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LA CASTE POLITIQUE SUR LA PAILLE |
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Certes, quand l’aléatoire s’érige
en tradition, c’est quand même assez grave. Quand les intérêts
des plus forts tournent les lois à leur profit, pire encore. Quand
l’élite supposée être à l’avant-garde est réduite
à quia et le politique réduit au rôle de comparse,
le moins averti des citoyens se demande désormais, où allons-nous?
Le président Elias Hraoui, avec le franc-parler qui le caractérise,
vient de lancer un appel percutant à l’adresse de l’intelligentsia
libanaise, à l’occasion de la commémoration du cinquantième
anniversaire du Cénacle libanais, arguant que la pensée politique
au Liban, traverse un hiver long sans domicile fixe, en fuite en avant,
incapable de mettre un terme aux décisions à courte vue dictées
par le profit. A preuve la flambée de l’antagonisme, les hymnes
à la révolte, les mises en scènes burlesques et monotones,
les tentatives d’imposer notamment des thérapies de choc, rendant
le climat politique de plus en plus nébuleux et compliqué.
Comment, dans ces conditions, sortir de ces ambigüités pour
entrer dans la transparence et le dialogue franc entre Libanais? A ce dégel
de la pensée politique, on ne peut que préparer une société
leurrée par des discours creux et fallacieux. Et les intellectuels
libanais d’ajouter: Dans un climat aussi pervers et confus, dans quelle
mesure peut-on instaurer l’Etat de droit et le faire respecter? Et ce n’est
pas un cours de droit que nous développons ici, plutôt l’ébauche
d’un débat sur ce que devrait être cet Etat de droit anxieusement
attendu!
*** Toutefois, quelle serait la véritable définition de cet Etat de droit que le Liban s’apprête difficilement à restaurer? Il va de soi, qu’il ne suffirait pas de brandir le drapeau de l’Etat de droit, tel un manteau de Noé pour innocenter l’Etat de tous ses péchés! Encore faut-il reconnaître que, bien souvent, l’application contrôlée de l’Etat de droit est devenue un slogan publicitaire, pour défendre l’Etat tout court et tel qu’il est, c’est-à-dire une formation politique au sein de laquelle des éléments hétérogènes ou homogènes agissent avec des aspects archaïques ou autres. Car l’Etat de droit, n’est autre que cette forme d’organisation qui arbitre le lien civil par la loi, garantit les droits individuels et soumet le pouvoir aux lois. Puissions-nous au Liban arriver bientôt à ce stade de maturité radicalement opposé, peut-être, à toute une large partie de nos tabous qui ne cessent d’empoisonner notre système politique, l’entachant de vicissitudes et d’imperfections; où l’Etat demeure purement administratif et, jusqu’à présent, ne connaît pas de véritable séparation de pouvoirs. Une part impor-tante des décisions politiques est monopolisée par les grands corps, sans que la citoyenneté ait voix au chapitre. Autant il était indispensable naguère, lorsqu’on identifiait, abusivement, tous les Etats de marquer le label de qualité qui sépare les Etats de droit des Etats féodaux, régimes sous lesquels, nous avons longtemps vécu et enduré, - autant il est impératif aujourd’hui d’analyser avec précision, ce qui éloigne encore notre système politique d’un authentique Etat de droit. C’est peut-être notre fort, comme il se peut que ce soit notre point faible. Serait-ce qu’au Liban, république et démocratie se contredisent? Les deux idées sont, certes, complémentaires. L’idée républicaine a toujours été porteuse d’un mouvement de déféodalisation de la société, avec pour but la substitution de l’intérêt général aux privilèges. La formation républicaine, tout en étant récente, est devenue l’idéologie dominante des temps nouveaux. Elle a fait progresser l’égalité entre les citoyens, c’est pour cela qu’elle est si populaire chez tous ceux qui se sont identifiés à elle. On lui doit, surtout, la centralisation politique qui a établi l’unité et la souveraineté nationales; on lui doit, aussi, la mise en place de l’Etat de droit dont longtemps avant la carence était notoire! *** L’ensemble de ces réussites exceptionnelles a nourri en nous, une sorte de religion politique, d’autant que ceux qui hier encore, croyaient réduire l’Etat à sa plus simple expression, sont devenus de nos jours, les flagorneurs les plus chevronnés des services publics et de l’Etat administratif. Ils déplorent le recul de l’Etat, cause principale selon eux de la crise poli-tique qui prévaut à nos dépens, tout en exposant avec le même parti-pris, le même égocentrisme et la même carence de vue historique, alors que la panacée se trouve dans la restauration de l’Etat de droit sous le mythologique de la République de Platon. C’est à se demander quelle heure il est au Liban! *** Certes, il y a dans notre tradition républicaine, une tendance de dérive vers le pouvoir personnel, dont l’assise se trouve, à notre sens, dans la matrice même du droit politique républicain, la doctrine du pouvoir souverain qui est la pierre angulaire de l’Etat. La nation étant un mélange inextricable de traditions et d’inventions, elle dépend du sermon renouvelé de chaque génération de continuer et de réformer l’héritage des mœurs et des valeurs qui forment le patrimoine d’une nation. Bref, si l’on veut définir un idéal, ce serait le retour au sens de l’Etat de droit bien sûr. Il incombe donc à tous, aux intellectuels en premier, de s’élever à la hauteur de ce grand compromis, à la hauteur de l’immense responsabilité historique, à l’orée du troisième millénaire qui refusera, catégoriquement, soyons-en assurés toutes les médiocrités, surtout et, d’abord, au niveau des institutions. Nous sommes engagés non seulement dans le respect des lois, mais dans nos actions politiques, non seulement dans notre autorité morale mais, aussi, dans l’investissement de tous nos efforts conjugués dans cette unique direc-tion. L’Etat de droit étant le stade suprême de la politique, celui à défaut duquel il n’y a rien d’autre que le dépérissement de la politique! |
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Charles Corm (Méditations nationalistes) (La Revue phénicienne) |