On ne sait plus quelles accusations retenir contre
M. Elias Abou Rizk qui continue à se considérer comme le
seul représentant légitime de la CGTL. On avait commencé
par “l’usurpation de titre et de pouvoir”; on en est, aujourd’hui, à
“l’atteinte au prestige et au crédit de l’Etat.” On constate, amèrement,
que le pouvoir déraille et qu’en augmentant ses pressions sur le
président contesté de la CGTL, il lui rend service tout en
se mettant l’opinion publique locale et internationale sur le dos! Le fait-il
exprès? Ce ne peut être possible quand on sait tout le mal
que l’Etat s’est donné pour lui substituer M. Ghanim Zoghbi. Pour
en savoir plus, sur l’arrestation de M. Abou Rizk, nous avons contacté
son avocat, Me Naji Boustany, qui a eu l’amabilité de nous recevoir
chez lui malgré l’heure tardive, (21h30), après une journée
harrassante! Eminent juriste dont l’étude a continué à
fonctionner aux heures les plus sombres de la guerre, candidat tête
de liste aux élections législatives du Chouf l’été
dernier, Me Boustany a été considéré - bien
que n’étant pas “arrivé” - comme ayant quand même “gagné”
la confiance de l’électorat tant chrétien que sunnite et
druze. Ce ne sont pas du tout des considérations politiques ou professionnelles
qui l’ont poussé à accepter de défendre M. Abou Rizk.
Il insiste beaucoup sur “une amitié de plus de vingt-cinq ans qui
le lie à son “client”... qui n’en est pas un. Il l’avait, également,
défendu il y a six ou sept ans, suite au licenciement abusif dont
il avait fait l’objet par Télé-Liban. Il avait, alors, obtenu
un jugement considéré comme une primeur en vertu duquel le
Conseil arbitral du travail de Beyrouth présidé par le juge
Mohammed Chékhaïbi, avait décidé l’annulation
de la décision de licenciement. De ce fait, M. Abou Rizk a conservé
son poste en tant que directeur à Télé-Liban.
ATTITUDE PARADOXALE DE ZOGHBI
- Vous êtes l’avocat d’Elias Abou Rizk. Quel est - ou quels sont
- d’après - vous les motifs de son arrestation?
“Pour répondre à cette question, il faut connaître
les intentions des gens. Or, je ne peux préjuger sur cela. Je dirais
une chose qui m’a surpris: la direction de la CGTL, (aile de Zoghbi) est
venue se prévaloir du fait qu’elle est contre la détention
provisoire en général et, plus particulièrement, quand
il s’agit d’un syndicaliste. Or, M. Zoghbi a fait opposition, en dernière
minute, à la demande de mise en liberté de M. Abou Rizk.
Cette opposition vise à maintenir sa détention ou, du moins,
à retarder sa remise en liberté. Paradoxal, non?”
- Comment comptez-vous tirer Abou Rizk de cette situation? Quels
sont vos arguments légaux?
“Ma position est claire: la CGTL ne peut être considérée
comme un pouvoir politique ou civil, les pouvoirs étant délimités
par la Constitution libanaise, les administrations publiques étant
définies par les lois sur l’organisation administrative. Une administration
publique ne peut être créée que par un texte législatif.
De ce fait, la CGTL qui est une personne de droit privé dont la
constitution a été autorisée par simple arrêté
ministériel en 1958 (sous le nÞ 159), ne peut aucunement être
considérée ni comme un pouvoir, ni comme une administration
ou un établissement publics; ce dernier ne peut être créé
que par décret pris en Conseil des ministres. “Par ailleurs, l’article
306 du code pénal stipule que le crime d’usurpation de pouvoir civil
ou militaire trouve sa place sous la rubrique: “crimes contre la sûreté
intérieure de l’Etat” qui sont énumérés par
la loi et parmi lesquels ne peut figurer la CGTL ou son action.
STATUT D’ASSOCIATION
“La CGTL est assujettie aux mêmes
règles que les associations, avec cette différence que ces
dernières doivent être autorisées par le ministère
de l’Intérieur, alors que pour la CGTL, c’est le ministère
du Travail qui octroie le permis. “Notons, par ailleurs, que la doctrine
et la jurisprudence sont unanimes à considérer le pouvoir
judiciaire civil comme le seul organe apte à contrôler les
associations syndicales et, surtout, la légalité des élections
de leurs organes. Le Conseil d’Etat a, d’ailleurs, émis dernièrement
une décision concernant la CGTL, dans laquelle il a formulé,
expressément, que les tribunaux civils - et non pénaux -
sont seuls compétents en la matière (et il est allé
plus loin), même si les statuts de ces syndicats stipulent le contraire.
“Quant à l’article 392 du code pénal jumelé à
l’article 350 du même code desquels se prévaut la partie demanderesse,
ils concernent le délit d’usurpation de qualité de fonctionnaire
public civil ou militaire. Il va sans dire que la présidence de
la CGTL ne peut être considérée en aucune manière
comme une fonction publique ou militaire. “C’est pourquoi, je considère
que la poursuite, elle-même, est sans fondement et, à plus
forte raison, la détention provisoire; rien ne les justifie.
- Précisément, on dit que cette détention visait
à empêcher Abou Rizk de quitter le pays pour représenter
la CGTL aux congrès qui se tiennent à l’étranger.
