvelle politique dans tous les aspects de la vie politico-socio-culturelle”.

CONTRE TOUTES LES FORMES D’EXTREMISME
Melhem Karam: - On dit que Oussama Ben Laden, l’un des promoteurs du “Jihad” (guerre sainte) menace de quitter le lieu de sa résidence à l’est de l’Afghanistan, pour regagner les montagnes du Yémen où il a des bases. Lui permettrez-vous de s’établir dans votre pays?
Président Saleh: “Comme je vous l’ai déjà dit, le Yémen est contre l’extrémisme sous toutes ses formes. En ce qui concerne Oussama Ben Laden, nous ne lui permettrons pas de venir dans notre pays où il n’a ni bases, ni lien avec les Yéménites”.

Melhem Karam: - Pourquoi croyez-vous que le discours politique du parti de la Réforme et plus précisément, celui d’Al-Salfi a échoué? Cela signifie-t-il que dans leur écrasante majorité, les Yéménites aspirent à un Etat moderne?
Président Saleh: “Les fils du Yémen, toutes tendances politiques confondues, aspirent à l’édification d’un Etat yéménite moderne basé sur la liberté, la justice, l’ordre et la loi”.

Melhem Karam: - Quelle est votre politique à l’égard des juifs yéménites ayant émigré en Israël et leur permettez-vous de revenir à “Saada” et “Rida” pour rendre visite à leurs parents? Autorisez-vous les juifs de “Saada” à visiter Israël? Qu’en est-il de la rumeur selon laquelle des Israéliens seraient venus au Yémen, sous prétexte de visiter leurs familles?
Président Saleh: “Ce sont des rumeurs infondées, d’autant qu’il n’existe pas de politique ou de tendance officielle permettant à des Israéliens de venir au Yémen, ni aux juifs yéménites de se rendre en Israël. Bien que ces derniers voyagent partout, aux Etats-Unis, en Europe et ailleurs, à l’instar des citoyens yéménites. Ils jouissent de tous les droits et ont des obligations en vertu de la Constitution”.

Melhem Karam: - L’aile idéologique d’Al-Salfi au parti de la Réforme, adopte des positions fermes et radicales. La nouvelle autorité émanant des élections tolère-t-elle ce genre d’opposition?
Président Saleh: “Nous ignorons l’existence d’une aile d’Al-Salfi au sein du parti de la Réforme et considérons que le Rassemblement yéménites de la Réforme groupe des personnalités politiques et sociales de différentes tendances; nous n’établissons pas de classification de la façon que vous mentionnez”.

Melhem Karam: - La prolifération des armes dans la société yéménite inquiète les Occidentaux. Envisagez-vous d’élaborer des lois visant à réglementer le port d’armes, dans le cadre de vos initiatives tendant à moderniser la société yéménite?
Président Saleh: “Ceci s’inscrira dans le programme du nouveau gouvernement, en vue de mettre fin à la prolifération des armes, surtout à l’intérieur des villes principales”.

CONFIANCE ABSOLUE DANS LE GOUVERNEMENT
Melhem Karam: - Monsieur le Président, vous parlez du gouvernement avec satisfaction. Etes-vous satisfait du choix du nouveau chef du gouvernement? Serait-il habilité à exécuter vos réformes dans la prochaine étape?
Président Saleh: “Sans nul doute, le choix du frère, le Dr Faraj Ben Ghanem pour la présidence du Conseil, découle d’une confiance absolue, car il est apte à assumer cette responsabilité et à exécuter la politique générale de l’Etat, dans le cadre des efforts déployés à l’effet d’édifier un Etat yéménite moderne où règneraient l’ordre et la loi. Ceci s’inscrira en tête de l’ordre des priorités du Cabinet qui s’emploiera à traiter les différents problèmes d’ordre politique, économique, culturel et social”.

Melhem Karam: - Où en sont les mesures de modernisation et de rééquipement des armées, surtout après les événements dont les îles Honeich ont été le théâtre?
Président Saleh: “Nous accordons une grande attention au renforcement de la capacité défensive des forces armées, dans le cadre de l’intégration de tout ce qui est nouveau et moderne, comme des possibilités modestes dont dispose notre pays”.

