Tribune


Par RENE AGGIOURI.

L’INVRAISEMBLABLE

En décrétant l’interdiction d’importer un ensemble de produits agricoles et de conserves agro-alimentaires, en décrétant une hausse brutale du tarif douanier sur les voitures, le gouvernement Hariri a-t-il par là défini une nouvelle politique économique? Rien n’est moins sûr. C’est tout le problème. Et c’est un problème de confiance. Voilà bien une semaine que les polémiques sur ces nouvelles mesures vont leur train. Les milieux économiques et politiques, tout en contestant le bien-fondé de ces mesures, se demandent ce qu’elles peuvent bien cacher... Le doute s’installe avec l’indignation devant tant de désinvolture et de méconnaissance des réalités.

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M. Hariri a développé sur la place publique avec un bon sens populaire les motivations et les effets attendus des nouvelles mesures. M. Fakhoury, ministre de l’Agriculture, de son côté, s’est expliqué. Mais ni l’un, ni l’autre n’ont convaincu. On suspecte tout de suite les véritables intentions. C’est tout simplement horrible! Les arguments avancés par le gouvernement pour justifier ses décisions sont simplistes mais, grosso modo, théoriquement bons. Théoriquement seulement. N’importe quelle Libanaise faisant son marché peut démontrer à M. Hariri et à M. Fakhoury que leurs arguments ne correspondent à aucune réalité. Les mesures annoncées sont censées encourager l’agriculture et l’industrie agro-alimentaire. Que valent actuellement les produits de cette agriculture et de cette industrie? Est-ce qu’en leur conférant un monopole de fait, on les incite à améliorer la qualité de leurs produits? Alors que la production de certains articles (lait, beurre et autres laitages, huiles, etc...) est notoirement insuffisante, peut-on prétendre à “l’auto-suffisance” avant de nombreuses années? Et sans équipement préalable? Il faut être naïf pour le croire. M. Hariri ne l’est pas. Alors?... Et quand, pour apaiser les craintes au sujet d’une hausse des prix, il se contente de proclamer: “Nous sommes là!”, on a envie de rire si la situation pouvait se prêter au rire. Et quand, de son côté, M. Fakhoury annonce qu’il désignera dix inspecteurs pour contrôler le marché, on se demande s’il prend les Libanais pour des imbéciles.

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Ce qui fausse complètement le débat sur cette question, c’est le manque de con-fiance. Personne n’a con-fiance dans les capacités de l’administration de l’Etat de ses soi-disants experts. Personne n’a confiance dans le discours officiel. Or, les mesures annoncées paraissent tellement absurdes et nuisibles, alors que celui qui les prône, M. Hariri, passe pour un homme d’affaires avisé, qu’on finit justement par se dire: ce n’est pas possible, il doit y avoir un objectif caché! Il y a un truc! On saisit par là encore à quel point c’est le règne du soupçon dès que le gouvernement agit. En tout cas, une chose est certaine: il a mis la charrue devant les bœufs. Développer l’agriculture et l’industrie, retenir le paysan sur sa terre, ce sont des objectifs que le Liban a dramatiquement négligés jusqu’ici. Mais pour les atteindre, suffit-il de décréter des interdictions, alors que rien n’a encore été réalisé dans le domaine de la bonification des terres et de l’irrigation, afin d’inverser cette tendance qui a fait de ce pays un désert de bétons et d’asphalte? Le Liban est aussi un pays de tourisme et de services. Peut-il se permettre, avant de définir les moyens de parvenir à “l’auto-suffisance” (laquelle, de toute façon, est un rêve impossible qu’aucun pays n’a pu réaliser) de prendre le risque de la pénurie et d’une hausse du coût de la vie? M. Hariri, allant au-devant de la critique, reconnaît que ses décisions sont impopulaires. C’est malheureusement pire: elles sont invraisemblables.


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