Bloc - Notes


Par ALINE LAHOUD..

LE COMPTE À REBOURS

L’escalade c’est ça. Un premier pas qu’on franchit sans dommages, ou sans que personne n’ait su, voulu ou pu y mettre un coup d’arrêt. Un deuxième pas suit alors; puis, un troisième... jusqu’au moment où l’on risque à chaque nouveau pas de ne pas arriver au prochain en un seul morceau. Surtout quand, dans sa précipitation pour atteindre le sommet (si un quelconque sommet peut encore exister à l’intérieur de nos frontières), on a la vue tellement brouillée par le vertige des hauteurs qu’on ne sait plus ni gérer son ascension, ni négocier ses virages, ni stabiliser son altitude de croisière. Et c’est alors la crise. Ou plutôt un crescendo de crises étourdiment, bêtement ou sciemment provoquées. De ce genre de secousses dont nous nous serions bien passés et qui, pourtant, ne nous ont jamais été épargnées depuis l’avène-ment - il y a cinq ans - de Rafic 1er glorieusement régnant. Partant du principe que la monotonie engendre l’ennui, l’ennui la lassitude et la lassitude la torpeur, le Premier mi-nistre a eu à cœur de secouer réguliè-rement notre léthargie menaçante pour nous inventer des crises à la chaîne, sur mesure et souvent hors mesures, tant et si bien que son gouvernement est devenu une véritable manufacture de crises, dont la moindre n’est pas l’attrapade que nous nous préparons à avoir avec les pays arabes liés à nous par des accords commerciaux. Premier à la trouver saumâtre et à le dire, le Koweit par la bouche de son ambassadeur Abdel Razzak al-Kandari qui s’est déclaré «surpris» et a fait appel «au respect des conventions signées». Déjà, l’Egypte et sur un ton que l’on ne peut pas qualifier de courtois, nous a expliqué ce qu’elle pensait de notre façon de lui retourner ses pommes de terre «from Hariri with love». Quant au roi Hussein, que nous traitons ces derniers temps avec une rare désinvolture, il risque de se fâcher encore plus rouge que les tomates que nous lui laissons sur les bras. Et ce, sans pourtant faire trépigner d’allégresse nos cultivateurs, dont 50%, les planteurs de pommes et d’agrumes notamment, seront pénalisés par les mesures de réciprocité que ne manqueront pas de prendre les pays au nez desquels nous venons de claquer nos portes. Ceci étant, on pourrait se demander à quoi rime cet avorton de politique agricole et dans l’intérêt réel de qui? Comme l’on se demande dans l’intérêt de qui ces taxes invraisemblables sur l’importation des voitures? Est-il vrai que certains importateurs - voire des particuliers - en ont eu connaissance avant qu’elles soient rendues publiques et en ont tiré les conclusions qui s’imposent? Ailleurs, cela s’appelle «délit d’initié». N’est-ce pas ce genre de scandale qui a provoqué, dit-on, le suicide de l’ex-Premier ministre français, Pierre Bérégovoy? Dieu merci, ce genre de choses ne peut pas arriver au Liban. Autrement, nous passerions notre temps à décerner des médailles à titre posthume. Et comme si ce n’était pas suffisant pour bouleverser les gens, voilà qu’on invente l’affaire de la Cité sportive. Le nom de Camille Chamoun peut ne pas plaire à M. Hariri, n’empêche que l’ancien président de la République fut un grand bonhomme et l’un des héros de l’indépendance, notion parfaitement inconnue de la cohorte de dirigeants générés par Taëf. Mais l’important n’est pas seulement que le nom de Camille Chamoun soit maintenu comme on le dit. L’important c’est l’initiative elle-même et son timing. Le comble du comble, c’est quand le chef du gouvernement, après avoir provoqué délibérément l’indignation d’une large tranche de la population et la désapprobation quasi-totale du pays - y compris celle du président de la République - accuse ceux qui ont protesté de pousser aux dissensions confessionnelles. C’est bien là le trade mark de nos dirigeants. Pour tout dire, ce défi permanent à l’opinion publique, l’intolérance, la provocation délibérée à travers des mesures discriminatoires et l’insolence avec laquelle ces mesures sont prises et appliquées, sont arrivés à un tel point que se permettre de formuler la moindre critique, c’est se voir relégué au banc des accusés. Que le style potentat de notre Premier ministre nous prenne à rebrousse-poil et l’on est dénoncé comme agent du sionisme. Que la manie qu’a Sanioura de nous faire régulièrement les poches ne nous transporte pas de joie et l’on est taxé de fanatisme religieux. Que l’on trouve les moustaches d’El-Fadl Chalak trop fournies à notre goût et l’on nous accuse de faire dans les dissensions confession-nelles. Que le profil de Bassem Sabeh ne nous plaise pas et l’on nous colle immédiatement l’étiquette de maronitisme politique. Jean-Marie Le Pen disait: «- Il suffit de prétendre que Brigitte Bardot est plus jolie que Golda Meïr, pour que l’on vous accuse d’antisémitisme». Quand la psychose atteint ce seuil, c’est que quelque chose, quelque part, est en train de mal tourner. Quand ça tourne mal, c’est que quelqu’un amorce un mauvais virage. Et quand on s’engage dans un mauvais virage, c’est que le compte à rebours pourrait bien commencer.


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