Tribune


Par RENE AGGIOURI.

POUR ENRICHIR LA COLLECTION

On peut enrichir d’un nouveau document la collection de résolutions onusiennes et de déclarations diverses favorables aux droits des Palestiniens. Ce nouveau document, c’est la résolution votée à Amsterdam par l’Union de l’Europe qui recommande, solennellement, de reconnaître le droit des Palestiniens à l’autodétermination, à avoir une “entité souveraine” (autrement dit: un Etat, précise le texte) et l’arrêt de la colonisation juive, à Jérusalem, en Cisjordanie et à Gaza. Cette résolution est très équilibrée puisqu’elle souligne, en même temps, le droit d’Israël à la sécurité au sein de frontières reconnues. Et elle ajoute cette idée, déjà soutenue par le président Chirac lors de sa visite à Jérusalem, que la meilleure garantie de la sécurité d’Israël, c’est l’existence d’un Etat palestinien avec lequel il entretiendrait des relations normales. Idée qui va nettement à l’encontre de la thèse de M. Netanyahu, pour qui un Etat palestinien serait une “zone de libre terrorisme”, sujet d’un livre qu’il a publié à la veille de son élection. Ce document est important à plus d’un titre, ne serait-ce que parce qu’il émane d’une organisation qui est le partenaire des Etats-Unis dans l’alliance occidentale, les Etats-Unis qui, eux, gardent un prudent silence s’abritant derrière une attitude de fausse neutralité. On notera, entre parenthèses, que cette déclaration, qui a pour objectif proclamé de relancer le processus de paix, ne dit mot (du moins dans ce que la dépêche de l’AFP nous en livre) du volet syrien et libanais de la négociation en panne. C’est plutôt étonnant.

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Quant à M. Moratinos, l’émissaire de l’Europe pour suivre le “processus” et qui a été consulté avant l’adoption du document d’Amsterdam, les dépêches nous racontent qu’il s’est rendu, ensuite, à Damas pour informer le gouvernement syrien que M. Netanyahu serait disposé à reprendre les négociations sur l’application des résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité, à condition qu’il ne soit pas question de la restitution du Golan. On le savait, du reste. M. Netanyahu veut la paix sans contrepartie. Et M. Moratinos aurait pu ne pas se déranger et faire observer à M. Netanyahu que sans la restitution du Golan, lesdites résolutions du Conseil de sécurité n’auraient plus d’objet et qu’en tout cas, le chef du Likoud pose là une condition préalable, alors même qu’il refuse à la Syrie le droit de formuler la moindre condition, quoique celle-ci puisse être la base même de la résolution 242. Etrange? Non. Nous sommes dans la logique d’une puissance, Israël, habituée depuis un demi-siècle à faire fi de toute décision, recommandation, injonction, condamnation émanant de la communauté internationale, qu’elle soit universelle telle l’ONU, ou régionale telle l’Europe. Et ce faisant, à bénéficier d’une totale impunité grâce à l’attitude “prudente” de son puissant allié: l’Amérique. L’Amérique possède des moyens décisifs de pression sur Israël mais ne veut pas les employer. L’Europe serait, également, en mesure d’user de pressions si elle n’était pas dramatiquement velléitaire en matière de politique extérieure.

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Encore une fois, on se perd en conjectures sur les buts de la politique américaine en Proche-Orient. Qu’elle vise fondamentalement à l’établis-sement de relations pacifiques entre tous les Etats de la région, cela semble certain. On n’imaginerait pas le contraire. Qu’elle suspecte encore l’Irak, ruiné et affamé, d’intentions agressives, c’est encore certain. Qu’elle accuse l’Iran de s’armer, de menacer ses voisins et d’être hostile à la paix avec Israël jusqu’à alimenter le “terrorisme”, c’est également sûr. En fonction de ces suspicions et de ces accusations (sur le bien fondé desquelles on éprouve souvent des doutes) que fait l’Amérique? Elle laisse libre cours à une politique israélienne vis-à-vis des Palestiniens, de la Syrie et du Liban qui va, ouvertement, à l’encontre des principes du processus de paix définis à Madrid et dont l’Amérique est le “parrain” devenu spectateur. Elle ferme les yeux sur une action militaire turque dans le nord de l’Irak qui menace l’unité de ce pays et inquiète tous les pays voisins. Son ministre de la Défense, M. Cohen, vient de parcourir la presqu’île arabique, soulignant partout la puissance militaire de son pays et sa volonté de se maintenir “indéfiniment” dans cette région, tout en lançant des mises en garde à l’adresse de l’Iran. En Afghanistan, la guerre civile se perpétue, alimentée par un autre allié de l’Amérique: le Pakistan.

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De ce sinistre tableau, où le contraste entre les buts avoués et les moyens est flagrant, rien de positif n’émerge. Aucun signe d’apaisement, aucun effort de conciliation, de compréhension, de rapprochement - ou de pressions, sinon sur les plus faibles. Tout se passe comme si l’Amérique, forte désormais d’une présence militaire dissuasive, a décidé de laisser se développer librement une sorte de maelström de conflits qui ne seraient, à ses yeux, que de nature tribale, religieuse, ethnique et donc irréductibles à des moyens modernes et rationnels de traitement. En somme, pourvu que l’Amérique n’y soit pas directement impliquée et qu’elle puisse protéger ses approvisionnements en pétrole, elle s’en lave les mains. Elle croit pouvoir garder sous observation et sous contrôle cette espèce de tourbillon de peuples à ses yeux sous-développés. Mais est-il sûr qu’elle n’y serait jamais impliquée? Et alors, quelle serait l’étendue du désastre?


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