Bloc - Notes


Par ALINE LAHOUD..

OÙ ÉTIEZ-VOUS DONC PENDANT QUE L’ÉVOLUTION SE FAISAIT?

Monsieur Chawki Fakhoury, qui a jadis obtenu une licence en droit, vient de s’auto introniser maître ès-sciences économi-ques de la très libérale IIème république. D’entrée du jeu, il s’est révélé, aux yeux du pays médusé, un stratège d’une telle envergure qu’on se demande comment, au prochain palmarès, le Nobel d’économie pourrait bien lui échapper! Il y aura évidemment toujours des jaloux, des coupeurs de cheveux en quatre, des râleurs pour cher-cher des poux dans la tête du ministre. D’autres emmer-deurs qui voudraient savoir où a-t-il pris que le protec-tionnisme est la seule expres-sion valable du libéralisme, et comment, par quelle mysté-rieuse alchimie, a-t-il réussi cette parfaite symbiose entre économie libre et dirigisme! Cela aurait-il pu lui être soufflé par quelque théoricien de Homs, ou bien vient-il de découvrir avec un siècle et demi de retard LE CAPITAL de Karl Marx? Pourquoi pas, après tout. Il n’est jamais trop tard pour mal faire. Le seul ennui, c’est que la mode rétro, même si elle a fait les beaux jours de la haute couture, n’est pas à proprement parler le dernier cri dans celle de l’évolution. Surtout au moment où notre gouvernement aspire à se faire attribuer un tout petit strapontin aux accords du GATT et à fourrer ne serait-ce que le bout du nez dans le projet de partenariat euro-méditerranéen, dont le but déclaré est la suppression des barrières douanières entre les nations et les peuples. Peu lui chaut à Chawki Fakhoury ce GATTisme dont il n’a que faire. Lui, il a en vue les intérêts de ses électeurs de la Békaa pour décréter le Liban à vocation prioritaire agricole et pastorale. On pourrait lui rétorquer que la prospérité libanaise des années 50 était, principalement, à base du secteur des services tertiaires et que les Phéniciens n’avaient inventé l’alphabet que pour bâtir le plus fabuleux empire commer-cial de ce côté-ci de la planète. Cause toujours mon lapin! Et d’ailleurs, les Phéniciens n’étant pas des Arabes, ils n’ont pas le droit d’être historiquement crédités de quoi que ce soit. Quant à l’antiquité, eh! bien, sachez - a dit M. Fa-khoury - que la plaine de la Békaa était con-sidérée comme le grenier à blé de l’empire romain. Serait-ce utile de signaler à l’historien qui vient de s’éveiller en M. Fakhoury (décidé-ment c’est un homme à multiples facettes) que depuis l’empire romain, Christophe Colomb a découvert le continent américain, que les Grandes Plaines du Midwest et l’immensité des étendues de l’Argentine ont pris, dans une modeste mesure, la relève de sa Békaa natale? Mais ce ne serait pas gentil de le contrarier, puisque ça l’amuse de croire que, sans lui, Jules César et ses légions seraient morts de faim et ça ne fait de mal à personne. Mais là où ça fait vraiment mal, c’est lors-que M. Fakhoury se propose, sous prétexte de ramener le pays à son lustre romain, de ruiner le secteur commercial, celui des services tertiaires (établissements de crédits, assurances, hôtellerie, restauration, publicité, presse, audiovisuel, etc...) et, par contrecoup celui du tourisme, de jeter dans la rue des milliers de chômeurs, de pousser à l’exode une nouvelle tranche de la population, de provoquer une hausse incontrôlable des prix, d’encourager la contre-bande, d’offrir une prime à la médiocrité faute de concurrence, de créer un nouveau trafic d’influence et de permis discriminatoires. En un mot, de réduire à la portion congrue une population à laquelle son copain Sanioura n’a laissé que les yeux pour pleurer. Sans parler de la production locale à la va-comme-je-te-pousse. En particulier, les produits laitiers, insuffi-sants pour satisfaire à la consommation locale et dont certains ne sont pas soumis à une stricte prophylaxie. Ainsi, il ne se passe pas une année sans que l’on signale des dizaines de cas d’empoisonnement par le fromage, entre autres. Qu’est-ce qui garantit la parfaite stérilisa-tion de ces produits quand on sait qu’il suffit d’un bakhchiche à un contrôleur ou d’une association en sous-main avec un des dinosaures du régime ou avec leurs fils, frères, copains, alliés et collatéraux, pour échapper à toute inspection et faire avaler aux consom-mateurs toutes les bactéries que l’on veut? En somme, on n’est même pas capable de ramasser proprement les ordures ménagères et l’on veut jouer aux grands dans la cour de l’école! Un jeu dans lequel est passé maître l’ineffable Fouad Sanioura. On peut parier à chaque tournant de crise (et Dieu sait s’il y en a!), qu’on retrouvera Sanioura la main plongée dans nos poches. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas vraiment populaire et que ses méthodes ont amplement fait la preuve de leur inefficacité et de leur nuisance. Pourquoi alors continue-t-il à sévir aux Finances? Il semble que le secret de son maintien au pouvoir - à part la faveur de son maître Hariri - soit son manque total de qualifications pour mener la politique financière du pays, n’étant, de formation, qu’expert comptable. Là où il aurait fallu de l’imagination, de la rigueur dans le raisonnement et une formation de grand commis de l’Etat, Sanioura arrive avec ses gros sabots dondaine, une mentalité d’épicier et des méthodes de détrousseur de grands chemins. De l’art des finances, il ne sait apparemment, que délester et sur-lester. Délester le simple citoyen et lui ôter le pain de la bouche, pour prodiguer à pleines mains les crédits à une classe dirigeante dont la boulimie semble ne devoir jamais être satisfaite, du moins pas de notre vivant ni du leur. C’est ce que l’on pourrait appeler la politique de la scie: à l’aller elle mange, au retour elle ronge et c’est le pays qui plonge. Rien n’illustre mieux ce genre de politique que les nouvelles taxes imposées tant aux voitures neuves qu’à celles seconde-main. Le ministre prétend qu’il tente par ce biais de renouveler et de rajeunir le parc automobile du pays, d’une part pour faire face aux défis du IIIème millénaire (?); d’autre part, pour empêcher la pollution et bla bla bla... En fait, c’est bien le contraire qui va arriver. En taxant les voitures neuves de 50, 100 et 200%, nous allons nous retrouver avec un parc automobile tiers-mondiste et une atmosphère polluée jusqu’à la saturation, surtout depuis que l’on a autorisé l’entrée des diesels super-polluants pour nous aligner sans doute sur la Syrie. En outre, au lieu de faciliter la circulation comme on le prétend, les vieux tacots - vu qu’on n’aura plus les moyens d’en changer - vont causer fatalement des embouteillages monstres, puisque menaçant à chaque tour de roue de tomber en panne ou de s’en aller en pièces détachées. Sans compter les accidents plus ou moins graves que ce genre de «panne» peut provoquer. Quant à se passer de voiture, nos responsables ne peuvent plus faire semblant d’ignorer que la voiture privée au Liban est une nécessité non un luxe, du moment que rien n’est fait au niveau des moyens de transport: ni métro, ni autobus, ni trains. Comment, dans ce cas, les usagers fonctionnaires, employés et autres se rendraient-ils sur le lieu de leur travail? A dos d’âne peut-être? Mais chut! Ne donnons pas des idées à M. Sanioura. Reste le plus grave: le viol systématique de la Cons-titution transformée, grâce à ceux chargés de la protéger, en une véritable serpillière. Tout se passe comme si ces messieurs ne s’en sont procuré le texte que pour que nul article n’échappe à leurs entreprises. Hier, il s’agissait de la loi électorale. Aujourd’hui, c’est au régime de la libre économie qu’on s’en prend. En tapinois, un dirigisme rampant est en train d’être instauré, avec à la clé une dictature d’autant plus sournoise, que dissimulée sous le masque d’une parodie de démocratie et d’élec-tions caricaturales. Mais à qui reprocher ce comportement irrespon-sable, voire même coupable? Au bénéfice de qui stigmatiser cette politique de Gribouille, quand l’inculture généralisée, l’immaturité politique et le désordre mental semblent être les seules constantes d’un pouvoir qui s’est imposé par la contrainte et règne dans la confusion?


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