Chronique


Par José M. LABAKI.

ISRAËL-ÉTATS-UNIS: LANGAGE CODÉ

Ainsi font les manchots (1) qui, pour survivre, utilisent en langage codé, un système complexe de cordes vocales que même les acousticiens les plus avisés n’arrivent pas à décoder. Néanmoins, les connivences israélo-américaines n’échappent plus à personne. Elles font école, voire mauvaise école. Aux Nations-Unies comme au Conseil de Sécurité, à Washington comme à Tel-Aviv, le même cri de manchot se fait entendre. Hier même, alors que la communauté internationale enjoignait à Israël de payer au Liban un dédommagement de 1,7 million de dollars pour les dégâts provoqués par le pilonnage délibéré de Cana du 18 avril 1996 qui s’était soldé par cent cinq victimes innocentes, le tandem israélo-américain multipliait les chassés-croisés en vue de boycotter la décision onusienne. Il n’y a pas plus répugnant que de voir la première puissance mondiale et gendarme incontournable de la planète, plaider contre la Justice, le Morale et le Bon Sens, en faveur de l’arbitraire. Après cela, qu’on n’aille pas prétendre que la démocratie dont l’Amérique se veut la gardienne exclusive, vit ses plus beaux jours. Que le Liban ait eu gain de cause, ou que sa victoire à l’ONU soit mitigée, la communauté internationale, à sa crédibilité défendant, a montré pour une fois ses griffes, usant de son droit régalien à la différence, face à son tuteur américain. Puisse-t-elle s’engager; il y va de son honneur à exécuter sa résolution, en obligeant Israël avec tous les moyens dont il dispose, à s’acquitter de sa dette envers le Liban.

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D’ailleurs, de tout temps, les Etats-Unis font violence aux Arabes, le Liban n’étant pas épargné, en faveur d’Israël. N’est-il pas grand temps que ces injustices prennent fin? Leur soutien inconditionnel à l’Etat hébreu dans tous les domaines, au détriment de ses voisins dont la méfiance à son égard est à bout de patience, est vraiment révoltant. Les coups bas de la diplomatie américaine éclatant au grand jour, principe irrévocable de sa stratégie proche-orientale, témoignent au quotidien des erreurs de calculs et d’évaluation dont sont capables les dirigeants américains, sous prétexte qu’Israël, à son corps défendant, exerce simplement son droit de légitime défense. Les veto américains, tant à l’ONU qu’au Conseil de Sécurité, ne se comptent plus, alors que les résolutions condamnant Israël, sont renvoyées aux calendes grecques. La détermination américaine à jouer un rôle au Proche-Orient s’est manifestée depuis 1967. L’ad-ministration clintonienne s’inscrit dans cette tra-dition. Pour elle, aussi, la domination militaire, israélo-américaine dans cette partie du monde, constitue un objectif vital et stratégique. Au moment même où une population outrée, la nôtre, crie toute sa colère et son indignation face aux agressions israéliennes perpétrées au quotidien contre le Liban, les Etats-Unis ne font que verser de l’huile sur le feu. Les émissaires et ambassadeurs américains se hâtent de convaincre les voisins d’Israël, qu’une seule voie est désormais accessible à la paix au Proche-Orient, celle de l’abnégation et du fait accompli.

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Face à ces ambiguïtés, les Libanais ne savent plus ni à quoi, ni à qui s’en tenir. La guerre israélo-arabe, de son vrai nom, ne leur paraît aussi criminelle et meurtrière, que parce qu’elle les atteint dans leur propre chair. La realpolitik américaine dont l’outrecuidance a dépassé toutes les limites, ne fait que raviver leur révolte car quand, par mégarde, elle intervient, c’est pour trancher, non en faveur des victimes, mais en faveur des bourreaux! Ce que les Libanais revendiquent à bon droit, c’est la récupération des territoires arbitrairement occupés par Israël, sans plus. Au lieu de faire la sourde oreille, il faudrait les comprendre. Ce n’est pas Israël dont ils connaissent à fond les intentions hégémoniques, ni la diplomatie américaine œuvrant inlassable-ment en sa faveur, qu’ils souhaiteraient voir triompher, mais le principe du Droit qui interdit de se faire justice à soi-même, et qui doit s’appliquer à tout le monde. Il est temps que le Droit prenne le pas sur la force. Des politiques apparemment com-plaisantes et courtoises, mais envenimées, les Libanais en ont assez! Chaque fois qu’Israël est mis en cause, l’administration américaine est convaincue que son partenariat avec celui-ci constitue le pilier principal de la stratégie américaine au Proche-Orient. Bill Clinton, lui, n’a pas dérogé à ce principe. Depuis son arrivée à la Maison-Blanche, il n’a cessé de manœuvrer dans cette direction. Pour lui, comme pour ses prédécesseurs, Israël doit être à l’abri de toute menace d’où qu’elle vienne. Et comme pour donner toute son acuité à la sommation, il a argué: “Toute politique allant à l’encontre de cette stratégie doit être contrée, quelqu’élevée que puisse en être la facture. Le peuple américain ne doit-il pas cesser d’innocenter ses gouvernants et de prendre conscience de leurs maladresses? L’alliance israélo-américaine, un scénario monté de toutes pièces, enraciné dans la tradition, bat son plein dans les domaines militaire, économique, diplomatique et stratégique; ne devrait-elle pas alerter la conscience toujours somnolente des Arabes, à l’heure où une dynamique arabe s’avère impérative, sinon la débâcle est inévitable? Le syndrôme israélien vivant et contagieux risque de sévir davantage sur le monde arabe qui, déjà, gravite dans l’orbite israélienne. Le sionisme mondial sous la houlette anglo-saxonne, est capable de toutes les aventures et c’est à la communauté internationale, qui s’est révélée capable de s’imposer et à la conscience arabe d’agir, en conséquence, avant l’apocalypse! C’est d’une logique de paix que le monde a besoin et non d’une logique guerrière et destructive dont Israël serait le grand bénéficiaire. L’espoir d’une réconciliation israélo-arabe, né des accords d’Oslo, relève-t-il de l’utopie? Les négociations israélo-arabes sont dans l’impasse; les implantations de colonies juives vont bon train; la reconnaissance par le congrès américain de Jérusalem, capitale de l’Etat hébreu, ne fait qu’aggra-ver la situation, bafouant les principes de ces accords révélés déjà comme étant trop flous pour ré-soudre un conflit vieux d’un demi-siècle. Le Proche-Orient qui s’était mis à rêver de la paix et de ses dividendes, se convertit en poudrière... Si jamais l’on tient à une paix juste et durable, dans cette ré-gion, il faudrait que ceux qui la né-gocient, se rendent compte de cette réalité!

(1) Oiseau antarctique à double corde vocale.


“Les projecteurs médiatiques exposent certains aspects de la politique américaine au Proche-Orient, mais les ombres n’en sont que trop épaisses, repoussant souvent l’essentiel dans l’opacité.”

(The Washington Post)


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