YEMEN - ARABIE-SEOUDITE
Melhem Karam: - Vous aspirez à ouvrir une nouvelle page dans les relations avec l’Arabie séoudite, sur base de l’entente et du principe de bon voisinage. Est-il possible d’accélérer l’action des commissions des frontières plus que par le passé et comptez-vous effectuer une visite au royaume?
Président Saleh: “Les relations séoudo-yéménites se développent et évoluent. En fait, elles sont, aujourd’hui, meilleures qu’au lendemain de la seconde guerre du Golfe. Le Dr Al-Iriani s’est rendu, dernièrement, en Arabie séoudite à l’effet de réactiver les commissions et les porter à s’acquitter avec plus de célérité de leur mission et, aussi, pour préparer la visite que nous nous proposons de rendre à S.M. le roi Fahd et aux autres responsables du royaume”.

Melhem Karam: - Comment qualifiez-vous vos relations avec S.M. le roi Fahd?
Président Saleh: “Des relations personnelles excellentes me lient à mon frère, le roi Fahd”.

Melhem Karam: - Pourquoi le Yémen n’adhère-t-il pas au Conseil de coopération du Golfe, alors qu’il a frappé à sa porte plus d’une fois?
Président Saleh: “Nous avons évoqué, précédemment, ce sujet. La demande d’adhésion a été présentée partant de la position du Yémen, de sa proximité des Etats membres du CCG et en tant qu’Etat faisant partie de la presqu’île arabique. “Nous considérons ce rassemblement comme ayant un caractère régional, auquel tout Etat de la région doit prendre part. Nous avons présenté la demande d’adhésion et laissons aux pays membres toute latitude de prendre la décision adéquate. Le Yémen n’est pas pressé et lorsque les frères dans les Etats membres du CCG jugeront le moment opportun pour admettre le Yémen, rien ne nous empêchera d’y adhérer”.

QUID DE L’ADHÉSION AU CCG?
Melhem Karam: - Comment avez-vous dépassé les séquelles ayant résulté de votre alignement sur l’Irak lors de la seconde guerre du Golfe? La réserve quant à votre adhésion au CCG a-t-elle quelque rapport avec ces séquelles?
Président Saleh: “Notre position lors de la crise du Golfe était claire: nous avons condamné l’invasion irakienne du Koweit et préconisé une solution pacifique de la crise, loin des ingérences extérieures dans la région. Telle était la politique du Yémen en ce qui a trait à la crise du Golfe”.

Melhem Karam: - Où en est l’arbitrage dans l’affaire des îles Honeich occupées par l’Erythrée? Etes-vous rassuré quant à l’évolution de l’affaire et quelle serait votre attitude si Asmara refusait de souscrire à l’arrêt de l’organisme d’arbitrage?
Président Saleh: “L’arbitrage se déroule conformément à l’accord établi et nous respecterons les décisions de l’organisme chargé de trancher le conflit”.

Melhem Karam: - Allez-vous participer au sommet de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) à Téhéran en décembre prochain? Qu’attendez-vous de ces assises par rapport aux problèmes du monde islamique, en tête desquels ceux de Jérusalem, du Golan et du Liban-Sud?
Président Saleh: “Nous n’hésiterons pas à prendre part à tout sommet islamique ou arabe. Nous participerons donc au sommet de Téhéran et souhaitons qu’il réponde aux aspirations de la nation islamique.”

Melhem Karam: - La victoire de Khatami et l’échec de son concurrent, Ali Nategh Nouri laisse-t-elle supposer un changement dans la politique iranienne?
Président Saleh: “Nous en parlerons au moment voulu. L’homme peut juger une telle politique, à travers le programme du nouveau gouvernement iranien, à l’ombre du président élu, M. Khatami.”

Melhem Karam: - Comment évaluez-vous les relations yéméno-américaines actuelles?
A Washington, réagit-on favorablement à vos requêtes relatives à l’aide et aux investissements après avoir adopté la mondialisation, l’économie de marché, la démocratie et l’initiative privée? Président Saleh: “Nos relations avec les Etats Unis sont excellentes et la coopération est établie entre nous. Les firmes américaines affluent de temps à autre au Yémen”.

LES RELATIONS ENTRE PARIS ET SANAA
Melhem Karam: - Une spécificité caractérise les relations entre Sanaa et Paris: dans quels domaines la coopération s’exerce-t-elle le mieux entre les deux capitales et qu’attendez-vous du président Chirac?
Président Saleh: “Les relations entre le Yémen et la France sont excellentes et les prises de position du président Chirac envers les Arabes, positives. “Nous apprécions cette politique équilibrée et rationnelle qui jouit du respect du monde arabe.”

