Par José M.
LABAKI.
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L’ITALIE EN COLÈRE: C’EST OÙ L’EUROPE? |
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| Confinée à l’arrière plan
avec sa consœur la Grèce, dans la course à la monnaie unique
prévue pour l’an 99, menacée même d’élimination,
l’Italie, cofondateur du Marché commun, est dans tous ses états.
La mesure draconienne prise à son encontre par la Commission de
Bruxelles, vient de semer la panique dans les rangs des participants à
la compétition du siècle. Quoiqu’il advienne, les Italiens
sont déterminés à affronter le défi et rejoindre
le peleton, aussi élevé que puisse en être le prix.
Indignés, ils s’interrogent: l’Europe, c’est où? Interro-gation
qui illustre bien les ambigüités et la fureur qui planent sur
l’Italie de cette fin de siècle. Reléguée au bout
de la liste des solliciteurs pour l’adhésion à la monnaie
unique, alors que d’autres sont admis en dépit de leurs médiocres
qualifications, inférieures à la moyenne requise; révoltée
contre une Europe comptable, l’Italie scande haut et fort: “Puisqu’on n’entre
pas en Europe qu’on nous rembourse la taxe européenne qu’on nous
a impunément infligée.” Pour la Droite italienne, l’Europe
prend des airs de faux-semblants. S’il lui arrive d’en louer les bienfaits
et les mérites, c’est pour éviter de perdre sa place sur
l’échiquier européen et international. Durant son court séjour
à la tête du gouvernement, Silvio Berlusconi, leader de Forza
Italia, n’a pris aucune initiative européenne digne de ce nom. Son
ministre des Affaires étrangères, le très anglo-saxon,
Antonio Martino, n’a jamais caché ses inclinations libre-échangistes.
Pour la Droite italienne, le traité de Maastricht est le meilleur
exemple de présomption et d’outrecuidance. Selon son critère,
la vocation européenne est de plus en plus manifeste, uniquement,
quand il s’agit de contester le gouvernement de centre-gauche sous la houlette
de Romano Prodi. On retrouve ces mêmes ambigüités chez
le patronat italien. Les industriels de la “Confidustria italiana” se veulent
des Européens ad hoc. En effet, dès qu’une mesure est prise
pour un quelconque alignement au niveau du partenariat européen,
on les voit se précipiter dans les litières.
*** L’Italie de cette fin de millénaire, entre dans une étape de ralentissement économi-que avec un taux de croissance du PIB inférieur à 1% et les taux d’intérêt les plus élevés d’Europe. Ce qui fait dire au PDG de Fiat, César Rometi: “l’Europe monétaire, c’est parfait; mais l’Europe sociale où est elle?” Et d’ajouter sur un ton de scepticisme et de défiance: “La révision des critères d’adhésion à la monnaie unique, ce ne serait pas aussi grave si l’Italie n’y entre pas dans l’immédiat.” Cependant, tous les industriels ne le rejoignent pas. Pour eux, au contraire, l’Italie, a trop à se faire pardonner, en particulier, la dévaluation de 40% de sa monnaie nationale en 1992. “Nos partenaires européens, diront-ils, n’ont pourtant pas la mémoire aussi fragile pour feindre d’oublier cette mesure purgative. “Chez les jeunes patrons, c’est le même son de cloche. Dans l’ensemble, patronat et syndicats s’affichent formellement pro-européens, tout en étant attachés surtout, aux privilèges et aux atouts de l’Italie, à savoir: son système de santé, ses retraites et son secteur public, à l’abri de toutes les controverses et les entraves. Sergio Romano l’éditorialiste du quotidien “La Stampa” a décrit cet état d’esprit avec la verve qui le caractérise. “L’euphorie, est le nouveau catholicisme italien avec autant de dévots que de baptisés; mais comme lui, elle est formelle, mutualiste et conventionnelle.” Et de rappeler sans vergogne, les fraudes communautaires, le retard dans l’applications des directives europénnes et l’incapacité à utiliser les fonds de la CEE. C’est une première dans les annales de l’Italie contemporaine, qu’un gouvernement prenne au mot, l’europhilie de façade de ses concitoyens. C’était d’ailleurs, le pari de l’ancien gouverneur de la Banque d’Italie et super ministre de l’Economie, Carlo Ciampi, dénommé “Monsieur Europe” qui, à 77 ans acceptait la charge pour défendre l’Europe et conduire l’Italie à honorer les critères de Maastricht. Pour Martino Dalma leader du principal parti de la majorité PDS, pour la première fois au gouvernement depuis un demi-siècle, ou bien l’Italie entre en Europe, altière et sûre d’elle-même, quel qu’en soit le prix, au premier tour, ou bien, elle restera un pays marginalisé et folklorique, condamné à quémander des rabais à des partenaires de plus en plus intransigeants, sceptiques et arrogants. D’où son appui total à la réduction des déficits de 100.000 milliards de lires, faite de restrictions sur les dépenses de l’Etat et une série d’impôts nouveaux, dont la fameuse taxe européenne que les Italiens seront acculés à verser incessamment. Et le ténor de la rigueur Carlo Ciampi de calmer les esprits chagrins: l’Europe, on y accèdera tôt ou tard, aussi intransigeants que puissent être nos partenaires. Il suffit d’une petite dose de clairvoyance et de sérénité. “L’Italie, affirme-t-il, avec sa loi des Finances est capable de se serrer la ceinture, en s’attaquant à la réforme de l’Etat social et la réforme des retraites. Notre réponse à la commission de Bruxelles sera convaincante. Après la déprime, viendra la relève”. L’Italie de demain, une fois son inflation et son taux de chômage (12% de la population active) maîtrisés, et grâce à ses exportations compétitives (57% vont à l’Europe), - devra sûrement passer le cap. Elle devra certes affronter encore d’autres problèmes non des moins graves: supprimer un million d’emplois en cinq ans, améliorer tant s’en faut, son taux de natalité, actuellement à la baisse. Aussi, est-elle appelée à être le pays le mieux doté pour l’échéance européenne en 1999. Puisse-t-elle y parvenir à temps et ce, pour l’équilibre d’une Europe unifiée, contre toutes les intimidations d’où qu’elles viennent! |
Oscar Luigi Scalfaro (Président de la République italienne) |
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