“Cette explication pourrait tenir. On peut présumer que la partie
demanderesse souhaiterait être présente seule à ces
Congrès, là-même où les participants ne l’ont
pas reconnue et persistent, jusqu’à ce jour, à ne reconnaître
que la légalité des élections de “l’aile Abou Rizk”.
“Je dois ajouter que ces positions n’ont pas été prises,
uniquement, par des organisations européennes mais, aussi, par “l’Organisation
Internationale des employés et des ouvriers arabes” dont le siège
est à Damas. De même, la Confédération générale
des travailleurs syriens n’a pas encore reconnu le groupe de Ghanim Zoghbi
et attend que les tribunaux se prononcent sur la question”.
ABOU RIZK BÉNÉFICIE D’UNE RECONNAISSANCE
DE L’OIT
- Qu’est-ce qui, à votre avis, confère la légitimité
à la CGTL. Est-ce la reconnaissance nationale ou internationale?
“Pour la CGTL, ce sont ses statuts, le Code du Travail, le décret
7993/52 qui doivent être appliqués. Pour la légalité
de ses élections, sur le plan interne et à l’égard
du conflit existant, tel que susmentionné, seuls les tribunaux sont
qualifiés pour trancher le conflit. On attend, incessamment, le
jugement que doit rendre le tribunal de première instance de Beyrouth,
la Chambre du président Nehmé Lahoud, étant saisie
du litige. Je dois souligner que ce qu’on appelle “légalisation
du ministère du Travail” ne revêt aucun caractère pouvant
entériner cette légalité, en tenant compte de la doctrine
et de la jurisprudence constante tant au Liban qu’en France lesquelles
corroborent la compétence exclusive des tribunaux civils en la matière.
“Quant à la reconnaissance internationale, il va sans dire que ce
sont les organisations régionales et internationales qui sont seules
maîtresses dans ce domaine. Or, ces associations ne reconnaissent
jusqu’à ce jour qu’Abou Rizk et ses collègues à la
tête de la CGTL. D’ailleurs, suite aux doléances du «groupe
Zoghbi», les organisations internationales ont pris une position
claire, nette et précise en vertu de laquelle elles ont affirmé
qu’elles ne retireraient leur reconnaissance à Abou Rizk que si
les tribunaux civils statuaient en faveur de Zoghbi».
ZOGHBI SERA DÉBOUTÉ
- Que pensez-vous des procès en cours intentés contre
Zoghbi, devant les tribunaux civils?
«Sur base des procès présentés par diverses
associations syndicales, tant contre l’élection de Zoghbi que contre
les décisions du ministère du Travail, admettant certaines
associations comme membres à part entière à la CGTL,
contrairement à ses statuts, cela me permet de conclure que l’issue
de ces procès ne peut qu’aboutir à une annulation des élections
du groupe Zoghbi. D’ailleurs, au nombre des propositons citées par
M. Zoghbi lui-même, dans les médias, figure celle où
il affirme être prêt à retirer son action pénale
contre Abou Rizk si les associations concernées retiraient les procès
précités».
- Comment expliquez-vous que M. Abou Rizk ait été directement
conduit à l’hôpital dès son arrestation?
«En premier lieu, je dois faire état que M. Elias Abou
Rizk est sous traitement médical depuis plusieurs années,
souffrant de tension artérielle, de troubles du rythme cardiaque
et de diabète. Il doit prendre plusieurs médicaments par
jour. Sitôt que le juge d’instruction a décerné un
mandat d’arrêt contre lui, j’ai requis du procureur général
près la Cour de Cassation, le président Adnane Addoum de
le faire examiner par un médecin et de le conduire à l’hôpital.
«A cet égard, je ne peux que reconnaître la compréhension
dont a fait preuve le président Addoum qui n’a ménagé
aucun effort afin de permettre à M. Abou Rizk de recevoir les soins
médicaux et hospitaliers que nécessite son état et
même de permettre à ses deux filles d’être auprès
de lui durant toute la période de son hospitalisation».
LE CAS NEHMÉ...
- A propos de quelle affaire a été entendu, mardi
dernier, Yasser Nehmé?
«L’audition de MM. Nehmé et Abou Rizk (qui devait aussi
avoir lieu mercredi) ne concerne pas l’affaire pour laquelle ce dernier
est en détention provisoire. Elle est en rapport avec une instruction
préliminaire que le Parquet de Beyrouth est en train d’étudier,
relative à une correspondance entre la CGTL «groupe Abou Rizk»
et certaines associations internationales et régionales, dont l’Organisation
Internationale du Travail (O.I.T.). Jusqu’à ce jour, ils sont entendus
à titre de témoins et cela pourrait changer, si le Parquet
de Beyrouth décidait de les inculper en vertu de l’article 396 du
Code pénal».
JE SUIS CONFIANT EN LA JUSTICE
- Etes-vous optimiste?
«Je suis confiant. A la lumière des notes qu’on a présentées
et des documents qu’on a communiqués, la Justice libanaise ne peut
que donner droit à la position de Abou Rizk.
- Le cas de Abou Rizk ne vous fait-il pas craindre le pire pour les
libertés au Liban?
«Je demeure, comme je vous l’ai dit, confiant en la justice libanaise
qui devrait être en mesure d’assurer la protection du citoyen contre
les atteintes aux libertés».
(Propos recueillis par NICOLE EL-KAREH)
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