Melhem Karam: - Vous donnez la priorité aux réformes économiques. Comment les poursuivez-vous sans qu’elles aient leur impact sur les citoyens, surtout après la levée partielle du soutien sur les produits fondamentaux? Préférez-vous négocier avec le FMI en vue d’un différé d’amortissement?
Président Saleh: “La première préoccupation de notre pays est de traiter le volet économique et le programme gouver-nemental prévoit le renforcement des efforts en vue de la réforme économique, financière et administrative, dans l’idée de relever le standing de vie des citoyens, de consolider l’économie nationale et de réactiver le processus du développement”. Melhem Karam: - Sur quelles ressources le gouverne-ment table-t-il son action à l’effet de réaliser le dévelop-pement souhaité? Président Saleh: “Le pétrole et le gaz viennent en tête, suivis de la pêche, de l’agriculture, de l’industrie et du tou-risme”.

LES GRANDS DÉFIS À RELEVER
Melhem Karam: - Les grands défis que votre gouverne-ment doit affronter sont, dit-on, la corruption, le clienté-lisme et la réforme administrative: la situation générale permet-elle des opérations “chirurgicales” sans que cela provoque des secousses et des crispations?
Président Saleh: “Nous avons entrepris depuis un an d’ap-pliquer le programme de la réforme financière et administrative qui a donné d’excellents résultats. “Le gouvernement se préoccupe, par-dessus tout, de mettre fin à l’anarchie administrative et d’éradiquer la corruption provenant de la crise et de la guerre, le parti socialiste ayant perturbé la situation en vue de compromettre l’unité de la patrie”.

Melhem Karam: - Quelle est la part des recettes pétrolières du revenu national?
Et quelle est l’ampleur des découvertes de nouveaux gisements pétrolifères? Président Saleh: “Les recettes du secteur pétrolier demeurent modestes dans notre pays. Aussi, procédons-nous à des prospections intensives en vue de localiser de nouvelles ressources dans les domaines du pétrole et du gaz; les résultats de nos recherches sont encourageants, surtout dans le domaine du gaz.”

Melhem Karam: - Quels sont les signes et caractéris-tiques les plus importants marquant la troisième étape des réformes? Quel est le volume des investissements étrangers au Yémen et dans quels secteurs? Et quel est votre pari sur le port d’Aden après les changements survenus dans l’environnement au plan régional?
Président Saleh: “D’abord, il n’y a pas de troisième étape dans le programme de réforme économique et les inves-tissements suivent une courbe ascendante dans notre pays. Ils sont excellents et la loi qui les régit accorde de grands privilèges et facilités aux investisseurs. Ces investissements sont attirés, par ordre d’importance, par le secteur pétrolier, l’industrie, le tourisme, l’agriculture, la richesse poissonnière et la zone franche. “Nous parions sur le port d’Aden, dans l’espoir qu’il donnera des résultats favorisant les investissements, spécialement dans la zone franche de cette ville au profit de l’économie nationale”.

Melhem Karam: - Le peuple est-il satisfait de la réali-sation de l’unité et l’organisation des élections générales?
Président Saleh: “Naturellement, le peuple yéménite est heureux de jouir de l’unité et des résultats des élections, comme il célèbre avec joie le septième anniversaire de la république yéménite, alors que de grandes réalisations ont été accomplies, celles-ci ayant mis en échec tous les paris sur l’avortement de l’unité et de la démocratie”.

NOUS SOUHAITONS PROGRÈS ET PROSPÉRITÉ AU LIBAN
Melhem Karam: - Que pensez-vous de la situation au Liban?
Président Saleh: “Le Liban est un pays frère à qui nous souhaitons plus de prospérité et de progrès. Je constate qu’il est, aujourd’hui, dans une situation meilleure que précédemment. Il reste encore à trancher le problème du Liban-Sud que nous suivons de près, car il représente un grand souci arabe et les partenaires arabes du Liban lui souhaitent plus de sérénité”.

Melhem Karam: - On avait envisagé d’associer la femme yéménite aux charges officielles après sa victoire aux élections; puis, cette éventualité s’est volatilisée: le temps n’est-il pas venu de confier à la Yéménite un portefeuille ministériel?
Président Saleh: “La femme au Yémen jouit d’une bonne position et est présente dans les différentes institutions étatiques. S’il plaît à Dieu, elle aura la chance de disposer d’une place au Conseil des ministres dans un proche avenir”.

Melhem Karam: - Croyez-vous que la pratique démo-cratique vaudra à Sanaa une assistance économique accrue de l’Occident?
Président Saleh: “Nous le souhaitons”.

