Par ALINE
LAHOUD..
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LE GARDE-FOU DE LA RÉPUBLIQUE |
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Beaucoup se sont demandé à quoi pouvaient bien rimer ces élections partielles et à quoi a-t-il servi d’éjecter hors du parlement trois mal élus pour s’empresser de les faire rentrer par une autre porte. C’est ce qu’en pense, apparemment, le ministre de l’Intérieur qui - les bureaux de vote à peine fermés - s’est lancé dans un véritable réquisitoire contre le Conseil Constitutionnel qu’il juge abusif, rancunier et sur lequel, lui, Michel Murr, semble faire une fixation que les spécialistes qualifieraient de régressive. Pour M. Murr, le C.C. aurait bien pu nous faire l’économie de cette ridicule gesticulation et éviter, par la même occasion, de recevoir un cinglant camouflet d’un corps électoral aussi épris de Fawzi Hobeiche que le fut jadis Roméo de Juliette. Ceci étant - toujours à en croire M. Murr - on doit maintenant mettre les pendules à l’heure et ces messieurs du C.C. à leur place, en rognant jusqu’au trognon leurs prérogatives. Et bon débarras! En fait, l’interprétation de M. Murr est plutôt tendancieuse. Le Conseil Constitutionnel n’a pas dit que messieurs Hobeiche et Naufal étaient haïs par les électeurs, ni qu’ils étaient inaptes à exercer un mandat parlementaire. Il a simple-ment sanctionné certaines méthodes utilisées au cours des dernières législatives, lesquelles méthodes ont dénaturé le libre choix des électeurs et violé les lois en vigueur. A moins que le gouvernement n’en veuille aux dix sages de la république d’avoir - en ordonnant des partielles - mis en évidence l’absurdité des thèses officielles et enfoncé le doigt là où ça fait mal. La première de ces thèses est la fumisterie qui consiste à vouloir faire du Liban une circonscription unique. Qu’on ergote là-dessus ou non, qu’on s’en laisse convaincre ou pas, les partielles du Nord sont venues prouver au-delà de toute contestation logique, que la grande circonscription ne peut donner - en l’absence de partis politiques fortement structurés - que des élus disparates, dont certains ne représentent rien et qui pour 90% de leurs supposés électeurs semblent aussi peu crédibles que des moutons à cinq pattes. Chacun a pu constater, à travers les écrans des différentes télévisions, que les électeurs de Bécharré, par exemple, ne semblaient nullement savoir de quoi il s’agissait. Indifférence à Batroun, rejet au Koura, désintérêt total à Tripoli, mouvement timide à Zghorta. Même le Akkar - circonscription concernée - ne semblait pas trépigner d’enthousiasme. En fin de compte, il aura fallu un véritable rassemblement de jugement dernier par les forces agissantes du Nord, toutes tendances confondues, pour totaliser un timide 22% et un encore plus modeste 13% pour M. Hobeiche lui-même. A ceux qui doutent encore de la représentativité des petites circonscriptions, Jbeil est venu à son tour, donner une sévère leçon avec ses 53% de participation. A part ce parallèle très instructif, Jbeil a mis en évidence d’autres facteurs. Jbeil n’est pas une circonscription facilement maniable. C’est une région qui n’a pas répugné à vivre pendant des décades dans l’opposition, parce que rebelle à la force et allergique aux pressions téléguidées. A titre de rappel: Jbeil a été la seule région du Liban à avoir boycotté totalement les législatives de 1992. Dans le cas présent, Jbeil n’a voté ni contre Nazem Khoury, ni pour Emile Naufal. Jbeil a voté contre le pouvoir en place, ses méthodes tordues, ses flagrantes immixions et les interventions injustifiées et injusti-fiables étrangères à la région. Connaissant cette fierté chatouilleuse et ce caractère frondeur, Nazem Khoury aurait dû se méfier du cadeau empoisonné que lui ont fait le pouvoir et les autres en lui offrant leur appui. La chance d’Emile Naufal c’est de s’être trouvé là au bon moment pour rafler la mise. Un point c’est tout. Tout triomphalisme serait vraiment déplacé. En définitive, nous devons une fière chandelle au Conseil Constitutionnel et le gouvernement devrait tirer de ce scrutin les leçons qui s’imposent. La première de toute est qu’il faut sauvegarder jalousement l’indépen-dance de cette institution et renforcer ses prérogatives, car dans un pays où les régimes se laissent volontiers aller à une dérive vers la dictature, le Conseil Constitutionnel est pour la république son seul et unique garde-fou. Sans jeu de mots. | ![]() |