Tribune


Par RENE AGGIOURI.

L’ADMIRABLE Mme ALBRIGHT

L’Europe est tombée en admiration, cette semaine, devant Mme Albright. La secrétaire d’Etat américaine est, enfin, apparue fidèle à sa réputation de femme énergique, capable de parler sans mâcher ses mots. Elle l’a fait d’abord à Zagreb; ensuite, à Sarajevo; puis, à Belgrade. Aux Croates médusés, aux Bosniaques et aux Serbes qui n’ont pas l’habitude de plier, Mme Albright a dit publique-ment que s’ils continuaient à ne pas appliquer les accords de Dayton, ils seraient mis aux bans des nations. Ce ne sont pas de vaines menaces. On sait avec quelle facilité, Washington dé-crète des sanctions contre les pays dont la politique lui est suspecte. Belgrade a déjà connu ces sanctions. Il y a toujours l’exemple de Cuba, de la Chine à une récente époque, de l’Iran, de l’Irak... et même le Liban est l’objet d’une forme de sanction, puisqu’il est interdit aux Américains de s’y rendre. On ne peut donc douter que la menace dont sont l’objet les peuples de l’ex-Yougoslavie soit sérieuse. Et pour mieux souligner sa résolution, Mme Albright s’est rendue ostensiblement dans les villages contestés entre ces divers peuples. Admirable, certes! C’est bien ainsi qu’on imagine le leadership d’une grande puissance toujours armée de principes moraux et de la loi internationale.

***

Et pourtant!... Quand il s’agit de la paix israélo-arabe ouvertement sabotée, quand il s’agit d’Israël et des violations répétées de ses engagements, de son mépris affiché de la communauté internationale et des décisions de l’ONU, ce magnifique leadership américain disparaît complètement. “N’y touchez pas!”, telle est la règle de conduite de la diplomatie américaine à l’égard d’Israël. Chaque fois que le Conseil de sécurité s’apprête à condamner Israël, le représentant des Etats-Unis se lève pour dire: c’est inopportun, cela est “contre-productif” (c’est l’expression à la mode à Washington), cela troublerait le “processus de paix”... Si bien qu’aujourd’hui, il n’y a plus de processus de paix et que M. Netanyahu, dressant le bilan de sa première année au pouvoir, a pu se vanter que sa “plus grande réussite est d’avoir conservé les frontières de 1967”. Autrement dit: d’avoir empêché l’aboutissement du processus précisément fondé sur le principe des “territoires contre la paix”, c’est-à-dire le retour aux frontières d’avant la guerre de juin 1967. Est-ce qu’à Washington, où l’on est tellement soucieux de ce “processus” qu’on s’oppose systématiquement à toute initiative européenne ou onusienne, quelqu’un a réagi? Est-ce que quelqu’un a soulevé un sourcil étonné? Est-ce que Mme Albright, si courageuse à l’égard des Croates et des Serbes, a pipé mot? Enfin, qui peut expliquer cette étrange timidité de la diplomatie américaine dès qu’il s’agit d’Israël? D’ha-bitude, on invoque des raisons électorales, le lobby juif, etc... Mais aujourd’hui, M. Clinton est tranquille de ce côté-là: il ne peut plus se représenter aux élec-tions. Faut-il parler de complicité? Mais dans quel but? Peut-on sérieusement penser que la toute puissante Amérique ait be-soin d’un instrument aussi douteux et aussi dangereux que le sionisme de M. Netanyahu pour rallier tous les pays arabes à des objectifs anti-terroristes alors que, précisément, c’est Israël même qui est à l’origine et demeure la cause de ce qu’on appelle terrorisme? Israël d’un côté, la Turquie de l’autre sont tout simplement en train de détruire les fondements de la confiance dans l’alliance américaine nouée à la faveur de la guerre du Golfe et de la crédibilité de la diplomatie de Washington. La Turquie et Israël se servent de l’Amérique pour des fins propres qui n’ont rien à voir avec les intérêts de l’Amérique et lui sont, en définitive, contraires. Ce n’est pas l’Amérique qui se sert de ces deux pays.

***

Si Mme Albright, répétant sa performance du 31 mai à Zagreb et à Belgrade, voulait tenir un langage ferme sur le processus de paix au Proche-Orient, elle dirait: - A Israël: voici vos frontières. Votre Etat est reconnu dans ces limites. Tous les territoires que vous occupez par vos conquêtes de juin 67, doivent être évacués dans un délai de deux mois. Borné à l’intérieur de vos frontières reconnues, vous négocierez avec vos voisins d’égal à égal, vos problèmes communs de sécurité, la normalisation de vos rapports dans tous les domaines, la répartition des eaux communes selon les normes internationales, etc... A la Turquie: vous évacuerez immédiatement le Kur-distan irakien. Vous reconnaîtrez à vos ressortissants kurdes leur identité culturelle, le droit d’enseigner leur langue à l’égale de la turque, l’autonomie municipale. Il n’est pas interdit de rêver. Mais n’est-ce pas ce qu’on appelait le rêve améri-cain? Le respect du droit, de la justice, de l’égalité démocratique, de l’égalité des chances? Mais cette Amérique-là, celle d’un George Marshall, par exemple, dont on vient de commémorer le souvenir en Europe, n’est plus qu’un mythe.


Home
Home