LIBERTÉ GARANTIE À L’OPPOSITION
Melhem Karam: - Quel est le poids de l’opposition après les élections et lui assurez-vous l’entière liberté dans son action politique?
Président Saleh: “La Constitution et la loi lui garantissent cette liberté, car elle est une partie complémentaire du pouvoir. Aussi, obtiendra-t-elle tout l’appui et la protection, de manière à raffermir notre expérience démocratique dans l’intérêt national.”

Melhem Karam: - L’organisation mondiale du Tourisme a tenu, dernièrement, sa quinzième réunion régionale à Sanaa: quel est le rôle du tourisme dans l’économie yé-ménite?
Président Saleh: “Nous le considérons comme l’une de ses principales sources de revenus. Cependant, ces derniers restent modestes dans notre pays à l’heure actuelle, par rapport à ceux de certains Etats frères, en dépit de nos énormes possibilités touristiques. “Le Yémen est un pays touristique et nous espérons qu’à l’avenir le tourisme y jouera un rôle positif au niveau du développement.”

Melhem Karam: - Des observateurs détectent les pré-mices du retour de l’Arabie heureuse à l’orée du XXIème siècle, après l’amélioration de la situation économique et intérieure d’une manière générale et le début d’exploitation des nouveaux gisements pétrolifères. Quelles sont vos prévisions à ce sujet?
Président Saleh: “Nous le souhaitons, s’il plaît à Dieu et aspirons que notre pays réalise une évolution qualitative vers le XXIème siècle, après qu’il eut surmonté toutes les difficultés au plan politique intérieur, de la sécurité, consolidé les fondements de l’unité et du système démocratique.”

RELATIONS AU POINT MORT AVEC LE KOWEIT
Melhem Karam: - Y a-t-il des indices d’amélioration quant aux relations koweito-yéménites?
Président Saleh: “Elles font du sur-place. Mais il n’existe, de la part du Yémen, aucune réserve quant à la normalisation de ses relations avec les frères du Koweit. Ce sont eux qui restent sur leur réserve, en dépit de l’existence d’une représentation diplo-matique koweitienne à Sanaa à l’échelon du chargé d’Affaires, alors que le Yémen n’est pas représenté à Koweit.”

Melhem Karam: - Après le gel de l’opération de paix, la conjoncture arabe a-t-elle besoin d’un nouveau sommet ou bien suffit-il d’appliquer les résolutions du sommet du Caire?
Président Saleh: “Il faut commencer par appliquer ces résolutions. Quant à tout nouveau sommet, il nécessite une préparation saine, afin que ses décisions soient efficaces.”

Melhem Karam: - Considérez-vous que le président Hosni Moubarak a un rôle constructif dans l’opération de paix?
Président Saleh: “Nous observons non sans intérêt le rôle positif dont s’acquitte le président Moubarak. D’ailleurs, l’Egypte en plus de son rôle, jouit d’un grand prestige au niveau tant de la région que de la communauté internationale.”

Melhem Karam: - Et qu’en est-il du rôle du président Hafez Assad?
Président Saleh: “Il a, également, un rôle positif et a besoin d’un soutien arabe afin que la position du négociateur syrien soit plus forte qu’elle ne l’est actuellement.”

HOSTILITÉ TURQUE?
Melhem Karam: - Comment expliquez-vous l’attitude hostile de la Turquie à l’égard des Arabes et son alliance suspecte avec Israël?
Président Saleh: “Nous déplorons la position adoptée par la Turquie, que ce soit sa violation de la souveraineté irakienne ou son alliance avec l’Etat hébreu aux dépens de la sécurité nationale arabe. Il importe que tous les Arabes adoptent à son égard une attitude sérieuse, d’autant que la Turquie a de grands intérêts avec eux. Elle ne peut violer, impunément, la souveraineté d’un Etat arabe, sans que les partenaires de ce dernier élèvent la voix pour dénoncer le comportement d’Ankara qui a exploité la faiblesse de l’Irak et l’attitude hostile à son égard de la communauté internationale.”

Melhem Karam: - Quelle est la signification de la visite d’une délégation syrienne à Bagdad?
Président Saleh: “Nous la considérons comme un pas sérieux sur la voie de l’amélioration des relations syro-irakiennes; c’est la position saine qui va dans le sens du rétablissement de la solidarité arabe que nous souhaitons tous.”

Melhem Karam: - Etes-vous persuadé du sérieux d’Israël quant à l’opération de paix, Netanyahu étant intransigeant, au point de ne pas vouloir en discuter?
Président Saleh: “J’ai beaucoup parlé du degré de sérieux d’Israël par rapport à l’opération de paix. A mon avis, il n’est pas sérieux à ce propos, d’autant qu’il bénéficie d’un grand appui américain, résultant de ses appréhensions quant à sa présence dans un environnement arabe hostile. Il croit qu’en réalisant la paix juste et globale dans la région, il sera privé de ses intérêts et, partant, cela lui fera perdre le soutien matériel américain généreux sur lequel il compte.”

L’AVENIR DE JÉRUSALEM
Melhem Karam: - Croyez-vous qu’une intervention ferme et sérieuse de la part du “parrain” américain peut relancer les négociations gelées depuis près d’un an et raviver l’opération de paix?
Président Saleh: “Nul ne peut influencer Israël autant que l’Amérique qui peut seule exercer des pressions sur l’Etat hébreu afin de l’amener à reprendre les pourparlers.”

Melhem Karam: - Comment imaginez-vous l’avenir de Jérusalem qui intéresse les trois religions célestes: son partage en capitales de deux Etats (palestinien et israélien) résoudra-t-il la crise?
Président Saleh: “Nous aspirons à ce que la Ville sainte revienne au statut qui était le sien avant 1967.”

Melhem Karam: - La situation en Algérie est douloureuse pour tous les Arabes: quelle en sera l’issue?
Président Saleh: “Nous suivons non sans douleur et regret ce qui se passe dans ce pays frère. Aussi, souhaitons-nous que nos frères algériens dépassent cette dure épreuve par la sagesse et la raison. Nul à l’étranger ne peut offrir une solution à leur crise, car la solution est entre leurs mains”.

QUID DE L’IMPLANTATION?
Melhem Karam: - L’implantation est une idée israélienne fixe et permanente et le fait pour Israël d’en proclamer l’arrêt ne serait-il pas un leurre?
Président Saleh: “La perpétuation de l’implantation dans les territoires arabes occupés est, en principe, un leurre pour les Arabes et un torpillage de l’opération de paix, au moment où les Arabes donnent la preuve de leur sérieux par rapport à cette opération”. Melhem Karam:La situation au Soudan se perpétue sans qu’apparaisse à l’horizon une possibilité de règlement: considérez-vous la solution dans une réconciliation nationale, suite à une initiative du président de l’Etat des émirats arabes unis, cheikh Zayed Ben Sultan Al-Nahiane? Président Saleh: “Les efforts de mon frère cheikh Zayed sont bénéfiques et nous souhaitons qu’ils portent leurs fruits, en parvenant à convaincre toutes les forces soudanaises à dépasser leurs différends, à résoudre leurs problèmes pour instaurer la sécurité et la stabilité au Soudan”.

LA COOPERATION TURCO-ISRAELIENNE
Melhem Karam: - Voyez-vous un danger pour la nation arabe dans la coopération militaire turco-israélienne?
Président Saleh: “J’ai déjà dit que l’alliance turco-israélienne est préjudiciable aux relations arabo-turques”.

Melhem Karam: - Gaza-Jéricho est-ce, à votre avis, le cadre définitif de nos ambitions en tant qu’Arabes ou bien y a-t-il un espoir de disposer d’une terre plus vaste et d’une patrie plus grande?
Président Saleh: “Nous nous attendons à la restitution de tous les territoires arabes occupés et à l’application des résolutions de la légalité internationale. “Quant à Gaza-Jéricho, il ne sied pas, naturellement, à toutes nos ambitions en tant qu’Arabes”.

PROCHAINE TOURNEE A L’ETRANGER
Melhem Karam: - Monsieur le Président, on constate que vous n’effectuez pas fréquemment des déplacements à l’étranger: maintenant que vous en avez fini avec les élections et après la formation du gouvernement, envisagez-vous de visiter, en premier lieu, les Etats arabes frères et, peut-être, des Etats européens disposés à aider le Yémen? Croyez-vous que ces visites soient importantes pour le Yémen, politiquement et économiquement?
Président Saleh: “S’il plaît à Dieu, je me propose de me rendre cette année en Arabie séoudite, en Allemagne, en Chine et au Japon”. Melhem Karam: - Comment qualifiez-vous vos relations avec la Russie et la Chine? Président Saleh: “Excellentes”.


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